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Réservations pour le hadj : un casse-tête pour les pèlerins français

La réduction des quotas par les autorités saoudiennes, les difficultés liées à la réservation dématérialisée et les frais injustifiés de certains voyagistes, commissionnés par Riyad pour fournir des guides aux pèlerins, rendent cette année encore l’opération du hadj laborieuse
Cette année, le nombre de Français autorisés à faire le pèlerinage du hadj en Arabie saoudite ne dépasserait pas les 7 000 (Reuters)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

Nusuk, la plateforme de réservation des forfaits pour le hadjmise en place cette année par l’Arabie saoudite à l’adresse des pèlerins occidentaux (Europe, Amérique et Australie) – a annoncé la couleur dès son lancement en février dernier : les premiers arrivés seront les premiers servis.

Résultat : le site a été pris d’assaut dès l’ouverture des réservations le 4 mai, entraînant des bugs à répétition qui ont mis à rude épreuve les nerfs de nombreux postulants sur le sol français.

Sur les réseaux sociaux, ils partagent de malheureuses expériences avec Nusuk, évoquant des tentatives de réservation obstinées mais infructueuses qui engendrent le même message désarmant de forfaits déjà épuisés.

Ibrahim, un pâtissier toulousain de 26 ans qui a pris l’initiative de trouver des places pour sa mère et sa tante, a passé des nuits blanches sur le site. Sans succès. « Lorsqu’ils ne sont pas déjà vendus, les forfaits sont inaccessibles. Même en cliquant des dizaines de fois, ils ne s’ouvrent pas », raconte à Middle East Eye le jeune homme désabusé.

Rétention de l’information sur les quotas

Celui-ci se plaint par ailleurs que la plateforme tienne en haleine les futurs pèlerins via la commercialisation de forfaits supplémentaires au compte-gouttes. « Très souvent, les packages n’affichent qu’une place chacun alors que j’en ai besoin de deux », déplore-t-il, estimant que des désistements sont certainement à l’origine des nouvelles ventes.

En tout, 88 packages qui englobent, à différents prix (entre 7 200 et 13 350 euros), le billet d’avion, le visa, l’hébergement, la restauration et la visite guidée des lieux saints de l’islam sont mis en vente par Nusuk, jusqu’à l’épuisement des quotas réservés à chaque pays.

« Les saoudiens cherchent à se faire la main pour ne pas rééditer la mésaventure de Motawif. D’où la limitation du nombre de pèlerins occidentaux »

- Safwan Taleb, voyagiste

En 2022, le ministre saoudien du Hadj avait dévoilé dès le mois d’avril le nombre de ressortissants étrangers autorisés à se rendre à La Mecque. En raison de la crise sanitaire, Riyad avait limité les effectifs à environ 800 000 pèlerins, dont un peu plus de 53 000 occidentaux, parmi eux 9 268 français.

« Cette année, le chiffre qui circule concernant la France est de 7 000 pèlerins », affirme à Middle East Eye Safwan Taleb, voyagiste et ancien membre dirigeant de la Coordination des agents agréés pour le hadj.

Asma, une employé de banque de 37 ans, confie à MEE avoir vu circuler le même chiffre sur un groupe de discussion WhatsApp créé par une agence de voyage qu’elle a sollicitée pour l’aider à organiser son séjour en Arabie saoudite. 

Vrai ou faux ? Personne ne sait. Middle East Eye, qui a contacté le ministre saoudien du Hadj et l’ambassade d’Arabie saoudite en France, n’a pas été en mesure d’obtenir une confirmation.

Mais selon Safwan Taleb, il est à peu près sûr que le royaume wahhabite a réduit encore plus les quotas des pèlerins étrangers occidentaux cette année. Pas à cause du covid mais du bilan négatif de Motawif, la première plateforme en ligne de réservation créée l’année dernière.

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L’Arabie saoudite, qui avait ainsi décidé de mettre les agences de voyage hors circuit, s’était appuyée sur un nouveau dispositif d’e-booking pour centraliser le marché du hadj, avec l’objectif affiché de « faciliter les procédures et de proposer des prix compétitifs aux pèlerins ».

Or, rien ne s’est passé comme prévu : difficultés de réservation et de paiement, prix onéreux, prestations médiocres au cours du pèlerinage…. le site s’est révélé un fiasco.

Un sondage réalisé il y a quelques mois par Musulmans de France, une plateforme d’aide humanitaire, l’a démontré dans une enquête faisant état de résultats très mitigés. Une grande partie des utilisateurs de Motawif ont par exemple trouvé que son utilisation était très difficile alors que 95 % des pèlerins questionnés ont affirmé qu’ils n’avaient pas de guides à disposition pour visiter les sites historiques de La Mecque et de Médine une fois sur place.

« Certaines personnes qui avaient annulé leur voyage à cause des dysfonctionnements du site n’ont même pas été remboursées », renchérit Safwan Taleb. Une information que nous ne sommes pas parvenus à confirmer.

Le jeu trouble de certaines agences de voyage

Le voyagiste craint d’ailleurs que les utilisateurs de Nusuk ne soient confrontés aux mêmes difficultés. « Qui va leur garantir la sécurité des prestations ? », demande-t-il, précisant que les pèlerins lésés n’ont pas vraiment la possibilité de se retourner contre les entreprises saoudiennes associées à la plateforme, comme les hôteliers.

Pour organiser l’arrivée et le séjour des pèlerins européens, américains et australiens, cette année, les autorités saoudiennes ont fait appel à des leaders du marché du pèlerinage avec lesquels des partenariats ont été conclus. La plupart, comme The Motawif Pilgrims for Southeast Asian Countries, a par exemple organisé au mois de mars des sessions pour la formation de guides pour les pèlerins étrangers.

« Les saoudiens cherchent à se faire la main pour ne pas rééditer la mésaventure de Motawif. D’où la limitation du nombre de pèlerins occidentaux. Mais rien ne dit qu’ils réussiront. Les grandes entreprises qu’ils ont choisi d’intégrer à Nusuk sont plutôt habituées à travailler avec des pays musulmans où une grande partie de l’opération hadj est déjà prise en charge par les ministères des Affaires religieuses », remarque Safwan Taleb, qui dirigeait avant le covid et la mise en place des plateformes d’e-booking deux agences à Paris.

« En regardant tous ces tarifs, on comprend vite que certains voyagistes peu scrupuleux veulent récupérer sur le dos des pèlerins l’argent qu’ils ont perdu depuis le covid et la dématérialisation des réservations »

- Fateh Kimouche, site d’informations Al-Kanz

Mais comme la plupart de ses collègues, il a dû suspendre ses activités. « De 68 agences [spécialisées dans le pèlerinage en France], il n’en reste que 10 », déplore-t-il.

Pour survivre, des enseignes ont surinvesti le marché de la oumra (petit pèlerinage). Cette année, l’Arabie saoudite les a également sollicitées en qualité de prestataires pour fournir des guides aux groupes de pèlerins en partance pour La Mecque.

Selon Fateh Kimouche, animateur du site d’informations Al-Kanz, cette offre de service s’explique par une volonté des Saoudiens d’« uberiser » certaines prestations, c’est-à-dire de les sous-traiter pour des raisons pratiques et afin d’anticiper les problèmes d’accompagnement survenus en 2020.  

En principe, les pèlerins qui optent pour un forfait sur Nusuk ont accès directement à l’identité du guide qui leur est attribué et de l’agence qui l’emploie.

Or, cela ne se passe pas toujours ainsi. « Dès l’ouverture de la plateforme en février, des agences de voyages ont commencé à diffuser des informations ambiguës, laissant entendre qu’elles avaient, comme auparavant, la main sur toute l’opération du pèlerinage. Elle ont promis à des clients de les inscrire sur la plateforme Nusuk et d’entreprendre toutes les démarches à leur place monnayant des acomptes qui atteignent parfois 2 000 euros », explique Fateh Kimouche à MEE.

« Certaines l’ont fait par malhonnêteté, d’autres pour s’assurer la rémunération des guides au cas où les autorités saoudiennes ne les paieraient pas », ajoute notre interlocuteur.

« C’était très stressant »

Asma, qui a refusé de régler les frais de dossier de 400 euros réclamés par son voyagiste, a dû renoncer finalement à accomplir le pèlerinage. « Soit je payais, soit je n’avais pas de guide. J’ai donc préféré annuler ma réservation », dit-t-elle complètement abattue.

Outre les acomptes et les frais de services injustifiés, certaines agences proposent différentes prestations inutiles comme Go Makkah, qui vend une formule d’accompagnement Gold comprenant des stages de préparation, une formation et une assistance religieuse à 950 euros.

« En regardant tous ces tarifs, on comprend vite que certains voyagistes peu scrupuleux veulent récupérer sur le dos des pèlerins l’argent qu’ils ont perdu depuis le covid et la dématérialisation des réservations », regrette le rédacteur d’Al-Kanz.

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Pourtant, depuis son ouverture, la plateforme Nusuk a multiplié les appels à la vigilance en rappelant aux utilisateurs qu’il ne fallait rien payer d’autre que le montant des forfaits (lesquels incluent les guides).

Toutefois, d’après Safwan Taleb et Fateh Kimouche, les explications fournies n’étaient pas suffisantes. Ils déplorent aussi le manque de communication des Saoudiens sur l’opération du pèlerinage à destination des musulmans résidant en Occident. Ce qui explique d’après eux le recours de beaucoup de personnes à des agences de voyage, à l’instar d’Asma ou encore Yannick, qui se prépare à partir à La Mecque après de nombreuses péripéties.

Le Français de 39 ans a contacté en janvier dernier un voyagiste qui, après lui avoir réclamé un acompte de 2 500 euros, l’a laissé se débrouiller seul pour réserver un forfait. « J’ai passé une partie de mon temps à décrypter le fonctionnement de la plateforme et le contenu des différents forfaits. Lorsque je suis parvenu à réaliser une réservation, je n’ai pas pu effectuer de paiement. Un message d’erreur s’affichait constamment », raconte-t-il à MEE.

« Après une journée entière, j’ai réussi finalement à effectuer un virement. Mais la validation a encore pris beaucoup de temps », relate le futur pèlerin, qui a dû également attendre quatre jours pour recevoir une confirmation de règlement de la part de Nusuk. Entre temps, la plateforme n’a pas cessé de lui envoyer des messages de rappel lui signifiant qu’il risquait de perdre sa réservation.

« C’était très stressant », confie-t-il, épuisé par le déroulement de l’opération. De son côté, Asma a perdu de l’argent puisqu’elle a dû payer des frais d’annulation, non communiqués à l’avance par Nusuk, de l’ordre de 450 euros.  

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