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« Ils peuvent à peine marcher » : les Palestiniens trop « affamés » pour quitter Rafah

Les ordres israéliens de quitter la ville du sud de Gaza n’ont aucun sens pour les Palestiniens incapables de se déplacer à cause de la famine, affirment les travailleurs humanitaires
Une fillette palestinienne pleure des proches tués lors de frappes israéliennes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 8 mai (Mohammed Salem/Reuters)

Lundi, l’armée israélienne a largué des tracts ordonnant aux Palestiniens déplacés par la guerre à Gaza et aux habitants de Rafah de quitter les lieux.

L’armée a écrit qu’elle était « sur le point d’opérer avec force contre les organisations terroristes dans la région ».

Selon une estimation de l’ONU, 1,2 million de personnes vivent dans des conditions désastreuses à Rafah, ville du sud de Gaza. La « famine généralisée » qui s’est installée dans le nord de la bande côtière s’est propagée dans le sud, a confirmé le week-end dernier Cindy McCain, la directrice du Programme alimentaire mondial de l’ONU.

Quelque 30 000 personnes fuient « chaque jour » la ville de Rafah et elles sont déjà plus de 110 000 à avoir cherché refuge ailleurs sur l’étroit territoire palestinien, ont indiqué des responsables de l’ONU vendredi.

Lors d’un point de presse en ligne, des médecins et travailleurs humanitaires sur le terrain à Gaza ont parlé de l’impossibilité de déplacer les gens de Rafah, alors que la population est en proie à la famine et à l’effondrement des systèmes de transport et de santé.

« Il y a des enfants et des personnes âgées qui sont tellement affamés qu’ils peuvent à peine marcher. Ces gens ne peuvent pas simplement s’installer dans une autre région, dans ce qu’on appelle des ‘’zones de sécurité’’. Ce n’est pas possible », a affirmé Alexandra Saieh, responsable de la politique humanitaire à l’ONG Save the Children.

Plusieurs travailleurs humanitaires ont déclaré qu’il n’existait pas de zone « sûre » dans la bande de Gaza où les gens pourraient s’installer. « Le concept de zones de sécurité est un mensonge », a commenté Helena Marchal, de Médecins du Monde.

Difficultés de circulation

Les travailleurs humanitaires ont également réitéré la difficulté d’acheminer l’aide à Gaza et de la distribuer ensuite. Les points de passage de Rafah et de Kerem Shalom, par lesquels la plupart de l’aide arrivait dans la bande de Gaza, sont fermés depuis dimanche soir.

Les routes à travers Gaza sont en grande partie détruites ou bloquées par les familles qui s’y abritent, ce qui contribue à rendre difficile la circulation des biens et des personnes. Seul un nombre très limité de routes, notamment entre le nord et le sud, sont disponibles à des fins humanitaires, a expliqué Jeremy Konyndyk, de Refugees International.

« Il y a des enfants et des personnes âgées qui sont tellement affamés qu’ils peuvent à peine marcher »

- Alexandra Saieh, Save the Children

Un autre problème est la surpopulation.

« À Deir al-Balah et dans la région de Mawasi, à la périphérie des gouvernorats de Rafah et Khan Younès, il n’y a pratiquement pas d’espace. Il y a des tentes partout, sur la plage, sur les trottoirs, dans les rues, dans les cimetières, dans les cours des hôpitaux, dans les cours des écoles », a décrit Ghada Alhaddad, d’Oxfam International.

Alexandra Saieh a expliqué qu’il avait fallu à son équipe six semaines et quatre tentatives infructueuses pour déplacer quelques centaines de colis alimentaires de Rafah vers le nord de Gaza.

« Un litre de carburant coûtait 40 dollars hier », selon Helena Marchal.

Le carburant entre par le passage de Rafah, dont Israël a pris le contrôle mardi.

« Toute l’opération d’aide fonctionne au carburant. Si le carburant est coupé, l’opération d’aide s’effondre », a expliqué Jeremy Konyndyk.

Malnutrition sévère

Le professeur John Maynard, un chirurgien britannique qui a passé les deux dernières semaines à opérer des Palestiniens à Gaza, a souligné les complications résultant directement de la malnutrition.

« J’ai eu deux patients, âgés de 16 et 18 ans, qui présentaient tous deux des blessures dont il était possible de survivre, [et] qui sont tous deux décédés la semaine dernière des suites directes de la malnutrition. »

« J’ai eu deux patients, âgés de 16 et 18 ans, qui présentaient tous deux des blessures dont il était possible de survivre, [et] qui sont tous deux décédés la semaine dernière des suites directes de la malnutrition »

- Nick Maynard, chirurgien

Son collègue le Dr Kahler a parlé d’un « point de bascule » après six à huit mois : « le système immunologique s’effondre ».

« C’est à ce moment-là que commenceront les infections et les complications liées à la malnutrition », a-t-il ajouté.

La famine, a expliqué un travailleur humanitaire, se caractérise par trois seuils : un manque grave et prolongé d’accès à la nourriture, des niveaux élevés de malnutrition infantile, et une mortalité très élevée due à la famine et à la maladie.

Tous les seuils ont été franchis dans le nord, a déclaré Jeremy Konyndyk.

« S’il y a une invasion de Rafah, cela poussera certainement les choses au-delà du point de bascule, et nous assisterons à une mortalité fulgurante liée à la famine. »

Traduit de l’anglais (original) et actualisé.

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