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Inondations en Libye : une société turque a déclaré avoir réparé le barrage de Derna. Mais l’a-t-elle fait ?

Alors que le site web d’Arsel Construction Company indiquait avoir achevé ce projet en 2012, la page en question a désormais disparu. MEE se penche sur ce que l’on sait de ce contrat
Une voiture est submergée par la boue après qu’un puissant orage et des pluies diluviennes ont frappé la Libye, le 16 septembre à Derna (Reuters)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

On estime qu’environ 20 000 personnes ont trouvé la mort lorsque les pluies de la tempête Daniel se sont abattues sur l’est de la Libye et ont provoqué l’effondrement de deux barrages importants près de la ville de Derna la semaine dernière.

Selon divers responsables et les informations relayées, les ouvrages étaient délabrés et n’avaient pas été entretenus ou rénovés depuis des années.

Les deux barrages d’Abou Mansour et Derna ont été construits à l’origine par une société yougoslave dans les années 1970 à l’aide de rochers et de terre. Ils ont retenu les eaux de crue dans la vallée qui traverse Derna jusqu’en 1998, date à laquelle les premières fissures ont été observées. 

Une société de conseil italienne a évalué les fissures et conclu que les dégâts étaient importants et qu’un troisième barrage devait être construit pour protéger la ville d’inondations soudaines. 

En 2007, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a fait appel à l’entrepreneur turc Arsel Construction Company pour effectuer les travaux de réparation et construire un troisième barrage.

Le site web de la société indiquait que les travaux sur les barrages de Derna et Abou Mansour avaient commencé en 2007 et fixait la « date d’achèvement » au 28 novembre 2012, l’année suivant la révolution libyenne qui a renversé Kadhafi. Ce site a été supprimé quelques jours après la catastrophe de Derna.

Selon le procureur général de Libye, al-Seqid al-Sour, la société n’a débuté ses travaux qu’en octobre 2010 en raison d’un manque de fonds, et les a interrompus moins de cinq mois plus tard à cause de la révolution. Il a ajouté que les travaux n’avaient jamais été achevés.

Mais que s’est-il réellement passé ?

De multiples explications ont été avancées pour justifier l’inachèvement des travaux (malgré les affirmations du site web d’Arsel). 

L’une d’elles est qu’Arsel n’a pas pu achever les réparations faute de paiement.

Abdel Hamid Dbeibah, Premier ministre du gouvernement libyen basé à Tripoli, en concurrence avec l’administration de l’est de la Libye, où se trouve Derna, a déclaré la semaine dernière que le projet de la société turque avait été interrompu parce qu’elle n’avait pas « fourni les budgets prévus dans le contrat pour le projet ».

Capture d’écran du site web d’Arsel, aujourd’hui disparu, qui indique que les travaux sur les barrages ont été achevés en 2012
Capture d’écran du site web d’Arsel, aujourd’hui disparu, qui indique que les travaux sur les barrages ont été achevés en 2012

Une autre explication pourrait venir du chaos qui a suivi la révolution.

Pendant la révolution, Kadhafi affirmait qu’al-Qaïda s’était implanté à Derna. Même si cela était faux, des groupes armés ont effectivement pris le contrôle de la ville.

« Des véhicules de chantier ont été saisis par les militants, notamment des camions, des grues et des voitures », indique le journal panarabe Al-Arab basé à Londres. « Les ingénieurs et les ouvriers turcs ont été contraints de rentrer au pays. »

Des sites attaqués pendant le soulèvement

Selon des informations publiées en 2011 dans le journal turc Habertürk, les chantiers d’Arsel ont été attaqués pendant le soulèvement.

« Nous avons six chantiers dans le pays. Quatre d’entre eux se trouvent à al-Marj, un à Derna et un à Benghazi. Ils ont fait irruption sur les chantiers à 2 heures la nuit dernière et les ont détruits. Mais tous ne présentent aucun danger », avait alors déclaré au quotidien Mendost Dirlik, l’associé d’Arsel.

« Nous avions au total 1 700 employés, dont 300 Turcs. Nous les avons tous rassemblés en lieu sûr à Benghazi. Nous les transporterons par groupes vers la Turquie. Nous avons une perte de 5 millions de dollars. L’État compensera ce préjudice. Le plus rassurant, c’est qu’aucun des travailleurs n’a même saigné du nez. »

Selon les informations relayées par Al-Arab, Arsel a tenté de reprendre le travail dans la ville à condition de récupérer les véhicules pillés, ce que les groupes armés ont refusé.

D’après Al-Arab, les groupes armés ont indiqué à la société qu’ils étaient prêts à coopérer seulement si sa direction acceptait de louer les véhicules à ceux qui les avaient pillés, les considérant comme un butin de guerre.

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En 2014, la ville est tombée entre les mains d’entités affiliées au groupe État islamique, ce qui a encore réduit les chances de voir les travaux se poursuivre.

Quant à l’argent, deux fonds d’une valeur de 2 millions de dollars réservés au projet ont été mis à disposition en 2012 et 2013 par le biais d’un crédit bancaire. Cependant, dans un rapport daté de 2021, le Bureau d’audit libyen a reproché au ministère des Ressources en eau de ne pas avoir clôturé les dotations de fonds après leur expiration.

Qu’est-il donc arrivé à la société ?

Arsel, fondée en 1989, a entamé une procédure d’insolvabilité en février 2017. Bien que la société ait été déclarée en faillite, ses deux actionnaires ont poursuivi la Libye en 2020 dans le cadre d’un arbitrage afin de recouvrer plus d’une douzaine de contrats prétendument impayés pour des travaux qu’elle aurait effectués dans le pays.

Selon une source proche du dossier, le barrage de Derna ne figurait pas parmi les contrats soumis à l’arbitrage. On ignore si cette absence est liée à une éventuelle réception de fonds pour le contrat portant sur les barrages.

Middle East Eye a tenté en vain de joindre des représentants d’Arsel. L’adresse figurant sur son site internet aujourd’hui disparu est désormais utilisée par un psychiatre.

Le registre du commerce et les archives judiciaires indiquent que les créanciers d’Arsel cherchent toujours à récupérer des fonds auprès de la société en 2023.

La source précise qu’une question juridique se pose quant à la possibilité pour les actionnaires d’Arsel de réclamer des dommages et intérêts à la Libye alors que la société est en situation d’insolvabilité.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Note de la rédaction : les propriétaires de la société Arsel Construction, aujourd’hui disparue, nous ont contactés par l’intermédiaire de leurs avocats pour préciser que la date d’achèvement mentionnée sur le site web de la société était « la date de fin prévue telle qu’indiquée dans le contrat ».

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