Inondations en Libye : la catastrophe de Derna est suivie d’une avalanche de traumatismes
Une semaine après les inondations qui ont rayé de la carte un quart de la ville libyenne de Derna, les enfants qui ont survécu à la catastrophe répètent sans cesse le même mot : de l’eau, de l’eau, de l’eau.
La répétition est un symptôme connu du stress post-traumatique chez les enfants, un problème auquel les survivants de Derna sont de plus en plus confrontés.
Dans les rues dévastées de Derna, des personnes au regard vitreux passent devant des secouristes qui récupèrent des corps sans vie.
Environ 20 000 personnes auraient été tuées lorsque la tempête Daniel s’est abattue sur l’est de la Libye, détruisant un barrage vétuste et provoquant des inondations soudaines d’une ampleur catastrophique.
Ces derniers jours, les secours se sont concentrés sur le ramassage des corps, par crainte de voir se propager des maladies. Mais pour les dizaines de milliers de Dernaouis qui ont survécu aux inondations, il y a une autre préoccupation urgente : une épidémie de troubles mentaux.
« J’ai rencontré de nombreux survivants présentant des symptômes de stress post-traumatique, qui leur donnent l’impression d’être piégés dans un cauchemar sans fin, à attendre constamment que quelqu’un les en réveille », explique à Middle East Eye Aida al-Nafati, une spécialiste tunisienne de la santé mentale qui vient en aide aux habitants de Derna.
« C’est presque une forme de déni de la catastrophe, et la peur persiste souvent après le traumatisme. »
Certains survivants n’ont pas dormi depuis les inondations. Ceux qui y parviennent affirment être hantés par des cauchemars. Le retour à la maison a été un déclencheur pour les Libyens déplacés par la catastrophe. Le sentiment de culpabilité chez les survivants est très répandu.
Les personnes qui ont retrouvé et identifié les corps de leurs proches ont trouvé un certain réconfort. Au moins, ils ont pu leur offrir un enterrement digne de ce nom. Mais avec quelque 10 000 personnes toujours portées disparues, l’incertitude quant au sort de ces personnes plonge les Dernaouis dans l’angoisse.
Comme beaucoup de Libyens, Ali Abdelhamid vivait à proximité de sa famille élargie : treize frères et sœurs et leurs familles partageaient deux immeubles adjacents. Pour des familles comme la sienne, cela signifie qu’en cas de catastrophe, tout le monde est en danger.
« Malheureusement, ma mère et mon frère vivaient au premier étage et nous n’avons pas pu les sauver de la montée des eaux. Je suis profondément attristé par leur disparition, mais je remercie Dieu de nous avoir permis de leur offrir un véritable enterrement. À ce jour, d’autres personnes n’ont pas encore pu retrouver les corps de leurs proches », confie à MEE cet homme d’une cinquantaine d’années.
« Tout peut être remplacé, mais pas notre chère mère. J’ai perdu ma tendre mère. »
Aida al-Nafati explique qu’elle essaie de convaincre ses interlocuteurs qu’ils n’auraient rien pu faire pour sauver leurs proches, afin de les aider à se délester du fardeau de la culpabilité.
« Tous sont profondément affectés par les horreurs dont ils ont été témoins ou par la perte d’êtres chers, mais ils s’efforcent également de faire preuve de résilience et de sang-froid face à cette tragédie », souligne-t-elle.
Les premiers soins psychologiques
Les enfants, quant à eux, font face à la catastrophe par le biais de reconstitutions. « Eau » n’est pas le seul mot qu’ils répètent. « Inondation », « voitures », « fuyons » sont autant d’autres mots qui sortent en boucle de leur bouche.
Parfois, ils s’amusent à imaginer que les inondations sont de retour. « Là, je suis mort », les entend-on dire, relatant méticuleusement leur expérience.
Aida al-Nafati et son équipe se concentrent sur les premiers soins psychologiques à apporter aux survivants. Ils encouragent les enfants à exprimer leurs émotions, leurs peurs et leur tristesse tout en leur donnant des explications rationnelles sur ce qui s’est passé. Ils espèrent ainsi favoriser l’émergence de pensées positives associées à l’événement pour remplacer les pensées négatives.
Mais l’équipe d’Aida al-Nafati est petite et les spécialistes comme elle sont rares sur le terrain à Derna. En parallèle, l’ampleur de la catastrophe est écrasante.
Des familles ont perdu plusieurs générations à la fois et il ne reste parfois qu’un seul survivant. Souvent, les gens ont vu mourir leurs proches.
« J’ai été témoin de trois types de morts », se souvient Mohsen. « Il y a eu un enfant étranglé par une corde à linge à cause de la force de l’inondation, et aussi une femme morte après avoir heurté un palmier. »
« La scène la plus horrible que j’ai vue est celle de ces familles qui criaient du haut d’un immeuble, emporté par les eaux du Seigneur comme s’il s’agissait d’un bateau, pour disparaître dans la mer quelques instants plus tard. Nous entendions des cris et des pleurs incessants, et quelques instants plus tard, ces bruits disparaissaient. »
Des communautés entières ont été anéanties, ainsi que les réseaux de soutien qu’elles offraient.
Mohammed pleure son quartier entier. « J’ai perdu la plupart de mes voisins et, comme on dit, “le voisin passe avant la maison”. En Libye, avant d’acheter une maison, on se renseigne sur les voisins. Je ne sais pas ce que serait la rue sans mes voisins », confie-t-il.
Aida al-Nafati apporte également un soutien psychologique aux équipes d’urgence et aux secouristes qui sont arrivés sur les lieux et ont été confrontés à des horreurs indicibles.
Mais il n’est pas toujours facile d’encourager les gens à s’ouvrir. Au traumatisme s’ajoutent des sentiments de fierté et d’intimité, des murs difficiles à abattre.
« Nous avons organisé des séances publiques et des séances privées avec les survivants, car nombreux sont ceux qui ont peur d’exprimer leurs sentiments en présence d’autres personnes, même s’il s’agit de membres de leur famille », explique la psychologue.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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