Inondations en Libye : la ville antique de Cyrène meurtrie et vulnérable au pillage
Au VIIe siècle av. J.-C., des colons grecs débarquèrent sur les côtes de la Libye orientale et commencèrent à gravir la région vallonnée connue aujourd’hui sous le nom de Montagne Verte.
Ils y fondèrent la ville de Cyrène, qui, 2 600 ans plus tard, donne toujours son nom à l’est de la Libye, la Cyrénaïque.
Aujourd’hui, la Cyrénaïque est en deuil. On estime que 20 000 personnes ont été tuées il y a une semaine, lorsque la tempête Daniel a sévi à travers l’est de la Libye et provoqué des inondations d’une ampleur catastrophique.
Des inondations soudaines ont détruit un quart des quartiers de la ville de Derna, à 100 km de la ville antique de Cyrène.
Le bilan humain dépasse l’entendement. Mais sur les pentes de la Montagne Verte, un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO et qui constitue un élément important de l’histoire culturelle de la Libye a également souffert.
Jeudi, Middle East Eye a découvert un site archéologique meurtri par les inondations et les glissements de terrain.
De nombreuses tombes, pierres funéraires et autres structures archéologiques datant des époques grecque, romaine et byzantine ont été ensevelies sous la boue ou entraînées par les torrents d’eau dans les vallées inférieures de la région de Mansoura.
Si certaines tombes ont été complètement submergées par les eaux, ailleurs, les forces destructrices ont révélé de nouveaux artefacts et de nouvelles structures dans le cadre d’une fouille archéologique brutale effectuée par la nature elle-même.
Dans l’Antiquité, Cyrène prospérait grâce à la culture du silphium, une herbe si populaire qu’elle fut consommée jusqu’à son extinction.
À l’époque grecque, elle abritait une école de philosophie fondée par un disciple de Socrate. À l’époque romaine, elle était connue pour son importante communauté juive.
Aujourd’hui, elle se trouve à côté de la ville moderne de Shahhat, l’une des plus grandes de la Montagne Verte, une région qui a été frappée pendant dix-sept heures par les pluies torrentielles de la tempête Daniel.
Interrogé par MEE, Anis Bou Ajayeb, de l’Autorité des antiquités de Shahhat, indique s’être rendu avec ses collègues dans le parc archéologique peu après le passage de la tempête pour évaluer les dégâts et avoir été alerté par des habitants de Mansoura.
Les eaux ont révélé des morceaux de marbre précédemment enfouis sous terre dans la partie sud du site.
Si les inondations ont enseveli certaines tombes et autres structures, elles en ont exposé d’autres.
« Les membres de l’Autorité des antiquités étudient les dégâts, identifient les sites touchés et procèdent à des examens », explique-t-il à MEE.
« Un rapport final sur les dégâts sera publié dans les prochains jours à l’issue de l’inspection de tous les sites. »
Des craintes pour d’autres sites
Si les travaux ont commencé à Cyrène, des craintes subsistent pour des sites antiques situés plus près du littoral.
Le port de Cyrène, Apollonie, qui fait aujourd’hui partie de la ville de Susah, ainsi qu’Érythron sont actuellement inaccessibles aux équipes archéologiques en raison de routes impraticables.
Anis Bou Ajayeb indique que selon les premières informations, ces sites ont subi d’importants dégâts.
Érythron, dont le nom dérive du mot grec signifiant « rouge » pour refléter la couleur rouille du sol de la région, abrite les vestiges d’une importante église byzantine qui présente encore des reliefs décoratifs complexes.
Lorsque les combattants du groupe État islamique ont contrôlé des zones de l’est de la Libye de 2014 à 2016, elle a également été victime de vandalisme.
Apollonie compte également plusieurs sites archéologiques importants.
Susah a cependant été particulièrement touchée par les inondations. Selon les informations relayées, des corps ont été rejetés par la mer plusieurs jours après la catastrophe qui a ravagé la ville.
D’après Anis Bou Ajayeb, une grande partie de ses antiquités aurait subi des dommages considérables.
Des habitants affirment à MEE que certains artefacts ont été emportés par la mer.
Fathallah Khalefa, professeur d’archéologie à l’Université Omar al-Mokhtar dans la ville d’al-Baïda, dans l’est de la Libye, affirme à MEE que les sites tels que Cyrène doivent être sécurisés et protégés dès que possible afin d’éviter que quiconque ne profite de la situation.
Les artefacts doivent selon lui être répertoriés et placés en lieu sûr, en particulier ceux qui présentent des décorations particulières ou une importance historique, ceci afin d’empêcher leur vente illégale sur le marché noir.
Si possible, le professeur recommande d’inspecter les zones touchées et de recenser les couches de sol en fonction de leur âge historique. Une étude complète sur le terrain devrait également être menée pour rechercher les nouveaux artefacts révélés.
Selon Fathallah Khalefa, il est essentiel que le patrimoine culturel et les monuments anciens de la Libye soient préservés, dans la mesure où ils font partie intégrante de l’histoire et de l’identité du pays, même si les vies humaines demeurent naturellement la priorité.
« Se focaliser sur leur protection peut contribuer à recenser le patrimoine et à favoriser la cohésion intergénérationnelle », estime-t-il.
« Le patrimoine culturel peut servir de ressource pour le redressement et la reconstruction après une catastrophe. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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