« Tout ceci me donne envie de vomir » : colère et désespoir après la grâce offerte par Trump aux ex-agents de Blackwater
« En 2007, quatre contractuels de Blackwater ont ouvert le feu dans un carrefour bondé de Bagdad, tuant quatorze civils irakiens. Cette semaine, Donald Trump leur a accordé des grâces inconditionnelles. C’est une honte pour notre pays et pour la primauté du droit », a tweeté samedi 26 décembre la membre démocrate du Congrès américain Ilhan Omar.
Les quatre Américains avaient été reconnus coupables d’avoir pris part à une fusillade à Bagdad le 16 septembre 2007, un épisode sanglant qui avait provoqué un scandale international mettant notamment en exergue le recours à des sociétés privées par l’armée américaine. Ce qui avait accru le ressentiment des Irakiens à l’égard des États-Unis.
« Tout ceci me donne envie de vomir », a jugé l’ancienne sénatrice démocrate Claire McCaskill, qui siégeait à la commission des Forces armées de la Chambre haute. « Cette grâce déshonore notre armée de façon indicible. »
Des Irakiens ont également réagi avec indignation à la décision du président américain sortant.
« J’ai perdu tout espoir il y a longtemps », a déclaré à l’AFP Fares Saadi, l’officier de police irakien qui a mené les enquêtes sur les fusillades de la place Nissour, lieu très fréquenté de la capitale irakienne.
« Je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai pris des gens, les ai conduits à l’hôpital, j’ai pris des dépositions, mais je savais que nous ne verrions pas la justice », a-t-il raconté à l’AFP par téléphone.
L’un des agents, Nicholas Slatten, a été condamné à une peine de prison à perpétuité. Les trois autres avaient été condamné à 30 ans de prison mais avaient vu leur peine divisée au moins par deux en 2019.
Bagdad demandera à Washington de « revoir sa décision »
« J’ai tout suivi, la réduction [de peine] a été graduelle », ajoute Fares Saadi. À l’époque, les agents de Blackwater avaient affirmé avoir agi en état de légitime défense.
L’équipe de Blackwater, engagée pour assurer la sécurité des diplomates américains en Irak après l’invasion des États-Unis en 2003, avait affirmé qu’elle répondait à des tirs d’insurgés.
Le ministère irakien des Affaires étrangères a indiqué, mercredi dernier, qu’il demanderait à Washington de « revoir sa décision », en « contradiction » selon lui avec « l’attachement déclaré de l’administration américaine aux droits humains, à la justice et à l’État de droit ».
Les Brigades du Hezbollah, faction irakienne pro-Iran la plus radicale, a déclaré que les États-Unis « se leurraient en pensant que ces crimes seraient oubliés ».
La grâce présidentielle américaine est intervenue quelques semaines seulement après que la Cour pénale internationale a mis fin à une enquête préliminaire sur les crimes de guerre présumés commis par les troupes britanniques en Irak après l’invasion.
Ces décisions ont montré qu’il y avait peu de respect pour les droits humains à l’étranger, a pour sa part déclaré Ali Bayati, membre de la Commission des droits de l’homme en Irak, un organisme lié au gouvernement.
« C’est un affront mais nous ne sommes pas surpris. Les Américains ne nous ont jamais traités comme des êtres à égalité avec eux »
- Une des proches des victimes
« La dernière décision confirme les violations des droits humains et du droit international par ces pays », a-t-il déclaré à l’AFP.
« Ils accordent l’immunité à leurs soldats alors même qu’ils prétendent protéger les droits humains. Il n’y a jamais eu de procès sur les morts de Bagdad », a-t-il déploré.
Blackwater s’était vu retirer sa licence pour opérer en Irak et le département d’État américain n’avait pas renouvelé son contrat avec l’entreprise. Mais le groupe, qui a maintes fois changé de nom puis fusionné avec d’autres entreprises de sécurité, est aujourd’hui actif en Irak grâce à sa filiale « Olive ».
Le procès aux États-Unis était « une blague, et maintenant ils sont libérés […] le président américain a ainsi prouvé que les États-Unis ont bien occupé [l’Irak] et ne l’ont pas libéré », affirme avec amertume Mohammed al-Shahmani, un habitant de Bagdad.
Toutes les familles de victimes avaient accepté des compensations de Blackwater, sauf une. Celle de Ahmad, étudiant en médecine de 20 ans, et sa mère Mahasin, tués dans la fusillade.
« Nous étions tous dévastés à l’école » de médecine, a raconté à l’AFP une ancienne camarade d’Ahmad sous le couvert de l’anonymat.
« C’est un affront mais nous ne sommes pas surpris. Les Américains ne nous ont jamais traités comme des êtres à égalité avec eux », ajoute-t-elle. « Notre sang est moins cher que l’eau pour eux, et nos demandes pour réclamer justice sont un léger désagrément. »
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