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Des Iraniens s’insurgent contre une campagne de promotion du tourisme « irréaliste »

Pour ses détracteurs, la campagne « Feel Iran » dissimule les difficultés économiques du pays et ne reflète pas le code vestimentaire en vigueur
Plusieurs pays occidentaux, à commencer par les États-Unis et le Canada, déconseillent de se rendre en Iran (Feel Iran/Instagram)
Plusieurs pays occidentaux, à commencer par les États-Unis et le Canada, déconseillent de se rendre en Iran (Feel Iran/Instagram)

Une campagne internationale de promotion du tourisme en Iran lancée au début du mois par une influenceuse pour encourager les gens à visiter le pays a suscité de vives réactions. Certains y voient une tentative de dissimulation de la réalité de la vie dans la République islamique.
 
Ses détracteurs reprochent à la campagne Feel Iran de ne montrer que les aspects pittoresques du pays pendant que de nombreux Iraniens souffrent de difficultés économiques ou de la répression sociale et politique.
 
Gérée par Hoda Rostami, une voyageuse et influenceuse populaire en Iran, et vraisemblablement soutenue par le gouvernement, cette campagne est le second volet d’une initiative lancée en août 2019. 

Traduction : « Sérieusement, dans quel restaurant ou espace public pouvons-nous, Iraniennes, nous asseoir vêtues ainsi ? […] De quel Iran parle cette femme ? »  »

Les photos et vidéos de la campagne sont l’œuvre de Hoda Rostami et d’autres blogueurs, influenceurs et photographes internationaux.

Si le premier volet avait reçu un accueil plutôt positif en Iran comme à l’étranger, le second indigne de nombreux Iraniens.

Dans un pays où les femmes sont souvent harcelées par la police des mœurs quand elles ne respectent pas le strict code vestimentaire iranien, la photo où on voit Hoda Rostami parler à un homme alors qu’elle ne porte pas de hijab a particulièrement attiré l’attention, surtout celle des femmes.

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Une internaute qui a partagé la photo a tweeté : « Sérieusement, dans quel restaurant ou espace public pouvons-nous, Iraniennes, nous asseoir vêtues ainsi ? […] De quel Iran parle cette femme ? » 

Une autre a partagé une photo issue de la page Instagram de Rostami la montrant sans hijab juxtaposée à celle d’une activiste iranienne pour les droits des femmes condamnée à plusieurs années de prison pour avoir retiré le sien. 

Elle explique que sur la première photo, on voit Hoda Rostami, « influenceuse chargée de sublimer le hijab obligatoire », tandis que sur l’autre, on voit Saba Kord Afshari, condamnée à 24 ans de prison pour « avoir fait la promotion de l’immoralité et de la prostitution en retirant son hijab en public ».

Plus tôt cette année, la cour suprême iranienne a commué la peine de Saba Kord Afshari, la ramenant à cinq ans.

« Ennemis de l’Iran »

Certains Iraniens critiquent par ailleurs le timing vraiment mal choisi de cette campagne qui promeut le hijab obligatoire alors que la société réclame une évolution du code vestimentaire strict du pays. 

Une publication, en particulier, a exaspéré les Iraniens : les influenceurs étrangers participant à la campagne Feel Iran y encensent le hijab, « qui protège même la peau du soleil ».

Les images d’Iraniennes harcelées par la police des mœurs sont une tendance populaire sur les réseaux sociaux.

Exemple médiatisé, Reza Moradkhani et sa femme Maria Arefi (tous deux champions nationaux de boxe) ont été attaqués par la police des mœurs en avril alors qu’ils se trouvaient dans un parc public.

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Les policiers ont mis en garde Maria Arefi, qui était avec sa fille de 11 mois, à propos de son hijab, avant de tirer dans la jambe de Reza Moradkhani quand il s’est insurgé contre la façon dont ils étaient traités. 

Après la médiatisation de l’incident, plusieurs Iraniens ont raconté sur les réseaux sociaux leurs propres mauvaises rencontres avec la police religieuse.

En dépit des critiques, Hoda Rostami a également reçu du soutien pour sa campagne. 

Bon nombre de ses soutiens la remercient pour avoir montré la beauté de l’Iran au monde par l’intermédiaire des influenceurs internationaux. 

Ils accusent aussi ses opposants d’être « irrationnels » ou des « ennemis de l’Iran » qui sont contre tout effort visant à dépeindre le pays de manière positive à un moment où les grands médias internationaux donnent généralement une image négative de l’Iran.

Ali Nasri, un de ceux tweetant son soutien à la campagne, estime que le volume des attaques contre Hoda Rostami dans le « cyberspace et les médias en farsi » n’était pas proportionné à « son crime ».

Il fait valoir que ces campagnes ne sont pas destinées à détruire l’industrie touristique du pays mais qu’il s’agit plutôt d’une « leçon » pour tout Iranien qui ose montrer que la vie continue en Iran, malgré tous ses problèmes.

Interférence occidentale

Se défendant sur ses réseaux sociaux, Hoda Rostami assure que ses efforts ne visent qu’à « encourager le tourisme » et que « mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité ».
 
Mais selon ses détracteurs, elle se victimise alors que la couverture médiatique de sa campagne a été perçue par beaucoup comme la preuve que son initiative a été soutenue par les autorités iraniennes.

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Un grand nombre d’Iraniens qualifient d’« irréaliste » l’Iran dépeint dans cette campagne qui ne fait que projeter l’image que les autorités veulent donner à voir aux étrangers.

Face aux critiques, les médias étatiques continuent d’avancer que les voyages de Hoda Rostami s’inscrivent simplement dans le cadre des efforts du secteur privé pour stimuler le secteur touristique iranien en réaction aux efforts occidentaux pour empêcher sa reprise après la pandémie.

Avant la pandémie de covid en 2019, les recettes touristiques de l’Iran dépassaient les 11 milliards de dollars et le pays arrivait deuxième en matière de croissance selon l’Organisation mondiale du tourisme. 

Plusieurs pays occidentaux, notamment les États-Unis et la France, déconseillent de se rendre en Iran. 

Paris déconseille à ses ressortissants tout voyage dans le pays, « notamment en raison des pratiques d’arrestation et de détention arbitraires de la part des services de sécurité et de renseignements iraniens auxquelles tout visiteur, y compris simple touriste, peut se trouver exposé ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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