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Iran : des détenues se plaignent de harcèlement sexuel lors de fouilles corporelles

Les menaces de violences sexuelles sont monnaie courante dans les prisons iraniennes, selon des militantes arrêtées lors de manifestations
Une femme passe devant un drapeau iranien peint sur un mur dans une rue de Téhéran, le 10 avril 2023 (AFP)

Dans le sillage des protestations contre la mort en détention de Mahsa Amini, jeune femme kurde de 22 ans arrêtée pour « port inapproprié du hijab » à Téhéran, de nombreuses Iraniennes ont publiquement désobéi aux lois imposant le port du foulard.

Pris de panique, des responsables ont tenté de faire appliquer de nouvelles réglementations en matière de codes vestimentaires féminins afin de préserver la « décence » des femmes, un élément de base de la République islamique depuis la révolution de 1979.

Mais pour les femmes détenues par les services de sécurité, c’est une tout autre histoire : nombre d’entre elles ont fait état de fouilles corporelles intrusives et humiliantes ainsi que de harcèlement sexuel de la part d’agents de police et des renseignements.

« Je me sentais tellement gênée. J’ai essayé de couvrir les parties intimes de mon corps avec mes mains », a déclaré Mojgan Keshavarz, une militante des droits des femmes, évoquant la fouille à nu subie quand elle était détenue par les Gardiens de la révolution islamique en 2019.

Elle avait été arrêtée après avoir défié la loi sur le port obligatoire du hijab lors de la Journée internationale des femmes, offrant des roses blanches aux femmes dans le métro de Téhéran.

« La gardienne a crié : ‘’Tourne-toi vers moi et enlève tes mains. Maintenant, ouvre tes jambes et fais un squat.’’ »

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La gardienne lui a dit qu’elle devait répéter le mouvement plusieurs fois afin de « s’assurer qu’[elle n’avait pas] caché un petit téléphone portable dans [son] vagin ».

Mojgan Keshavarz a été placée à l’isolement au centre de détention de Vozara à Téhéran et dans le quartier des « prisonniers dangereux » de la prison de Qarchak avant d’être remise aux services de renseignement des Gardiens de la révolution.

Elle a d’abord été forcée d’enlever tous ses vêtements dans une pièce appelée « la section des caméras ».

« Ils m’ont emmenée à la section des caméras et m’ont dit que je devais me déshabiller pour prendre des photos de mon corps. Je leur ai demandé pourquoi et ils ont répondu : ‘‘Parce que quand tu partiras d’ici, tu ne pourras pas prétendre que tu as été torturée’’ », a déclaré la jeune femme, qui a fini par purger trois ans de prison.

« C’est ça que tu veux »

Mojgan Keshavarz a fait ces commentaires dans une série de tweets qui sont devenus viraux sur les réseaux sociaux persans au début du mois.

Immédiatement après, d’autres anciennes détenues, des militantes des droits des femmes et une actrice de premier plan ont également commencé à partager leurs expériences de fouilles à nu.

Deux anciennes détenues qui se sont entretenues avec Middle East Eye sous le couvert de l’anonymat ont confirmé que les forces de sécurité et les agents du renseignement avaient largement recours au harcèlement sexuel et aux menaces de viol pour mettre les dissidents sous pression pendant leur détention.

« La police anti-émeute m’a arrêtée et avant de me mettre dans le fourgon de police, un officier en civil, qui semblait être le commandant du groupe, s’est approché et a commencé une fouille corporelle au cours de laquelle il a brutalement touché mes seins et mes organes sexuels », témoigne une manifestante arrêtée en octobre lors des vastes manifestations antigouvernementales ayant suivi la mort de Mahsa Amini.

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« Quand j’ai crié sur l’officier pour qu’il arrête de me toucher, il a dit : ‘‘Ne te plains pas, c’est ça que tu veux. C’est pour ça que tu manifestes dans les rues.’’ »

Après un mois de détention provisoire, elle a été libérée et le tribunal l’a innocentée de toutes charges.

Une autre détenue contactée par MEE, arrêtée fin septembre puis libérée après l’amnistie générale de février déclarée par le guide suprême Ali Khamenei, dit avoir fait l’objet de menaces de viol à plusieurs reprises au cours des interrogatoires et dans les couloirs menant aux salles d’interrogatoire.

« Il était habituel d’entendre au quotidien les interrogateurs dire ‘’tartibet ro midim’’ », une expression en farsi familièrement utilisée dans le sens de forcer quelqu’un à avoir des rapports sexuels.

« Une fois les yeux bandés, un gardien m’a emmenée dans la salle d’interrogatoire. Dans le couloir, avant d’entrer dans la salle, j’ai entendu un de mes interrogateurs dire en riant : ‘‘Personne ne l’a encore [violée] ? Faisons-le ici, il n’y a pas de caméras.’’ »

Les protestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini ont été les plus importantes qu’ait connues l’Iran depuis des années, mais une combinaison d’arrestations massives, d’exécutions et de menaces les a largement fait disparaître.

Selon Iran Human Rights (IHR), une organisation basée en Norvège, 278 personnes ont été exécutées cette année seulement.

Un avocat qui a défendu plusieurs militants politiques ces dernières années explique à MEE que la menace de viol ne se limite pas aux femmes : selon lui, de jeunes hommes arrêtés lors des manifestations de l’année dernière ont également signalé avoir fait l’objet de menaces similaires.

« Des centaines de plaintes pour harcèlement sexuel et menaces de viol ont été documentées ; certains cas ont même été signalés au système judiciaire, mais le système n’a aucune envie d’écouter ces plaintes », déplore l’avocat, qui a requis l’anonymat.

« Les fouilles à nu et les attouchements sexuels sont des méthodes systématiquement utilisées par les gardiens de prison et les agents des renseignements des [Gardiens de la révolution] pour briser la résistance des femmes détenues.

« Mais l’année dernière, elles ont été utilisées à une échelle sans précédent en raison du grand nombre de femmes arrêtées lors des manifestations. »

Traduit de l’anglais (original).

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