Des Iraniens exaspérés par l’obsession du hijab en pleine crise économique défient les autorités
La nouvelle initiative déployée par la police iranienne pour veiller au respect du code vestimentaire strict du pays, visant à identifier les femmes non voilées à l’aide des caméras de surveillance de la circulation, a déjà provoqué un tollé populaire dans une société où le non-port du hijab est de plus en plus courant.
Ce mois-ci, la police a commencé à s’appuyer sur les caméras de surveillance de la circulation pour identifier les femmes sans hijab, dans le cadre de la mise en œuvre du « plan pour la chasteté nationale et le port du hijab ».
À la première infraction, les femmes épinglées reçoivent « un message d’avertissement quant aux conséquences » de leurs actes. À la deuxième infraction, elles s’exposent à une saisie de leur véhicule ainsi qu’à des poursuites judiciaires.
Cependant, alors que la crise économique frappe toujours le pays et que de plus en plus de femmes refusent de porter le foulard en public depuis les manifestations antigouvernementales nées en 2022, de nombreux Iraniens se disent exaspérés par l’obsession du gouvernement pour la tenue des femmes.
Interrogé par Middle East Eye, Morteza, chauffeur de taxi d’une trentaine d’années, s’oppose catégoriquement à l’application forcée du code vestimentaire en Iran.
« Moi aussi, j’ai reçu un message d’avertissement de la police. Mais je n’écouterai pas ces conneries », fulmine-t-il.
« Je tiens au hijab, mais je n’ai pas le droit de forcer les femmes [à le porter]. »
« Ils pensent que nous allons reculer et ignorer tous les sacrifices qui ont été faits ces derniers mois pour la liberté des femmes »
– Somayeh
Pour protéger l’intimité de ses passagères non voilées, Morteza prévoit d’installer des pare-soleil sur les vitres de sa voiture afin que les caméras ne puissent pas les identifier.
La surveillance ne se limite pas au trafic, puisqu’elle porte également sur le respect du code vestimentaire féminin dans les lieux publics, y compris dans les centres commerciaux et dans les rues en général. La police exhorte les chefs d’entreprise à « contrôler sérieusement le respect des normes sociétales par des inspections scrupuleuses ».
Dans sa première déclaration depuis le déploiement des nouvelles mesures, Saeed Montazerolmahdi, porte-parole des services de police, a soutenu que les femmes non voilées « sembl[aient] venir d’une autre planète » et « ignor[aient] les coutumes et les normes » de l’Iran.
Il a ajouté que dans les premières 24 heures suivant la mise en œuvre du plan, la police avait envoyé quelques centaines de SMS d’avertissement à des conductrices et plus de 3 500 autres à des propriétaires de magasins.
La police a également envoyé des millions de SMS à la population pour lui rappeler de respecter la législation en matière de port du hijab, a-t-il ajouté.
Un combat de longue haleine pour les femmes
Depuis la mort de Mahsa Amini, jeune femme décédée en garde à vue l’an dernier après avoir été arrêtée pour avoir prétendument porté son hijab de manière « inappropriée », de nombreuses citoyennes retirent le voile et l’affirment publiquement en ligne.
Les récents efforts déployés par les autorités en Iran pour imposer le port du hijab ont suscité une nouvelle vague de défiance chez les jeunes femmes. Sur les réseaux sociaux, certaines vont même jusqu’à se moquer du chef des services de police, Ahmad Reza Radan, réputé pour sa brutalité à l’égard des manifestants et son intransigeance face aux styles vestimentaires « déviants ».
En publiant des photos d’elles-mêmes avec la légende « Où es-tu Radan ? », ces femmes attirent l’attention sur une répression gouvernementale qu’elles jugent absurde.
Défiant elle aussi le port obligatoire du hijab, une femme a récemment couru dans toute la ville d’Ispahan, dont Ahmad Reza Radan est originaire, sans hijab et vêtue d’un haut sans manches et d’un short.
Somayeh, une femme de 29 ans travaillant dans une start-up, affirme à MEE que les femmes ne sont pas intimidées par les menaces d’Ahmad Reza Radan.
« Ils pensent que nous allons reculer et ignorer tous les sacrifices qui ont été faits ces derniers mois pour la liberté des femmes », soutient-elle.
« Lorsque je suis sortie hier sans hijab, j’ai vu de nombreuses femmes comme moi dans toute la ville. Cela signifie que les gens n’ont pas été intimidés par les menaces de Radan et qu’il ne peut rien faire du tout. »
Des tactiques policières autoritaires
De nombreux citoyens estiment que les tactiques de la police sont autoritaires et excessives. Le manque de précision des caméras de surveillance de la circulation fait également l’objet de moqueries de la part d’hommes comme de femmes.
L’ecclésiastique réformiste Mohammad-Ali Abtahi a ouvertement mis en doute les facultés des caméras.
« J’ai reçu un SMS me rappelant de porter le hijab ! J’étais seul dans la voiture ! [Les caméras de surveillance du trafic] sont si intelligentes qu’elles considèrent la robe et le turban comme un hijab », a tweeté l’ancien vice-président sous Mohammad Khatami.
Des doutes subsistent en effet quant à l’efficacité des mesures policières visant à faire respecter le code vestimentaire à l’aide de ces caméras.
En 2021, un haut responsable des services de police indiquait qu’environ 4 500 caméras étaient déployées dans seulement sept villes iraniennes pour enregistrer les infractions, sachant que 49 % de ces appareils étaient défectueux et hors service.
Une économie en lambeaux
En parallèle, les citoyens ordinaires, accablés par les difficultés économiques, sont de plus en plus frustrés par les « priorités mal placées » du gouvernement.
L’économie iranienne est durement touchée depuis plusieurs mois, dans la mesure où Washington a renforcé ses sanctions contre Téhéran en réponse à la répression et à l’échec probable des négociations entre l’Iran et les États-Unis visant à relancer l’accord sur le nucléaire de 2015.
En février, le rial avait perdu 58 % de sa valeur en six mois. Alors que le rial s’échangeait à environ 29 000 tomans contre le dollar américain en septembre, il a désormais dépassé les 46 000 tomans (un toman équivaut à 10 rials).
« Il est choquant de voir que les gens sont détruits par cette situation économique terrible, mais que tout ce qui intéresse ce gouvernement stupide, c’est ce foulard sur la tête des femmes »
– Reza, vendeur d’appareils électroménagers
Interrogé par MEE, Reza, vendeur d’appareils électroménagers, fait part de ses préoccupations.
« Je me fiche complètement de toutes ces menaces et du hijab. Je veux juste joindre les deux bouts et pouvoir régler mes dettes », affirme-t-il.
« Il est choquant de voir que les gens sont détruits par cette situation économique terrible, mais que tout ce qui intéresse ce gouvernement stupide, c’est ce foulard sur la tête des femmes. »
La police a essuyé un autre revers majeur à la mi-avril lorsque l’actrice Pantea Bahram a assisté à la première projection du dernier épisode de la série The Lion Skin sans hijab, entourée de nombreux jeunes fans. Le lendemain, le directeur du cinéma a été démis de ses fonctions par le ministère de la Culture.
En Iran, le non-port du hijab est devenu un symbole de résistance et de défiance face au code vestimentaire de la République islamique.
Un symbole de défiance
De nombreuses jeunes femmes déambulent désormais dans les rues et les lieux publics sans foulard, un phénomène de plus en plus courant à mesure que la météo s’adoucit. Avec l’arrivée du printemps, un grand nombre de femmes choisissent de ne pas porter le hijab, ce qui inquiète de plus en plus les conservateurs.
Leurs partisans organisent des rassemblements devant des bâtiments gouvernementaux et exhortent les autorités à agir face à la situation.
L’interdiction de l’accès aux services dans les aéroports fait partie d’un régime de sanctions prévu dans le cadre d’un plan préparé par le Parlement, dominé par les conservateurs, pour sévir contre les femmes qui enfreignent la législation en matière de port du hijab. Parmi les autres sanctions prévues par le plan figure le retrait du permis de conduire et du passeport.
Début avril, au premier jour de la réouverture des écoles et des universités, le ministère de l’Éducation et le ministère des Sciences, de la Recherche et de la Technologie ont fait savoir que les étudiantes sans hijab se verraient refuser l’accès aux « services éducatifs ».
Cette mesure a suscité un tollé sur les réseaux sociaux, où de nombreux internautes ont formulé des mises en garde contre les répercussions d’une telle initiative.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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