Aller au contenu principal

Iran : de plus en plus de responsables suggèrent des réformes pour apaiser les manifestants

Des conservateurs influents affirment que le changement est en cours, tandis que d’autres spéculent sur le fait que les autorités pourraient simplement fermer les yeux sur les femmes sans hijab
Une femme passe à côté d’une fresque à Téhéran, le 11 octobre (AFP)
Une femme passe à côté d’une fresque à Téhéran, le 11 octobre (AFP)
Par Correspondant de MEE à TÉHÉRAN, Iran

En Iran, les deux mois de manifestations sans précédent contre la loi sur le hijab et contre la « police des mœurs » ont amené des responsables à suggérer que les politiques de la République islamique en matière de tenue vestimentaire des femmes pourraient faire l’objet d’une réforme.

En marchant dans les rues de Téhéran, on peut désormais voir de nombreuses jeunes femmes sans voile. Certaines en portent, mais il est simplement posé sur leurs épaules.

Ce phénomène suscite encore la surprise, mais jour après jour, voir des femmes sans hijab devient normal, tandis que la police garde visiblement ses distances.

Fahimeh, âgée d’une vingtaine d’années, confie à Middle East Eye : « Notre génération ne portera plus le hijab, à moins d’y croire, que ça plaise ou non au gouvernement. Nous ne les laisserons pas nous enlever cette liberté. »

Les manifestations font rage en Iran depuis deux mois (AFP)
Les manifestations font rage en Iran depuis deux mois (AFP)

Selon les organisations de défense des droits de l’homme, plus de 300 personnes ont été tuées dans les manifestations depuis le décès de Mahsa Amini (22 ans) en garde à vue après avoir été arrêtée à cause de son hijab.

« Cette liberté est le résultat des sacrifices de beaucoup de gens de ma génération qui sont descendus dans la rue et ont été tués. Nous la chérirons et la protégerons toujours », ajoute Fahimeh, qui porte désormais son voile sur ses épaules en public.

Des cadres de l’establishment s’expriment

Conseiller du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et ex-président modéré du Parlement, Ali Larijani suggère que la loi sur le hijab pourrait connaître le sort de celle sur les antennes paraboliques.

Il y a 30 ans, la police iranienne faisait irruption dans les maisons pour enlever les antennes paraboliques qui diffusaient les chaînes persanes interdites par le Parlement.

Iran : quand une partie de la société ne souhaite plus se plier au port obligatoire du voile
Lire

Mais après 20 ans d’intrusions répétées, on a vu de plus en plus de paraboles sur les toits iraniens.

Au bout du compte, les autorités ont simplement abandonné, fermant les yeux sur les antennes paraboliques sans abroger la loi.

« Nous devrions agir pour le hijab comme nous l’avons fait avec la loi sur l’interdiction des antennes paraboliques », déclarait Larijani le mois dernier.

Ezzatollah Zarghami, personnalité conservatrice et ministre du Tourisme, a quant à lui déclaré à un groupe d’étudiants : « Aujourd’hui, les jeunes filles et étudiantes marchent dans les rues sans foulard. Et alors ? Est-ce que l’absence de hijab a détruit la révolution et le système ? »

Il a poursuivi : « Il est nécessaire de procéder à des réformes et nous devrions le faire maintenant. »

Certains opposants de la République islamique – et même certains en son sein – pensent que revenir sur les règles strictes de l’Iran concernant la tenue vestimentaire des femmes pourrait être le début du délitement du système de gouvernement en Iran.

Cependant, Zarghami, considéré comme une personnalité influente de l’establishment, insiste sur le fait que cela ne détruira pas la République islamique.

« Il est nécessaire de procéder à des réformes et nous devrions le faire maintenant »

- Ezzatollah Zarghami, ministre du Tourisme

« Il y a trois groupes d’opposants [aux réformes] : ceux qui ne veulent rien savoir, ceux qui bénéficient du statu quo et ceux qui cherchent l’approbation du Conseil des gardiens », a-t-il expliqué, faisant référence à l’organisme conservateur qui a le droit de veto sur les candidats aux élections présidentielles et parlementaires.

Ezzatollah Zarghami n’est pas le seul conservateur à appeler au changement.

Le président du Parlement Mohammad Baqer Qalibaf a également exprimé la nécessité de réformes – ainsi que de la fin des manifestations.

De son côté, le député conservateur Jalal Rashidi Kouchi a rapporté qu’il avait été décidé de mener des réformes dans le système politique, « mais la situation est volatile et nous attendons que le climat s’apaise pour prendre ces mesures ».

« On a dû faire des erreurs », a-t-il concédé.

Y aura-t-il des réformes ?

Ces propos sont rassurants pour les nombreux Iraniens qui désirent une meilleure qualité de vie pour les femmes et la fin des mesures draconiennes qui leur sont imposées. Mais peut-on s’y fier ?

« Je ne sais pas dans quelle mesure les conservateurs disent la vérité ou si c’est juste un stratagème pour apaiser la situation », a déclaré un journaliste politique de Téhéran à MEE, s’exprimant sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.

Mahsa Amini : les manifestations en Iran suscitent la sympathie de tous les pans de la société
Lire

« Zarghami et Qalibaf figurent parmi les modérés du courant radical au pouvoir, mais ils n’ont pas le pouvoir de réaliser des changements positifs. Larijani n’est pas non plus au pouvoir, il n’a même pas pu se présenter à la présidentielle. »

Au final, indique le journaliste, la décision reviendra exclusivement à Khamenei. « Mais ce serait bien s’ils laissaient les jeunes femmes sortir sans porter le hijab. C’est un grand progrès. Les choses seront plus claires dans quelques semaines. »

Une autre ancienne personnalité des conservateurs explique à MEE que ces récentes déclarations indiquent qu’« il y a eu des discussions dans des cercles importants ».

« Mais d’après moi, on ne sait toujours pas clairement comment ils peuvent surmonter l’opposition des ultraconservateurs qui sont plus puissants dans l’establishment », nuance la source.

« L’establishment est à un tournant. Il doit décider d’appliquer sa version de la charia dans son intégralité ou se soumettre aux demandes de la société, du moins dans une certaine mesure, tout comme les forces de police ne demandent plus aux jeunes femmes de couvrir leurs cheveux. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].