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Après l’attaque surprise palestinienne, Israël « n’est plus maître de sa destinée »

L’analyste israélien Meron Rapoport affirme à MEE que l’armée et les services de renseignement israéliens sont à leur niveau le plus bas, et que cela pourrait être fatal à Netanyahou et à son gouvernement de colons
« Quoi qu’il en soit, Netanyahou a subi un coup énorme » et, pense Meron Rapoport, « fatal pour son autorité » (AFP/Menahem Kahana)
« Quoi qu’il en soit, Netanyahou a subi un coup énorme » et, pense Meron Rapoport, « fatal pour son autorité » (AFP/Menahem Kahana)

Israël se retrouve dans une situation où il « n’est plus maître de sa destinée », a déclaré à Middle East Eye le célèbre analyste politique israélien Meron Rapoport.

L’ampleur des combats lancés par le Hamas et d’autres factions palestiniennes sur le territoire israélien est sans précédent depuis 1948, lorsque l’État d’Israël est né de la guerre israélo-arabe et de l’épuration ethnique des Palestiniens.

Même le niveau de surprise après l’attaque de l’Égypte en 1973 alors qu’Israël fêtait Yom Kippour n’était, selon lui, pas aussi important.

Il décrit des services de renseignement israéliens « en état de choc » et explique que la confiance israélienne en l’armée « a été profondément ébranlée ». 

Plus de 600 personnes ont été tuées en Israël et le mouvement palestinien a fait « plus de 100 prisonniers », a indiqué dimanche le gouvernement israélien.

Côté palestinien, le bilan dans la bande de Gaza se monte à 370 morts, ont annoncé dimanche les autorités locales.

« En 1973, nous avons combattu avec une armée entraînée », rappelle Meron Rapoport. « Ici, nous parlons de gens [les combattants palestiniens] qui n’ont rien d’autre qu’une kalachnikov. C’est inimaginable. C’est un échec militaire et un échec du renseignement et il faudra beaucoup de temps à Israël pour s’en remettre et retrouver confiance en soi. »

Un réseau sophistiqué et coûteux d’infrastructures de surveillance

« Pendant des années, Israël a développé un réseau sophistiqué et coûteux d’infrastructures de surveillance dans et autour de la bande de Gaza, qu’il assiège depuis 2007. Il est censé y avoir des caméras et des drones là-bas. Passer cette clôture de cette manière est un coup inimaginable porté à l’entraînement israélien lui-même », souligne l’expert.

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L’unité de renseignement de l’armée israélienne, connue sous le nom d’Unité 8200, capable de connaître les détails les plus intimes de la vie des Palestiniens, n’a pas pu anticiper que quelques centaines, voire milliers, de combattants allaient mener une attaque complexe et étendue.

« Ils n’en avaient aucune idée, ni l’Unité 8200, ni le Shin Bet », insiste-t-il en faisant référence au service israélien de sécurité intérieure et de contre-espionnage.

Les images produites par cette attaque palestinienne, y compris des combattants se promenant dans les villes israéliennes et emmenant des femmes, des enfants et des personnes âgées en captivité à Gaza, auront un profond impact sur le public israélien, poursuit-il.

« Il sera très difficile de se remettre de ces images diffusées toute la journée à la télévision de jeunes filles chuchotant dans un téléphone aux médias, en demandant où est l’armée, en disant ‘’Nous sommes seules ici, ils tirent dehors et l’armée n’est toujours pas arrivée’’. »

Meron Rapoport estime que désormais, les options du Premier ministre Benyamin Netanyahou pour reprendre le contrôle du récit selon lequel Israël peut dominer tout le territoire compris entre la mer Méditerranée et le Jourdain sont limitées.

Il prédit que la réaction instinctive de l’armée israélienne sera de pulvériser Gaza et que les pertes humaines pourraient facilement se chiffrer en milliers. 

« Si les forces armées israéliennes entrent à Gaza, elles le feront avec beaucoup moins de confiance en elles qu’auparavant »

- Meron Rapoport, analyste

Sur le plan militaire, une attaque aérienne n’aurait « aucune signification », estime-t-il, car elle ne stopperait pas le Hamas.

Les combattants palestiniens auraient peut-être capturé jusqu’à 150 Israéliens, qui seraient en danger si Israël décidait de bombarder lourdement le mouvement palestinien.

Au lieu de cela, l’armée israélienne devrait intervenir sur le terrain et occuper Gaza en partie ou en totalité, selon l’analyste.

« Si les forces armées israéliennes entrent à Gaza, elles le feront avec beaucoup moins de confiance en elles qu’auparavant, et il n’est pas certain qu’elles soient capables de conquérir militairement Gaza. »

« Ce qui compliquerait davantage la situation, c’est qu’Israël envoie son armée et tente d’occuper Gaza. Des dizaines de milliers de Gazaouis seront tués. Cela provoquera aussi une crise des réfugiés avec des gens fuyant leurs foyers. Il y aurait également des centaines d’Israéliens tués. La société israélienne se retrouverait déchirée et aurait beaucoup de mal à gérer un grand nombre de morts israéliens. »

Retourner à Gaza

La perspective de dizaines de milliers de Palestiniens tués à Gaza, sans parler d’une crise des réfugiés, risque de déclencher une guerre régionale à grande échelle, qui pourrait impliquer le Hezbollah au Liban, les factions palestiniennes et les civils en Cisjordanie occupée et à Jérusalem, et même la Syrie et la Jordanie.

Une option pour Israël serait de suivre les conseils de son ministre des Finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, qui a déclaré en mai que son pays devait reconquérir Gaza.

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« Le moment viendra probablement de retourner à Gaza, de démanteler le Hamas et de démilitariser Gaza. Je crois que le moment viendra où il n’y aura pas d’autre choix que de reconquérir Gaza », avait déclaré Smotrich à Channel 14.

L’autre option, selon l’analyste, serait d’entamer des négociations, comme cela s’est passé en 1973. « Après la guerre de 1973, les Israéliens se sont dit : ‘’Pourquoi tant de victimes ? Pourquoi cette guerre et pourquoi 3 000 morts ?’’. »

« Quoi qu’il en soit, Netanyahou a subi un coup énorme » et, pense Meron Rapoport, « fatal pour son autorité ».

« Je pense que cela va affaiblir le gouvernement parce qu’il est responsable de cet échec. Toutes les théories de Netanyahou sur le fait de construire un mur, d’y mettre les Palestiniens derrière, de jeter la clé et de faire la paix avec Dubaï : maintenant, tout ce concept s’effondre. Il a la responsabilité opérationnelle de ce qui s’est passé », ajoute-t-il.

Le gouvernement de Netanyahou est dominé par des nationalistes religieux extrémistes obsédés par les colonies juives en Cisjordanie occupée. Mais se concentrer sur la colonisation pourrait finir par le conduire à sa perte.

« Les gens disent qu’il y a 33 bataillons en Cisjordanie et que l’armée y est stationnée pour protéger les colons », au lieu de garder la frontière. « Des voix se feront entendre en demandant : pourquoi protégeons-nous les colonies et nous mettons-nous en danger nous-mêmes ? »

« Israël se retrouve dans une situation où il n’est plus maître de sa destinée. La perte de confiance en soi est énorme, tout comme l’ampleur de l’échec militaire », résume-t-il. « L’armée a perdu confiance en elle-même, le public a perdu confiance en l’armée, et cela influencera grandement toute décision d’entrer à Gaza. »

Traduit de l’anglais (original).

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