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« Nous n’avons aucun pouvoir » : Israël empêche les forces palestiniennes d’entrer dans un village cisjordanien

​​​​​​​Cet acte « de représailles » fait suite à la décision de Mahmoud Abbas de mettre fin à la coordination en matière de sécurité avec Israël en raison de son projet d’annexion de la Cisjordanie
Les forces de sécurité palestiniennes gèrent un poste de contrôle à Bethléem le 10 mars 2020, suite au confinement de la ville en raison de l’épidémie de coronavirus (AFP)
Par Akram al-Waara à BETHLÉEM, Cisjordanie occupée

Lundi soir, lorsque des policiers palestiniens ont eu vent d’une violente dispute entre des familles du village de Qusra, dans la région de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée, ils se sont retrouvés en terrain inconnu. 

Il s’agit d’un des premiers incidents majeurs survenus dans la région depuis que l’Autorité palestinienne (AP) a décidé la semaine dernière de mettre fin à la coordination en matière de sécurité avec Israël, en signe de protestation contre son projet d’annexion officielle de vastes étendues de la Cisjordanie, planifié en juillet.

À la suite de l’annonce présidentielle, les forces de sécurité palestiniennes se sont retirées de la zone B de la Cisjordanie, les 21 % des territoires occupés où l’AP est officiellement en charge des affaires civiles mais qui restent par ailleurs sous le contrôle de l’armée israélienne, en vertu des accords d’Oslo de 1993. 

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« Nos forces se sont immédiatement préparées pour se déployer à Qusra, en tenue civile et sans se coordonner avec les Israéliens, comme nous l’aurions fait habituellement », explique le gouverneur de Naplouse, Ibrahim Ramadan, à Middle East Eye. 

Mais lorsqu’ils sont arrivés à l’entrée du village, qui se trouve dans la zone B, les agents palestiniens ont été surpris de trouver sur leur route des postes de contrôle mobiles tenus par des soldats israéliens. 

« Ils ont commencé à arrêter tous les véhicules entrant à Qusra et à vérifier les papiers d’identité de tout le monde », raconte Ramadan. « Toute personne dont le nom correspondait à un policier ou un agent des services de sécurité nationale dans leur système était refoulée. »

Interrogé par MEE, le gouverneur de Naplouse pense qu’une fois que les autorités israéliennes ont été informées de ce qui se passait à Qusra, elles ont installé les postes de contrôle pour faire passer un message : si l’Autorité palestinienne met fin à la coordination en matière de sécurité, alors Israël n’autorisera pas les forces de l’AP à entrer dans les zones où Israël est techniquement en charge de la sécurité.

« Nous pensons que c’était une mesure délibérée pour empêcher la police palestinienne d’entrer à Qusra afin de désamorcer la situation », estime Ramadan.

Lorsque les agents palestiniens en civil ont trouvé un moyen d’entrer à Qusra par des axes secondaires, la confrontation dans le village avait dégénéré.

Deux personnes étaient grièvement blessées, dont un jeune de 22 ans qui a succombé à ses blessures à l’hôpital. 

« Nous empêcher de protéger notre peuple »

Lorsque le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a annoncé la fin de tous les accords avec Israël le 20 mai, y compris la politique controversée de coordination en matière de sécurité, les Palestiniens étaient sceptiques, étant donné qu’Abbas avait proféré des menaces similaires à de nombreuses reprises au fil des ans sans qu’aucune action réelle n’ait lieu sur le terrain. 

Mais le retrait ultérieur des forces palestiniennes de la zone B en a surpris plus d’un, car il s’agissait de la première manœuvre sur le terrain indiquant que les choses pourraient être différentes cette fois-ci. 

Ce retrait a cependant impliqué un certain nombre de nouveaux défis pour les Palestiniens des territoires occupés. 

Sans présence policière ou sécuritaire dans les zones B et C, qui forment ensemble plus de 80 % de la Cisjordanie, comment l’AP pourrait-elle maintenir l’ordre dans les régions rurales relevant de la compétence d’Israël ?

Ibrahim Ramadan affirme que les événements de Qusra sont un bon indicateur de la situation à venir.

« Si Israël empêche la circulation de nos forces de sécurité dans toute la Cisjordanie, de nombreuses communautés palestiniennes rurales comme Qusra seront en danger »

- Ibrahim Ramadan, gouverneur de Naplouse

« Si Israël empêche la circulation de nos forces de sécurité dans toute la Cisjordanie, de nombreuses communautés palestiniennes rurales comme Qusra seront en danger », explique-t-il, en précisant que 46 villes et villages du seul gouvernorat de Naplouse font partie des zones B et C. 

Avant les événements de ce lundi, des médias arabes locaux avaient rapporté que les autorités israéliennes commenceraient à empêcher la circulation des forces de sécurité ou de police palestiniennes dans toute la Cisjordanie dès cette semaine en représailles à la décision prise par l’AP.

L’incident de Qusra a été le premier cas documenté de forces israéliennes empêchant l’entrée des autorités palestiniennes dans une ville ou un village palestinien depuis la fin présumée de la coordination en matière de sécurité.

MEE a contacté l’Administration civile israélienne (en charge des territoires occupés) et le bureau de liaison palestinien, mais n’a pas reçu la confirmation qu’Israël allait interdire la circulation des forces de sécurité palestiniennes à travers la Cisjordanie. 

Bien qu’Israël soit techniquement en charge de la sécurité dans les zones B et C, leurs communautés comptent sur l’AP pour rétablir l’ordre social en cas de conflit intracommunautaire ou, dernièrement, pour faire respecter les mesures de quarantaine et de distanciation sociale dans le cadre de la pandémie de COVID-19. 

« Techniquement, en vertu des accords d’Oslo, ces zones devraient être sous la responsabilité de l’appareil de sécurité israélien », relève le gouverneur de Naplouse.

« Mais en réalité, [les soldats israéliens] ne protègent pas les Palestiniens dans ces zones. Et maintenant, ils veulent aussi nous empêcher de protéger notre peuple. »

La coordination en matière de sécurité permettait à la police et aux forces de sécurité palestiniennes d’accéder à ces zones à cette fin – mais sans cela, l’AP n’a que très peu de pouvoir pour appliquer ses politiques en dehors de la zone A, les 18 % de la Cisjordanie entièrement contrôlés par l’AP sur le plan civil et sécuritaire. 

« Même le soldat israélien le moins gradé a toujours plus de pouvoir qu’un ministre de l’AP », déplore Ramadan, qui précise que même en tant que gouverneur de Naplouse, il se fait toujours appréhender et contrôler par les soldats israéliens aux check-points militaires.

« Qu’il s’agisse de notre peuple ou de notre gouvernement, nous sommes sous occupation, c’est clair et net », ajoute-t-il. « Et cela montre qu’en tant que Palestiniens, nous n’avons aucun pouvoir. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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