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« Marche des drapeaux » : les Palestiniens se préparent au pire avant le défilé de l’extrême droite israélienne

Quelque 16 000 Israéliens participeront dimanche à ce défilé ultranationaliste à Jérusalem occupée, une « démonstration d’incitation à la haine, de domination juive et de racisme »
Des ultranationalistes israéliens brandissent des drapeaux de leur pays et de leur parti lors d’une « marche des drapeaux » non autorisée à Jérusalem le 20 avril 2022 (AFP)

Alors que des milliers d’ultranationalistes israéliens s’apprêtent à participer à une marche controversée ce dimanche dans le quartier musulman de la vieille ville de Jérusalem, Riad al-Hallaq se prépare au pire.

Ce Palestinien propriétaire d’un café a vu ce défilé annuel se faire de plus en plus hostile au fil des ans, et cette fois-ci, les signes avant-coureurs sont inquiétants.

« Les provocations ont déjà commencé cette semaine », déclare-t-il à Middle East Eye.

« Des enfants brandissant le drapeau israélien sont passés et ont scandé ‘’mort aux Arabes’’, entre autres insultes vulgaires. Ils ont agressé des femmes et ont essayé d’enlever leur hijab. »

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« Cela cause de l’émoi chez les gens. »

La Marche des drapeaux est un rassemblement annuel organisé par des militants d’extrême droite israéliens dans le cadre des célébrations commémorant la « réunification » de la ville sous domination israélienne.

Mais cette occasion joyeuse pour de nombreux Israéliens est source d’inquiétude et de tourment pour les Palestiniens de la ville.

Le jour où les ultranationalistes et les colons israéliens protégés par la police chantent et dansent dans leurs rues, ils doivent subir des couvre-feux imposés uniquement à leur communauté, la fermeture de leurs commerces, des actes de vandalisme et des insultes racistes, entre autres.

Cette année, les tensions dans la ville sont encore plus fortes qu’à l’accoutumée, alors qu’une guerre symbolique de rhétorique sur la souveraineté et les drapeaux fait rage en arrière-plan.

Couvre-feu, vandalisme et insultes

La Marche des drapeaux fait partie de la « Journée de Jérusalem », une fête israélienne qui marque l’occupation de Jérusalem-Est après la guerre des Six jours en 1967.

Des milliers de personnes se joignent habituellement aux célébrations à travers la ville le 28e jour du mois d’Iyar selon le calendrier hébreu, qui tombe souvent entre mai et juin.

La tradition existe depuis 1967 mais n’a cessé de prendre de l’ampleur au fil des ans. La marche est organisée par des membres du mouvement sioniste religieux. Y participent divers groupes pro-colonisation tels que Bnei Akiva, Im Tirzu et les conseils régionaux des colonies illégales de Binyamin et Goush Etzion en Cisjordanie occupée.

Cette année, les organisateurs ont annoncé que le cortège de dimanche, qui démarre dans la partie ouest de la ville, serait scindé en deux et que jusqu’à 16 000 personnes y participeraient.

Un groupe traversera la vieille ville par la porte de Jaffa (Bab al-Khalil) tandis que l’autre entrera par la porte de Damas (Bab al-Amoud).

Les deux se retrouveront près du mur des Lamentations, où les célébrations se poursuivront jusque tard dans la soirée.

carte itinéraire Marche des drapeaux Jérusalem occupée

Les participants à la marche qui entrent dans la vieille ville par la porte de Damas traverseront le quartier musulman via la rue al-Wad.

Cette porte historique et cette rue animée sont toutes deux des jalons importants pour les Palestiniens, tant sur le plan symbolique qu’économique. De nombreuses petites boutiques et vendeurs de rue occupent chaque côté de la rue étroite, qui mène à la mosquée al-Aqsa.

Ce jour-là, les forces israéliennes contraignent les commerçants à fermer leurs boutiques tandis que les habitants du quartier musulman sont priés de rester chez eux et que les résidents du reste de la ville ne sont pas autorisés à y pénétrer.

Riad, dont le magasin se trouve rue al-Wad, affirme que la marche est devenue plus agressive au cours des dix dernières années.

S’il s’est toujours agi d’un événement provocateur, dans le passé il impliquait relativement moins de restrictions pour les Palestiniens. Jusqu’à récemment, les magasins pouvaient même rester ouverts.

Mais les choses se sont progressivement aggravées, dit-il.

« La marche doit maintenant être protégée par la police, et les colons qui y participent sont imbibés de racisme, d’une manière tout à fait anormale. L’atmosphère qu’ils entretiennent est celle du ‘’tuer ou être tué’’. »

« La marche doit maintenant être protégée par la police, et les colons qui y participent sont imbibés de racisme, d’une manière tout à fait anormale. L’atmosphère qu’ils entretiennent est celle du ‘’tuer ou être tué’’ »

- Riad al-Hallaq, commerçant de la vieille ville

Certains des chants entendus lors de la Marche des drapeaux ces dernières années incluent des insultes racistes antipalestiniennes et antimusulmanes, telles que « Mort aux Arabes », « Mohammed est mort » et « Nous détruirons la mosquée al-Aqsa ».

Des participants ont également été accusés de vandaliser des magasins, des serrures et des chariots de nourriture laissés sans surveillance alors qu’ils traversaient le quartier musulman.

L’ONG israélienne Ir Amim a précédemment fait campagne pour que la marche soit déviée du quartier musulman au motif qu’elle « impose des restrictions sévères à la liberté de mouvement et de commerce des résidents palestiniens ».

La semaine dernière, le groupe a exhorté une fois de plus le gouvernement à rediriger le cortège, qu’il a décrit comme une « démonstration d’incitation à la haine, de domination juive et de racisme ».

« Nous savons que [les restrictions qui nous sont imposées] sont illégales, mais qui écoute nos plaintes ? », demande Riad.

« Vous pouvez vous attendre à tout de la part de ceux qui attaquent un enterrement et des porteurs de cercueil », ajoute-t-il, en référence à l’assaut par la police locale des funérailles de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, tuée par les forces israéliennes dans la ville occupée de Jénine, en Cisjordanie, le 11 mai.

Une question de souveraineté

La marche de cette année a été approuvée la semaine dernière par le ministre israélien de la Sécurité publique Omer Bar-Lev et le commissaire de police Yaakov (Kobi) Shabtai, suscitant les critiques des Palestiniens.

Le ministère palestinien des Affaires étrangères a qualifié la décision de « poursuite par Israël d’une escalade dangereuse qui menace d’entraîner la région dans une explosion qui serait très difficile à contrôler ».

Le Hamas a également émis des avertissements contre la tenue de la marche et appelé les Palestiniens à se tenir « en état d’alerte maximale ».

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La marche de mai 2021 s’était déroulée dans un contexte de vives tensions dans la ville et le Hamas avait lancé des roquettes vers Jérusalem pendant le défilé, ouvrant la voie à une offensive militaire israélienne dévastatrice contre la bande de Gaza.

Côté palestinien, cet assaut avait fait 256 morts et des milliers de blessés, endommagé plus de 50 000 habitations et détruit des infrastructures essentielles. En Israël, 13 personnes avaient été tuées par des roquettes tirées depuis Gaza.

Craignant une répétition des événements de l’année dernière, certains politiciens israéliens ont également exprimé leur opposition à la marche.

Le législateur Gaby Lasky du parti Meretz a déclaré qu’approuver l’événement revenait à « donner de l’essence et du carburant à une bande de pyromanes ».

Issawi Frej, ministre de la Coopération régionale, a déclaré que la décision découlait du « désir de brûler [la ville] » et s’est engagé à œuvrer à son annulation.

Malgré ces mises en garde, le commissaire Shabtai a défendu sa décision lundi en assurant que « la police maintiendra[it] la liberté de culte, de manifestation et d’expression, pour tous ».

Mercredi, il a relevé le niveau d’alerte de la police et ordonné à 3 000 agents de protéger le défilé, tandis que des milliers d’autres seront déployés à Jérusalem et dans d’autres villes israéliennes à forte population palestinienne, notamment Lydd (Lod) et Acre.

L’armée israélienne a également renforcé ses systèmes de défense aérienne près de la frontière avec Gaza.

Pendant ce temps, la police a procédé à une vaste campagne d’arrestation à Jérusalem, détenant plus de 100 Palestiniens tandis que des dizaines d’autres ont été temporairement expulsés de la ville et de la mosquée al-Aqsa.

Un Palestinien passe devant des gardes israéliens dans la vieille ville de Jérusalem (AFP)
Un Palestinien passe devant des gardes israéliens dans la vieille ville de Jérusalem (AFP)

Renforcer la sécurité afin de permettre la tenue de cette marche, laquelle est conçue pour mettre en valeur la souveraineté israélienne sur Jérusalem, est une indication de l’échec de la réalisation de cet objectif, estime Nasser al-Hadmi, chercheur palestinien et chef du Comité de Jérusalem contre la judaïsation.

« Le but de cette marche est d’être un symbole de la souveraineté sioniste sur la ville. Or elle représente tout le contraire », déclare-t-il à MEE.

« Si Israël contrôlait vraiment la ville, et si c’était vraiment leur capitale unifiée et éternelle, ils n’auraient pas besoin de déployer ce nombre important de soldats et d’officiers. »

Le défilé de l’année dernière, interrompu par les roquettes du Hamas, avait connu une modification de dernière minute de son itinéraire alors que les tensions étaient à leur comble dans la ville à la suite de violents raids israéliens sur la mosquée al-Aqsa et d’une tentative d’expulsion de familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah pour faire place à des colons.

« Essentiellement, cette marche symbolise la laideur de cette occupation »

- Nasser al-Hadmi, chef du Comité de Jérusalem contre la judaïsation

Le mois dernier, une marche improvisée vers la porte de Damas, qui a défié les ordres de la police, a été bloquée par les autorités au grand dam de ses organisateurs d’extrême droite. Cela s’était produit dans un contexte de tensions accrues, une fois de plus causées par les raids israéliens à al-Aqsa, pendant le mois de Ramadan.

Le fait que ces deux marches n’aient pas pu se dérouler comme prévu est principalement dû à la solidarité palestinienne, soutient Hadmi.

Mais aujourd’hui, sous la pression des ultranationalistes, les autorités doivent s’assurer que le défilé de cette année se déroulera comme prévu, afin de restaurer l’image selon laquelle elles contrôlent et détiennent la souveraineté sur la ville, explique-t-il.

« Essentiellement, cette marche symbolise la laideur de cette occupation », estime Hadmi.

Le drapeau palestinien pris pour cible

La question de la souveraineté est un sujet de discussion depuis des semaines non seulement à Jérusalem mais en Israël et en Cisjordanie occupée, où le drapeau palestinien a été pris pour cible.

Ainsi, lors des obsèques de Shireen Abu Akleh le 13 mai, la police israélienne a interdit la présence du drapeau palestinien. Les personnes participant aux funérailles ont été attaquées par la police israélienne et tirées en arrière chaque fois qu’un drapeau palestinien flottait parmi la foule.

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Quelques jours plus tard, pendant les célébrations de la Nakba et d’autres rassemblements propalestiniens dans les villes israéliennes, la levée du drapeau palestinien s’est rapidement trouvée au centre de querelles politiques au sein du gouvernement.

Mardi, le législateur Israel Katz est allé jusqu’à avertir les Palestiniens d’une nouvelle « Nakba » s’ils arboraient le drapeau palestinien dans les universités israéliennes.

« Hier, j’ai prévenu les étudiants arabes qui arborent des drapeaux palestiniens dans les universités : souvenez-vous de 48. Souvenez-vous de notre guerre d’indépendance et de votre Nakba, ne tirez pas trop sur la corde. […] Si vous ne vous calmez pas, nous vous donnerons une leçon que vous n’êtes pas près d’oublier », a-t-il déclaré au Parlement.

Katz faisait référence aux étudiants qui ont brandi des drapeaux palestiniens à l’Université de Tel Aviv la semaine dernière, et à l’Université Ben Gourion de Beer Sheva lundi.

À chaque fois, une contre-manifestation avec des drapeaux israéliens était organisée par d’autres étudiants.

Mercredi, le ministre des Finances Avigdor Liberman a déclaré que le rassemblement de l’Université Ben-Gurion « avait nié l’existence d’Israël en tant qu’État juif démocratique », appelant à la réduction des fonds octroyés à l’université.

Une confrontation similaire autour des drapeaux agite la région de Naplouse, en Cisjordanie occupée.

La semaine dernière, un colon israélien, protégé par des soldats, a enlevé un drapeau palestinien d’un poteau électrique sur une route très fréquentée de la ville de Huwara, près de Naplouse.

Traduction : « Hier, 17 mai. Un colon juif arrive en voiture dans le village de Huwara près de Naplouse et se fait filmer en train d’escalader un poteau de rue et d’enlever un drapeau palestinien. »

L’incident a conduit à des affrontements tendus, alors que des Palestiniens ont tenté d’ériger à nouveau le drapeau, affrontant soldats et colons.

Mercredi, un groupe de colons, flanqué de soldats armés, s’est rassemblé dans la ville en agitant le drapeau israélien.

« Comment pouvez-vous interdire le drapeau palestinien lors d’un enterrement et attaquer la procession funéraire, faisant presque tomber le cercueil, simplement parce que celui-ci est drapé dans un drapeau palestinien, et dans le même temps permettre à cette Marche des drapeaux de passer par la porte de Damas ? »

- Hamza al-Akrabawi, chercheur palestinien

Ces mesures à l’encontre du drapeau palestinien n’ont rien de nouveau, rappelle le chercheur spécialisé sur le patrimoine palestinien Hamza al-Akrabawi, qui explique que cela participe d’une politique vieille de plusieurs décennies visant à éradiquer l’identité palestinienne.

« Depuis 1967, l’occupation [Israël] interdit le drapeau palestinien... fait un usage excessif de la force sur le terrain et adopte diverses mesures juridiques visant à criminaliser les personnes qui brandissent le drapeau palestinien, procédant à l’arrestation et à la détention de certaines d’entre elles », indique-t-il à MEE.

Dans ce contexte, affirme-t-il, la Marche des drapeaux suscite encore plus de colère et de frustration chez les Palestiniens.

« Comment pouvez-vous interdire le drapeau palestinien lors d’un enterrement et attaquer la procession funéraire, faisant presque tomber le cercueil, simplement parce que celui-ci est drapé dans un drapeau palestinien, et dans le même temps permettre à cette Marche des drapeaux de passer par la porte de Damas, qui est un monument palestinien ? »

Traduit de l’anglais (original).

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