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Libye : la ministre des Affaires étrangères fuit le pays après une rencontre « fortuite » avec son homologue israélien

Le ministère israélien des Affaires étrangères a qualifié la réunion d’historique, tandis que le gouvernement libyen nie que celle-ci ait été planifiée
Des Libyens brûlent des pneus lors d’une manifestation à Tripoli, le 28 août 2023, à la suite d’une réunion informelle entre la ministre des Affaires étrangères Najla al-Mangoush et son homologue israélien (AFP)

La ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla al-Mangoush, a fui le pays dimanche et s’est rendue en Turquie à la suite de manifestations à Tripoli et dans d’autres villes du pays suscitées par sa rencontre avec son homologue israélien en Italie la semaine dernière.

La rencontre entre Najla al-Mangoush et le ministre israélien des Affaires étrangères Eli Cohen était une première pour les deux pays.

Le chef du gouvernement libyen Abdel Hamid Dbeibah a annoncé dimanche soir dans un communiqué avoir « suspendu provisoirement » la ministre et demandé une « enquête administrative » par une commission présidée par la ministre de la Justice.

Quelques heures auparavant, le ministre israélien des Affaires étrangères Eli Cohen avait annoncé s’être entretenu à Rome la semaine passée avec son homologue libyenne lors d’une rencontre « inédite ».

« J’ai parlé avec la ministre des Affaires étrangères du grand potentiel que représentent les relations entre les deux pays », a déclaré le ministre, selon un communiqué de son bureau.

« Ce qui s’est passé à Rome a été une rencontre fortuite et non officielle, au cours d’une rencontre avec son homologue italien [Antonio Tajani], qui n’a comporté aucune discussion, accord ni consultation », a réagi pour sa part le ministère des Affaires étrangères libyen dans un communiqué.

La ministre a rappelé « de manière claire et sans ambiguïté la position de la Libye à l’égard de la cause palestinienne », a ajouté le ministère, en assurant que Najla al-Mangoush avait « refusé de s’entretenir avec une quelconque partie représentant l’entité israélienne » et était « restée catégoriquement ferme sur cette position ».

Traduction : « En images : manifestations massives à travers la Libye à la suite de la rencontre entre la ministre libyenne des Affaires étrangères Najla Mangoush et le ministre des Affaires étrangères de l’occupation israélienne Eli Cohen à Rome la semaine dernière. »

Le ministère libyen a en outre dénoncé une « exploitation par les médias hébraïques et internationaux » de cet « incident » qu’ils tentent de présenter comme « une réunion ou des pourparlers ».

La Libye, plongée dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, n’entretient pas de relations diplomatiques avec Israël.

Après l’annonce israélienne de la rencontre, le Conseil présidentiel (CP) libyen, un organe doté de certains pouvoirs exécutifs, a réclamé « des éclaircissements » au gouvernement, selon la chaîne de télévision Libya al-Ahrar, citant une correspondance confirmée par la porte-parole du CP, Najwa Wheba.

Pour le CP, « ceci ne reflète pas la politique étrangère de l’État libyen, ne représente pas les constantes nationales libyennes et est considéré comme une violation des lois libyennes qui criminalisent la normalisation avec l’entité sioniste ».

« Première étape » vers la normalisation ?

Le ministre israélien a dit avoir évoqué avec Mme Mangoush « l’importance de préserver l’héritage du judaïsme libyen à travers la réparation des synagogues et des cimetières juifs dans ce pays ».

Il s’agit d’une « première étape dans les relations entre Israël et la Libye », a dit le ministre, estimant que « la taille et la place stratégique de la Libye offrent une opportunité immense pour l’État d’Israël ». Cette rencontre s’est déroulée sous les auspices du ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani, selon le communiqué israélien.

La majeure partie de la population juive libyenne a quitté ce pays pendant les vingt années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, principalement pour aller en Israël.

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Quelques centaines de juifs vivaient encore en Libye au moment du coup d’État en 1969 de Mouammar Kadhafi, qui les a ensuite expulsés, a fait confisquer leurs biens et détruit des synagogues.

Israël a normalisé ces dernières années ses relations avec certaines nations arabes, dans le cadre des accords d’Abraham sous l’égide des États-Unis. Cependant, la politique actuelle du gouvernement de Benyamin Netanyahou a fait l’objet de critiques des pays arabes à la suite de la vague de violences en Cisjordanie occupée ainsi que face à la poursuite de la colonisation dans ce territoire.

Des mouvements de protestation spontanés ont éclaté dimanche à Tripoli et dans plusieurs banlieues de la capitale en signe de refus d’une normalisation avec Israël, puis ils ont gagné d’autres villes où des jeunes ont coupé les routes, brûlé des pneus et brandi le drapeau palestinien.

Le centre-ville de Tripoli a été paralysé par les manifestants, dont un groupe s’est dirigé vers le ministère des Affaires étrangères pour réclamer la démission de Najla al-Mangoush, selon des vidéos postées sur les réseaux sociaux.

Encouragés par les conducteurs des voitures passant à proximité, les manifestants ont tenté de forcer l’enceinte du ministère, brandissant des drapeaux palestiniens. 

Lundi matin, le journal libyen Alwasat a rapporté que la ministre avait quitté le pays à bord d’un avion privé à destination de la Turquie, en raison de « problèmes de sécurité ».

Traduction : « Merci Libye : les Libyens descendent dans la rue pour protester contre les tentatives de normalisation avec l’occupant ennemi israélien et brûlent des drapeaux israéliens haineux. »

Tout effort israélien visant à renforcer les liens avec la Libye pourrait être compliqué par les profondes divisions internes dans le pays, divisé entre le Gouvernement d’entente nationale (GNA), qui dirige l’ouest, et une administration à l’est dominée par le commandant Khalifa Haftar.

Le GNA libyen a été installé début 2021 grâce à un processus de paix soutenu par l’ONU, mais sa légitimité est contestée depuis début 2022 par le Parlement basé dans l’est après une tentative infructueuse d’organiser des élections.

Les précédentes mesures de politique étrangère du GNA, y compris les accords conclus avec la Turquie, ont été rejetées par le Parlement et ont fait l’objet de contestations judiciaires.

Les nombreux efforts internationaux, menés en grande partie par les Nations unies, n’ont pas réussi à aboutir à un gouvernement unifié, même si des progrès ont été réalisés dernièrement lorsque la banque centrale libyenne a annoncé au début du mois sa réunification.

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