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Macron en Inde : beaucoup de business, peu de place pour les droits de l’homme

Parler Rafale sans éluder la question des droits de l’homme : c’est l’exercice que des communautés opprimées en Inde et des ONG demandent au président français
Le Premier ministre indien Narendra Modi (à droite) et le président français Emmanuel Macron se serrent la main lors d’une visite à l’observatoire Janta Mantar à Jaipur le 25 janvier 2024 (AFP/Ludovic Marin)
Le Premier ministre indien Narendra Modi (à droite) et le président français Emmanuel Macron se serrent la main lors d’une visite à l’observatoire Janta Mantar à Jaipur le 25 janvier 2024 (AFP/Ludovic Marin)
Par MEE

Emmanuel Macron entame ce 25 janvier une visite de deux jours en Inde. Le président français est l’invité d’honneur du Premier ministre indien Narendra Modo pour la 75e édition du Jour de la République – qui a cette année pour thème « L’Inde, mère de la démocratie – et sa spectaculaire parade prévue vendredi.

Un contingent de 150 légionnaires ainsi que deux chasseurs Rafale et un avion ravitailleur français seront à l’honneur, entre régiments de chars indiens et cavalerie à dos de chameau.

Le dirigeant nationaliste hindou, lui-même invité d’honneur pour le défilé militaire du 14 juillet 2023 à Paris, rend ainsi la pareille à Emmanuel Macron six mois plus tard.

Mais comme le souligne Human Rights Watch (HRW), « ces invitations mutuelles aux défilés militaires nationaux ne se sont pas accompagnées de déclarations portant sur les droits humains, les deux dirigeants préférant se concentrer sur les partenariats commerciaux et stratégiques entre les deux pays ».

La France espère accroître sa coopération dans l’industrie militaire avec l’Inde, qui a acheté 36 Rafale et est en négociation pour en acquérir 26 autres, et lui vendre six réacteurs nucléaires EPR. Aucune annonce majeure n’est toutefois attendue durant la visite.

Le président Macron est accompagné des ministres des Armées Sébastien Lecornu, de la Culture Rachida Dati, des Affaires étrangères Stéphane Séjourné et d’une quinzaine de chefs d’entreprise, dont les PDG d’EDF, Dassault Aviation, Naval Group et Cap Gemini.

Il vient aussi en Inde avec l’astronaute français Thomas Pesquet, pour visiter un observatoire astronomique installé au XVIIIe siècle par des jésuites, symbole de la coopération bilatérale dans le domaine spatial, des satellites aux vols habités.

Une journaliste française menacée d’expulsion

À la fois première puissance démographique (1,43 milliard d’habitants) et cinquième puissance économique du monde, l’Inde est un poids lourd incontournable et de plus en plus courtisé.

Mais il sera difficile pour Emmanuel Macron d’éluder la question des droits de l’homme.

« Un sujet en particulier précède sa visite », souligne Franck Mathevon sur France Inter. Mardi 23 janvier, une journaliste française basée en Inde depuis 22 ans, Vanessa Dougnac, a déclaré qu’elle risquait d’être expulsée du pays pour des reportages que les autorités ont qualifiés de « malveillants et critiques ».

Les détracteurs affirment que la liberté de la presse dans la plus grande démocratie du monde est de plus en plus attaquée, les journalistes qui abordent des sujets sensibles étant souvent réprimandés par le gouvernement.

La semaine dernière, le ministère de l’Intérieur a envoyé une notification à la journaliste, affirmant que son travail était « contraire » aux intérêts nationaux.

La mise en garde donnait à Vanessa Dougnac, qui a un conjoint indien, jusqu’au 2 février pour contester la décision du ministère d’annuler sa résidence permanente, une mesure qui la forcerait à quitter le pays.

La journaliste, qui a couvert plusieurs sujets chauds, notamment l’insurrection maoïste naxalite contre le gouvernement en cours dans certaines parties de l’Inde rurale, a nié « toutes les allégations et accusations » portées contre elle dans la lettre.

« L’Inde est ma maison, un pays que j’aime et respecte profondément, et je ne me suis jamais livrée à aucun acte préjudiciable aux intérêts indiens », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

Le gouvernement de Narendra Modi a été accusé d’étouffer les médias indépendants, l’Inde ayant chuté de 21 places, à la 161e sur 180 pays, dans le classement mondial de la liberté de la presse depuis son entrée en fonction en 2014.

Les bureaux indiens de la BBC ont été perquisitionnés par les autorités fiscales l’année dernière, quelques semaines après que la chaîne britannique eut été la cible de nombreuses critiques du gouvernement pour avoir diffusé un documentaire remettant en question le rôle de Modi, alors gouverneur du Gujarat, dans les violences antimusulmans de 2002 dans cet État.

« Terrifiante répression des minorités religieuses »

« Le président français ne devrait pas ignorer la terrifiante répression des minorités religieuses, des médias indépendants, des opposants politiques et des organisations de défense des droits humains qui a lieu actuellement en Inde », a par ailleurs insisté HRW.

Lundi, Narendra Modi a inauguré à Ayodhya, dans le nord du pays, un temple symbolisant le triomphe de sa politique nationaliste hindouiste.

Le site choisi était autrefois occupé par une mosquée dont la destruction par des fanatiques hindous en 1992, encouragée par des membres du parti au pouvoir (le BJP), avait déclenché les pires émeutes religieuses dans le pays depuis l’indépendance, faisant environ 2 000 morts, pour la plupart musulmans.

En 2002, l’incendie d’un train transportant des pèlerins hindous qui retournaient sur le site de l’ancienne mosquée, dans lequel 59 personnes sont mortes, principalement des femmes et des enfants, avait aussi provoqué des violences visant la communauté musulmane. Entre 800 et 2 000 personnes auraient été tuées.

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Parmi les 200 millions de musulmans indiens, déjà inquiets après une augmentation des tensions interreligieuses, beaucoup ont observé l’événement avec appréhension.

Les sikhs britanniques ont aussi appelé jeudi le président français Emmanuel Macron à renoncer à prendre part aux célébrations de la Fête nationale pour soutenir les fidèles de la diaspora qui se disent ciblés par le gouvernement indien pour des raisons politiques.

Pour la Sikh Federation UK, principale organisation réunissant les fidèles au Royaume-Uni de cette religion originaire du nord de l’Inde, le président français « enverrait un signal fort » à son homologue indien s’il renonçait à y participer, a souligné Dabinderjit Singh, activiste qui conseille la fédération.

Ses membres accusent l’Inde de « répression transnationale » en « ciblant » les activistes indépendantistes de la diaspora dans le monde depuis plusieurs mois.

La tension est montée depuis que New Delhi a fait interdire en mars 2023 le mouvement Khalistan, qui lutte pour la création d’un État pour les sikhs, mais a été accusé d’être responsable de l’assassinat de la Première ministre Indira Gandhi en 1984 et d’un attentat à la bombe contre un avion de ligne l’année suivante.

Dans leur lettre, les sikhs britanniques demandent à Emmanuel Macron d’évoquer à minima le sujet lors de sa rencontre avec Narendra Modi.

Le président français montrerait ainsi « sa solidarité » avec les gouvernements américain (qui a poursuivi un ressortissant indien pour un projet d’assassinat d’un dirigeant séparatiste sikh à New York) et canadien (qui a incriminé les services de renseignement du gouvernement indien pour le meurtre sur son sol d’un dirigeant sikh, un Canadien d’origine indienne) et ferait entendre à l’Inde qu’elle « doit faire preuve de transparence et coopérer aux enquêtes en cours menées par les forces de l’ordre », a ajouté Dabinderjit Singh.

Le Parlement européen a récemment adopté une résolution sur l’Inde qui condamne « les actes de violence, la rhétorique nationaliste croissante et les politiques de division » sous le gouvernement Modi.

Cette résolution s’oppose fermement aux « discours de haine qui incitent à la discrimination ou à la violence à l’encontre des minorités religieuses, quelles qu’elles soient, notamment les musulmans et les chrétiens », et exprime de vives inquiétudes concernant des lois injustes telles que la loi amendée sur la citoyenneté.

« Si les alliés et les partenaires stratégiques de l’Inde, comme la France, ne font pas clairement comprendre au gouvernement de Modi que les violations des droits auront des conséquences sur les relations bilatérales de l’Inde et sur son rôle sur la scène internationale, la répression et l’autoritarisme ne cesseront de croître en Inde », a prévenu HRW.

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