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Malcolm X à Gaza : retour sur sa visite de septembre 1964

Il y a vingt ans, l’icône de la défense des droits civiques des Afro-Américains a visité le camp de réfugiés de Khan Younès, où la poésie palestinienne qu’il a écoutée a inspiré son essai sur l’occupation israélienne
Malcolm X rencontre des membres de l’Organisation de libération de la Palestine au Shepheards Hotel du Caire, le 15 septembre 1964 (UNC Press)

Malcolm X, militant des droits de l’homme et prédicateur musulman, a été tué il y a 59 ans, le 21 février 1965.

S’il est principalement connu pour sa défense des droits civiques des communautés noires aux États-Unis, il a également consacré une grande partie de sa vie à sensibiliser le public aux luttes des peuples du monde entier.

C’est surtout au cours des dernières années de sa vie, après s’être détaché du mouvement nationaliste et séparatiste noir Nation of Islam, que Malcolm X a commencé à interagir avec des dirigeants et des organisateurs du monde entier.

Au cours de ses nombreux voyages en Afrique et au Moyen-Orient en 1964, il a rencontré plusieurs dirigeants panafricains et panarabes postcoloniaux, dont le président égyptien de l’époque Gamal Abdel Nasser, le Premier ministre ghanéen Kwame Nkrumah et le président guinéen Ahmed Sekou Toure.

« Pour ma part, j’aimerais insister, en particulier auprès de ceux qui se prétendent leaders, sur l’importance de réaliser le lien direct entre la lutte des Afro-Américains dans ce pays et la lutte de notre peuple dans le monde entier », a déclaré Malcolm à son retour en Amérique, à New York en décembre 1964.

Parmi ces causes internationales figurait la lutte de la population palestinienne, au sujet de laquelle la figure des droits civiques s’est le plus exprimée au cours des six derniers mois de sa vie.

En 1948, lors de ce que l’on a appelé la Nakba (« catastrophe »), 750 000 Palestiniens ont subi un nettoyage ethnique, lorsque les forces sionistes les ont chassés de leurs foyers pour faire place à l’État d’Israël tout juste créé.

Dans les années qui ont suivi, les Palestiniens déplacés ont été contraints de vivre dans des camps de réfugiés à Gaza, en Cisjordanie et dans les pays voisins, notamment en Jordanie, au Liban et en Syrie.

C’est dans ce contexte que Malcolm X s’est rendu deux fois en Palestine. Il s’est rendu à Jérusalem en 1959, puis à Gaza pour deux jours en septembre 1964.

On sait peu de choses sur son premier voyage, en revanche, son séjour à Gaza est bien documenté.

Visite à Gaza

Depuis l’Égypte, Malcolm X s’est rendu à Gaza le 5 septembre 1964.

À l’époque, la bande de Gaza était sous le contrôle de l’Égypte (qui s’était emparée de la bande côtière en 1948), ce qui rendait les déplacements entre les deux territoires relativement aisés.

Selon ses carnets de voyage, Malcolm X a visité le camp de réfugiés de Khan Younès, créé en 1949 au lendemain de la Nakba pour accueillir les déplacés des autres régions de Palestine.

Il s’est également rendu dans un hôpital local et a partagé un repas avec des chefs religieux de Gaza.

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Plus tard dans la soirée, le prédicateur américain a rencontré le célèbre poète palestinien Harun Hashim Rashid, qui lui a raconté comment il avait échappé de justesse au massacre de Khan Younès en 1956.

Au cours de ce massacre, qui s’est déroulé pendant la guerre d’une semaine connue sous le nom de « crise de Suez », les forces israéliennes sont allées de maison en maison pour exécuter un total de 275 Palestiniens (dont la majorité était des civils) dans le sud de la bande de Gaza.

Harun Hashim Rashid a ensuite récité un poème sur le retour des réfugiés palestiniens sur leurs terres, que Malcolm X a transcrit dans son journal, selon un article publié en 2019 par Hamzah Baig sur Malcolm X et la Palestine.

« À 20 h 25, nous sommes allés à la mosquée pour prier avec plusieurs chefs religieux. L’esprit d’Allah était fort », a écrit Malcolm dans son journal.

Pour conclure son voyage, il a visité le bâtiment du Parlement de Gaza et a tenu une conférence de presse avec les différentes personnalités locales.

« Ils m’ont couvert de cadeaux », a-t-il écrit, parmi lesquels une photo du haut barrage d’Assouan décrochée d’un mur du Parlement.

Il a quitté Gaza le 6 septembre à midi pour retourner au Caire.

Le 15 septembre, au Shepheard’s Hotel du Caire, Malcolm X a rencontré des membres de la jeune Organisation de libération de la Palestine (OLP), dont Ahmed Choukairy, son premier président.

Essai sur la « logique sioniste »

Quelques jours après son voyage à Gaza, Malcolm X a rédigé son article le plus complet sur la cause palestinienne.

Le 17 septembre 1964, il a publié l’essai « Logique sioniste » dans le quotidien cairote l’Egyptian Gazette.

Dans cet article, il décrit le sionisme comme « une nouvelle forme de colonialisme » qui semble « bienveillant » et « philanthropique ». Il met en garde contre le fait que les pays africains nouvellement indépendants qui connaissent des difficultés économiques sont exploités par Israël par le biais de son aide économique et de son assistance.

Il accuse également l’Occident de tenter stratégiquement de diviser les Africains et les Asiatiques à travers la création de l’État d’Israël.

« Les impérialistes européens, qui ne cessent de comploter, ont judicieusement placé Israël là où il peut diviser géographiquement le monde arabe, infiltrer et semer la graine de la discorde parmi les dirigeants africains et opposer les Africains aux Asiatiques », écrit-il.

« La faiblesse persistante du niveau de vie dans le monde arabe a été habilement utilisée par les propagandistes sionistes pour faire croire aux Africains que les dirigeants arabes ne sont pas intellectuellement ou techniquement qualifiés pour élever le niveau de vie de leur population. 

« [L’]occupation de la Palestine arabe n’a aucun fondement rationnel ou juridique dans l’histoire »

- Malcolm X

« Ainsi, les Africains sont indirectement incités à se détourner des Arabes et à se tourner vers les Israéliens pour obtenir des enseignants et une assistance technique. »

Dans la dernière partie de l’essai, il remet en question la justification par Israël de son État fondée sur une « terre promise ».

« Si la revendication "religieuse" des sionistes est vraie, à savoir être guidés vers la terre promise par leur messie, et si l’occupation actuelle de la Palestine arabe par Israël est l’accomplissement de cette prophétie : où est donc leur messie [?] », interroge-t-il.

Il établit ensuite une comparaison avec la domination musulmane sur l’Espagne et se demande si cette période donne aux musulmans de son époque le droit d’envahir la péninsule Ibérique.

« Il y a seulement mille ans, les Maures vivaient en Espagne. Cela donnerait-il aux Maures d’aujourd’hui le droit légal et moral d’envahir la péninsule Ibérique, de chasser les citoyens espagnols et d’établir une nouvelle nation marocaine... là où se trouvait l’Espagne, comme les sionistes européens l’ont fait pour nos frères et sœurs arabes en Palestine ? »

Il conclut en déclarant que l’argument d’Israël pour justifier son « occupation actuelle de la Palestine arabe n’a aucun fondement rationnel ou juridique dans l’histoire ».

Malcolm X a été assassiné le 21 février 1965, victime de plusieurs coups de feu tirés alors qu’il prononçait un discours à l’Audubon Ballroom de Manhattan.

Son approche pro-palestinienne a ensuite été reprise par d’éminents militants noirs américains, notamment Stokely Carmichael, Angela Davis et d’autres figures du mouvement des Black Panthers, dont Eldridge Cleaver.

En 1969, Eldridge Cleaver rencontrera Yasser Arafat, leader de l’OLP, à Alger et créera une section internationale du Black Panther Party en Algérie.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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