Maroc : ce qui pourrait changer dans la réforme du code de la famille
« Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé. » C’est par cette phrase, prononcée le 30 juillet dans un discours à l’occasion de la Fête du trône, que le roi du Maroc Mohammed VI a ouvert la voie à une nouvelle réforme du code de la famille, appelé à instaurer davantage d’égalité entre les hommes et les femmes.
« L’esprit de la réforme ne consiste pas à octroyer à la femme des privilèges gracieux, mais, bien plus précisément, à lui assurer la pleine jouissance des droits légitimes que lui confère la loi. Dans le Maroc d’aujourd’hui, il n’est en effet plus possible qu’elle en soit privée », a souligné le roi.
Et d’ajouter : « Le code n’est spécifique ni aux hommes, ni aux femmes : il est dédié à la famille entière. Fondé sur la notion d’équilibre, il donne aux hommes et aux femmes les droits qui leur échoient respectivement et il tient compte de l’intérêt des enfants. »
Dans un pays majoritairement conservateur, où l’islam est religion d’État, seul le roi, qui porte le titre de « commandeur des croyants », dispose des prérogatives nécessaires pour faire aboutir une telle réforme.
C’est en effet grâce à Mohammed VI qu’un nouveau code de la famille, appelé communément la Moudawana, a été adopté en 2004 dans le but d’introduire « l’égalité et l’équité entre les deux conjoints », avec notamment des dispositions sur la polygamie, rendue très difficile, l’âge du mariage, fixé à 18 ans sauf dans certains cas soumis à l’autorisation du juge, ou encore l’institution du divorce par consentement mutuel.
Pour le camp moderniste, cette victoire était d’autant plus importante qu’elle est intervenue après plusieurs années de bras de fer avec les islamistes. En effet, après la présentation par le gouvernement socialiste d’Abderrahman Youssoufi d’un « Plan d’intégration de la femme au développement », 500 000 personnes avaient manifesté en 2000 à Casablanca contre le projet pour fustiger la « désagrégation de la famille et la perte d’identité de la femme ».
La manifestation des partisans de la réforme n’avait en revanche réuni que 20 000 personnes à Rabat. Une démonstration de force qui avait poussé le gouvernement à renoncer à son plan en faveur des droits des femmes, laissant ainsi le soin au roi de trancher.
Trois ans plus tard, Mohammed VI a annoncé la modification du code de la famille (elle entrera en vigueur en 2004) sans que celle-ci ne fasse l’objet de contestation.
« Ces réformes […] ne doivent pas être perçues comme une victoire d’un camp sur un autre, mais plutôt comme des acquis au bénéfice de tous les Marocains », présentait-il, en insistant sur sa « qualité de [commandeur des croyants] ».
L’égalité dans l’héritage, une revendication sensible
Près de vingt ans plus tard, Mohammed VI veut aller plus loin.
« Le fait qu’il ait consacré le tiers de son discours au sujet est la preuve qu’il veut que des amendements soient apportés à la Moudawana dans les plus brefs délais », décrypte pour Middle East Eye un spécialiste qui sera impliqué dans les débats autour de la réforme et ne souhaite pas divulguer son nom.
Le code de la famille ira-t-il jusqu’à instaurer l’égalité dans l’héritage entre les hommes et les femmes, une vieille revendication des mouvements féministes ?
« C’est peu probable, voire exclu », répond notre source, qui nous renvoie au cadre de la révision, telle qu’elle a été définie par le roi, « en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels ».
Car le combat en faveur de l’égalité dans l’héritage est un sujet sensible, comme en témoigne la cabale subie par la chercheuse et théologienne Asma Lamrabet en 2018.
Interrogeant la prescription coranique donnant droit à la femme à la moitié de l’héritage d’un homme, elle avait été vilipendée par les salafistes avant d’être poussée à démissionner de la direction du Centre des études féminines en islam, un think tank rattaché à la Rabita Mohammadia des oulémas, association créée en 2006 par Mohammed VI pour promouvoir un islam ouvert.
« L’État a toujours essayé de trouver un équilibre entre, d’un côté, la nécessité de ne pas heurter la légitimité religieuse sur laquelle est fondée la société, que le commandeur des croyants doit préserver, et de l’autre, l’ouverture à la modernité à travers notamment la ratification de toutes les conventions internationales sur l’égalité entre l’homme et la femme », explique le spécialiste. « C’est le croisement de ces deux tendances qui détermine le plafond de la réforme. »
« L’héritage par agnation fait l’unanimité contre lui »
Après la révision constitutionnelle de 2011, qui dispose dans son article 19 que « l’État marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes », le royaume a en effet adhéré au Protocole facultatif à la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ce qui le pousse à modifier son code de la famille.
« Tout ce qui ne relève pas d’une prescription coranique formelle peut être amendé. Concernant l’héritage, sans aller jusqu’à instaurer une égalité parfaite, on peut s’attaquer à certaines règles contestées, comme l’héritage par voie de taassib ».
Le taassib, ou héritage par agnation, est une règle qui prive les filles qui n’ont pas de frère d’une partie de leur héritage au profit d’autres parents mâles de la famille (cousins, oncles, etc.).
« Le taassib fait quasiment l’unanimité contre lui aujourd’hui. Il fera sans doute partie des sujets qui seront discutés en premier »
- Un spécialiste qui sera impliqué dans les débats autour de la réforme
« Cela n’existe dans aucun verset du Coran. Le taassib fait quasiment l’unanimité contre lui aujourd’hui. Il fera sans doute partie des sujets qui seront discutés en premier », confie notre interlocuteur, en précisant que les parents souhaitant répartir l’héritage de manière équitable peuvent recourir au testament pour se soustraire au code de la famille.
Autre injustice susceptible de se retrouver au cœur du débat : contrairement à l’homme, la femme perd la garde de son enfant lorsqu’elle se remarie après un divorce. Une aberration aux yeux du spécialiste du champ religieux : « Cela relève de l’interprétation de la charia. Elle n’a rien à voir non plus avec le Coran. »
« Il faut abolir l’exception des mariages des mineures »
Tout comme l’interdiction du mariage des mineures. Bien que la Moudawana de 2004 détermine la capacité matrimoniale à 18 ans, elle accorde aux juges un pouvoir de dérogation.
Une exception devenue au fil des années une règle : sur près de 20 000 demandes de mariages de mineures présentées en 2020, près de 13 000 ont été autorisées par la justice.
« Cette dérogation doit être tout bonnement supprimée », lance notre source, rejoignant entre autres le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), qui appelle depuis plusieurs années à « abolir l’exception ».
« Cette pratique continue à faire l’apanage du pouvoir discrétionnaire des juges. Elle doit être abolie en vertu de l’intérêt supérieur de l’enfant garanti par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par le Maroc », a rappelé le Conseil économique, social et environnemental (CESE), autre institution constitutionnelle qui a appelé en mars à une « révision ambitieuse » du code de la famille.
« L’égalité entre les femmes et les hommes et la pleine participation des femmes à l’ensemble des aspects de la vie active ne peuvent se faire sans un cadre juridique en harmonie avec les ambitions du pays, qui permette aux femmes de jouir pleinement de leurs droits, sans discrimination », préconisait le conseil, dirigé par l’ancien ministre Ahmed Reda Chami.
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