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Tarot, pois chiches et Hafez : comment se dit la bonne aventure au Moyen-Orient

Bien qu’interdit par les trois religions monothéistes, l’art divinatoire est toujours sollicité par les peuples du Moyen-Orient pour savoir ce que leur réserve l’avenir
Au Moyen-Orient, la divination est une tradition ancrée depuis des milliers d’années (illustration de Mohamad Elaasar pour MEE)

Qu’il s’agisse d’étudier les nuages ​​ou de vérifier la direction dans laquelle tombe la pointe d’une flèche jetée en l’air, les hommes recherchent depuis la nuit des temps des signes susceptibles de prédire leur avenir, dans l’espoir de bonnes nouvelles et la crainte de mauvais présages.

Si les scientifiques dénigrent l’idée selon laquelle ce qui est au-delà des données mesurables pourrait laisser présager l’avenir, cela n’a pas atténué l’intérêt populaire pour les traditions divinatoires comme la lecture des feuilles de thé ou les horoscopes.

Depuis des millénaires, des champs d’étude entiers se sont développés autour de la voyance : l’étude des phénomènes atmosphériques s’appelle l’aéromancie, tandis que la divination par les flèches est connue sous le nom de bélomancie (du grec belos, « flèche »). L’aleuromancie était quant à elle l’ancienne pratique grecque consistant à observer comment la farine (aleueron en grec) se dépose sur l’eau pour prédire l’avenir.

Au Moyen-Orient, les anciens Mésopotamiens se sont tournés vers l’astrologie pour prédire le futur, guidés par la croyance selon laquelle les étoiles seraient la demeure des dieux et contiendraient donc des mystères divins.

Les anciens Égyptiens, comme d’autres peuples de l’Antiquité au Proche-Orient, pratiquaient l’incubation de rêves, laquelle consistait à tenter de déclencher un songe qui révélerait des informations sur des événements à venir.

Les oracles étaient également recherchés par des personnalités importantes – comme les pharaons égyptiens et Alexandre le Grand – pour avoir un aperçu de leur avenir.

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Les religions monothéistes se sont montrées moins tolérantes à l’égard des tentatives de prédire ou influencer l’avenir, toutes trois interdisant explicitement la divination.

Le Deutéronome qualifie cette pratique de « détestable », tandis que le Lévitique prévient : « Vous n’observerez ni les serpents ni les nuages pour en tirer des pronostics » (19:26).

Dans l’islam, la divination est considérée comme un péché majeur et un affront envers Dieu, lequel doit seul déterminer ce qui est à venir.

Ceux qui disaient la bonne aventure étaient accusés de collaborer avec les djinns, ces êtres spirituels issus des anciens systèmes de croyances arabes constitués d’un feu sans fumée et dotés de la capacité de transcender le temps et les dimensions.

Il y avait néanmoins quelques exceptions à ces interdictions. On croyait par exemple que les rêves contenaient des indices sur l’avenir, mais que ceux-ci provenaient directement de Dieu et non d’autres formes de divination.

Ces interdits religieux n’ont néanmoins pas amoindri la popularité de l’art divinatoire au Moyen-Orient.

Dans cet article, Middle East Eye se penche sur certaines des formes de divination parmi les plus populaires de la région.

Taromancie

Les cartes de tarot ont été popularisées pour la première fois au cœur de l’Italie médiévale, aux alentours du XIVe siècle, en tant que cartes à jouer, mais elles plongeraient leurs racines dans des pays orientaux tels que l’Inde ou l’Égypte. Au XVIIIe siècle, leur usage s’était étendu à la divination, après avoir été adoptées par des occultistes, qui cherchaient à ajouter à leur mystère en situant leur origine dans des lieux lointains et exotiques. D’autres sources revendiquées incluent le mouvement juif de la Kabbale et les dirigeants mamelouks de l’Égypte médiévale.

Les cartes de tarot ont une origine inconnue mais sont devenues populaires en Italie au Moyen Âge (AFP/Paul J Richards)
Les cartes de tarot ont une origine inconnue mais sont devenues populaires en Italie au Moyen Âge (AFP/Paul J Richards)

Aujourd’hui, pour ceux qui cherchent un aperçu de leur avenir, il existe plusieurs cafés spécialisés dans la taromancie tout autour de la base de la tour historique de Galata à Istanbul, où des panneaux affichés aux fenêtres annoncent discrètement des lectures de tarot.

Le lecteur, qui se dit parfois extralucide, demande au client de mélanger les cartes, pour, selon la croyance, transférer l’énergie de ce dernier au paquet de cartes. Une question spécifique est posée et le lecteur interprète la disposition des cartes en fonction de la signification qui est attribuée à chacune. L’impératrice signifie par exemple l’influence maternelle, tandis que le fou présage de nouveaux débuts ou des fins de cycle.

Lecture de tasse à café

L’astrologue et voyant turc Deniz Batuk lit les tasses à café depuis 23 ans. Il a appris la pratique pendant son enfance, à Istanbul. « Je regardais ma grand-mère observer les tasses des membres de la famille pour s’amuser », confie-t-il à Middle East Eye.

C’est un sens de l’intuition qui, dit-il, l’a conduit dans un voyage spirituel vers la pratique. Aujourd’hui étudiant en psychologie et psychothérapie à Sydney, Deniz Batuk espère pouvoir combiner ses qualifications professionnelles et sa pratique de la divination pour offrir une forme de thérapie plus holistique et spirituelle.

Connue sous le nom de tasséomancie, la pratique consiste à étudier les motifs laissés par le marc de café pour prédire l’avenir. Bien que l’islam interdise la voyance, cette tradition est profondément enracinée dans la culture turque. Elle remonte à l’époque de l’Empire seldjoukide, qui régna sur la majeure partie de l’Anatolie, l’Iran et l’Asie centrale à la fin du XIe siècle – avant même la diffusion du café dans la région.

La lecture de tasse est une tradition turque depuis au moins l’époque des Seldjoukides (Flickr/Michael Davis-Burchat)
La lecture de tasse est une tradition turque depuis au moins l’époque des Seldjoukides (Flickr/Michael Davis-Burchat)

Les derniers souverains ottomans disposaient même d’un astrologue officiel, connu sous le nom de müneccimbaşı, considéré comme un expert dans un certain nombre de pratiques divinatoires telle la lecture de tasses à café. Les bureaucrates et planificateurs militaires ottomans le consultaient avant de prendre des décisions importantes.

Deniz Batuk reçoit environ 80 clients par mois, virtuellement ou en personne, dont environ deux tiers de femmes. Ceux-ci viennent d’horizons religieux différents, certains le consultent en secret tandis que d’autres sont plus ouverts sur leur croyance en la pratique.

« Les gens viennent me voir avant de prendre des décisions d’affaires, avant d’acheter ou de vendre une maison, pour des histoires d’amour, ou parce qu’ils n’arrivent pas à dire adieu à des êtres chers après leur décès », indique-t-il à MEE.

Dans la tradition contemporaine, le café est traditionnellement préparé dans un cezve, un petit pot flanqué d’un long manche, en faible quantité, juste assez pour une petite tasse. Une fois que le client a terminé le breuvage, la tasse (fincan en turc) est retournée dans la soucoupe. Certains suggèrent de tourner la tasse trois fois en prononçant les mots : « Neyse halim, çiksin falim », ce qui signifie « que la fortune montre le sort qui m’est réservé ».

D’autres insistent sur le fait que la tasse ou son anse doivent être tournés de manière à faire face au buveur. Le tasséographe lit ensuite le motif laissé par les résidus de café, interprétant les formes comme des symboles ou des lettres. Les interprétations sont purement subjectives, deux lecteurs pouvant donner des réponses tout à fait différentes l’une de l’autre.

Les poèmes de Hafez

Chams ad-Din Mohammad Hafez-e Chirazi, mieux connu sous le nom de Hafez, est un poète persan du XIVe siècle originaire de la ville de Chiraz. Ses recueils, tels que Lisan al-Ghayb (langue de l’invisible) et Le Divan sont présent aujourd’hui dans de nombreux foyers iraniens. Son œuvre est profondément imprégnée de thèmes soufis et mystiques et touche à des sujets très divers, notamment l’amour ou la perte d’un être cher.

Les persanophones se réfèrent aux œuvres du poète du XIVe siècle Hafez pour connaître leur avenir (CC/Flickr)
Les persanophones se réfèrent aux œuvres du poète du XIVe siècle Hafez pour connaître leur avenir (CC/Flickr)

Compte tenu de la grande variété des thématiques évoquées par le poète, une tradition s’est développée dans les pays de langue persane, tels que l’Iran et l’Afghanistan, consistant à sélectionner au hasard un vers des poèmes de Hafez dans l’espoir qu’il contienne un indice pertinent sur la vie et l’avenir du lecteur.

D’autres ouvrages, tels que Le Masnavi de Rumi (XIIIe siècle), le Livre des présages (Falnama, XVIe siècle) et même le Coran sont également utilisés à des fins divinatoires.

Une variante de cette tradition peut être observée dans les rues de Téhéran, incarnée par un homme portant une boîte de la taille de la paume de la main où sont écrits des extraits de poésie ou de textes sacrés. Un client pose une question à l’homme, qui invite une perruche perchée sur son épaule à choisir une carte au hasard. Celle-ci est censée apporter une réponse pertinente au client.

Fèves et pois chiches

La favomancie consiste à utiliser des haricots et d’autres légumineuses pour prédire l’avenir en les jetant puis en recherchant des formes dans la façon dont ils se sont dispersés.

Populaire en Bosnie et en Russie, cette pratique serait originaire du Moyen-Orient, probablement d’Iran.

Dans la tradition bosniaque, 41 haricots sont utilisés et le rituel est connu sous le nom de bacanje graha, « lancer de haricots ».

Les Bosniaques pratiquent toujours l’ancienne tradition iranienne de lancer de pois chiches pour prédire l’avenir (Domaine public)
Les Bosniaques pratiquent toujours l’ancienne tradition iranienne de lancer de pois chiches pour prédire l’avenir (Domaine public)

Une diseuse de bonne aventure, connue sous le nom de faladzinica, récite des versets du Coran au-dessus des haricots avant de les lancer en trois mouvements, lesquels représentent le passé, le présent et le futur.

Si certains affirment que la tradition est enracinée dans l’islam, les interprétations orthodoxes de la religion rejettent cette idée et la divination en général.

Numérologie

À l’instar d’autres formes de divination, les origines de la numérologie sont anciennes et remonteraient aux premières civilisations de Mésopotamie (l’Irak moderne) et d’Égypte.

Cette tradition consiste à attribuer aux lettres une valeur numérique et à essayer de rechercher dans les mots, les noms et la date de naissance d’une personne des signes pouvant aider à connaître son avenir.

Les anciens Mésopotamiens pratiquaient la numérologie (AFP)
Les anciens Mésopotamiens pratiquaient la numérologie (AFP)

Les Chaldéens de Babylone furent les premiers à pratiquer la numérologie et ont peut-être influencé le philosophe et mathématicien grec Pythagore, qui développa son propre ensemble de nombres et de codes pour déterminer l’avenir.

Les numérologues modernes utilisent un système qui décode le nom et la date de naissance d’une personne afin de mieux comprendre son caractère et deviner son destin. Le numéro du but de l’âme est toujours un chiffre unique. Par exemple, le numéro 1 signifie le leadership et le numéro 5 est lié à la perspicacité.

Les lignes de la main

La forme contemporaine de la pratique consistant à lire les lignes de la paume de la main (chiromancie) s’est répandue au Moyen-Orient à travers la migration des Roms, originaires du sous-continent indien. Cette tradition était cependant présente dans l’ancienne Mésopotamie, la Perse et la Grèce antique.

La technique de base consiste à regarder les lignes de la paume pour y déceler des caractéristiques distinctives qui permettront de révéler des informations sur la personnalité ou l’avenir de quelqu’un.

Certains pensent que notre destin est écrit au creux de nos mains (Wikimedia)
Certains pensent que notre destin est écrit au creux de nos mains (Wikimedia)

Interdite dans l’islam, la pratique demeure toutefois populaire dans les pays à majorité musulmane : les Iraniens l’appellent kaf bini (observation de la paume) et les Arabes ilm al-asarir (science des lignes de la paume). Elle implique la lecture des principales lignes de la main : la ligne de vie, la ligne de chance, la ligne de cœur, la ligne du destin et la ligne de tête.

Des prédictions peuvent être faites dans tous les domaines de la vie d’une personne, de l’âge de son mariage au nombre d’enfants qu’elle aura, l’âge de sa mort ou encore sa situation financière.

Les kabbalistes juifs citent un sage du XIIIe siècle, Asher ben Saül, pour justifier leur recours à cette pratique, laquelle est autrement interdite dans les formes dominantes du judaïsme. « Grâce aux lignes de la main, les sages connaîtraient le sort d’un homme et les bonnes choses qui lui sont réservées », aurait-il déclaré.

Certains érudits chrétiens acceptent également la pratique en se fondant sur le Livre de Job, où est écrit : « Il met un sceau sur la main de tous les hommes, afin que tous se reconnaissent comme Ses créatures » (37:7), et le Livre des proverbes : « Longueur de jours est dans sa droite, dans sa gauche richesse et honneur » (3:16).p

Traduction de l’anglais (original).

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