Un dîner de Noël palestinien à Bethléem, berceau du christianisme
De la dinde, de la farce, des pommes de terre rôties et des choux de Bruxelles enrobés de sauce. Agrémentez le cadre de quelques biscuits emblématiques et de guirlandes et vous obtiendrez le décor traditionnel d’un repas de Noël – dans le monde occidental, du moins.
Mais à quoi ressemble un repas de Noël traditionnel sur une table palestinienne ? À Bethléem (Cisjordanie occupée), lieu de naissance de Jésus, les traditions culinaires que les familles et les commerces chrétiens suivent pendant la période des fêtes sont différentes et reflètent la richesse de la cuisine et de la culture palestiniennes.
Nisrren Zeineh, qui vit avec son mari et ses trois fils dans le quartier d’al-Anatreh, dans la vieille ville de Bethléem, prépare un grand festin palestinien pour sa famille et ses proches le jour de Noël.
« Nous avons tendance à avoir différents repas traditionnels », explique-t-elle. « Cela peut être du collier d’agneau farci, des feuilles de vigne et des courgettes farcies, ou du qidreh », un plat hébronite composé de viande cuite avec des pois chiches et du riz dans un bouillon infusé d’ail et d’épices.
Les kousa mahshi – courgettes farcies – et les warak inab – feuilles de vigne farcies – forment un plat palestinien de base souvent servi lors de rassemblements et de festivités. Il est également très apprécié à Noël dans de nombreux foyers palestiniens.
« Je le prépare spécifiquement pour les fêtes de fin d’année car ce sont des jours de joie où toute la famille est réunie », explique Nisrren Zeineh.
La farce se compose d’un mélange savoureux de riz, de viande hachée, d’herbes et d’épices, notamment de la mélasse de grenade, du cumin et du curcuma. Le mélange est souvent agrémenté d’une sauce piquante au tahini et cuit lentement.
Cette année, cependant, Nisrren Zeineh prépare un autre plat plébiscité par la famille : des côtes d’agneau farcies de riz et de viande hachée, le taj al-malek (« couronne du roi »).
« C’est un autre plat traditionnel palestinien que nous avons adopté pour Noël car il représente la joie et la fête ; ces plats et le partage de la nourriture font partie de notre culture. »
Les célébrations religieuses à Bethléem ont lieu la veille et le jour de Noël. Le jour du réveillon se tient une procession à l’occasion de laquelle le patriarche latin de l’Église catholique, Pierbattista Pizzaballa, effectue le trajet de Jérusalem à Bethléem, où il est accueilli par une foule sur la place de la Mangeoire avant la messe à la basilique de la Nativité.
Nisrren Zeineh et sa famille assistent à l’office et à la messe de minuit, puis retrouvent leurs amis et leur famille pour déguster du fromage et du vin.
Des recettes de grand-mère
Chez Fadi Kattan, ces événements religieux se déroulent autour d’une table garnie de plats semblables à ceux que sa défunte grand-mère préparait lors du réveillon de Noël.
« Nous avions beaucoup de pâtisseries comme des sambousek et des sfiha », explique Fadi Kattan, un chef franco-palestinien qui possède le restaurant Fawda et la maison d’hôtes Hosh al-Syrian, à deux pas de la vieille ville de Bethléem.
À la table familiale, on retrouve toujours du hashweh (« farce » en arabe), une farce à base de riz et de viande hachée illustrée ci-dessus qui garnit des légumes, des feuilles de vigne ou des pièces de viande – mais ici, elle constitue un plat à part entière.
« Ma grand-mère y ajoutait des châtaignes », explique-t-il. Le chef ne manque pas d’inclure cette recette dans le menu de Noël de son restaurant, avec d’autres plats de saison.
Chez Fawda, Fadi Kattan propose une version modernisée de la culture gastronomique palestinienne, avec des plats ancrés dans les saveurs traditionnelles. Par exemple, sa version du mussakhan – un poulet rôti au sumac avec des oignons rouges et du taboon, un pain plat – est transformée en un pâté de foie de poulet accompagné d’un confit d’oignons au sumac.
« On obtient des saveurs palestiniennes, mais ce n’est pas un mussakhan traditionnel, c’est une revisite. »
Son menu de Noël comporte également les produits de saison les plus emblématiques, auxquels il donne une saveur incontestablement palestinienne. Pour l’un de ses plats, il fait rôtir une courge entière qu’il fait mariner dans du zaatar et de l’huile d’olive et dont il extrait la garniture pour en faire un fondant crémeux.
Des gourmandises sucrées
Le dessert est bien entendu un élément clé de la cuisine de Noël bethléemite. Les Palestiniens adorent se laisser tenter par des sucreries ou des halawiyat, les friandises de fête incontournables.
Chez Nisrren Zeineh, on apprécie les ghraybeh, des biscuits du Moyen-Orient faits de farine et de sucre et rehaussés de pistaches ou d’amandes, souvent accompagnés sur un plateau de leurs cousins sucrés : biscuits aux épices, dattes fourrées aux amandes, figues séchées.
Fadi Kattan et sa famille affectionnent des pâtisseries plus traditionnelles comme les ka’ak et les maamoul. Ces biscuits sablés à base de semoule sont des éléments essentiels des célébrations palestiniennes de Pâques et du Ramadan musulman et sont de plus en plus partagés à Noël également. Tandis que le ka’ak est un biscuit circulaire avec un trou au milieu – la forme d’anneau symboliserait la couronne d’épines de Jésus –, le maamoul est fourré de pâte de dattes ou de pistaches concassées.
Sa famille déguste aussi un gâteau de Noël aux fruits séchés locaux comme des figues, des abricots et des cerises et aux nombreuses épices – notamment de la cardamome, du gingembre, de la noix de muscade et du quatre-épices – qu’il sert chez Fawda. « Je prépare le gâteau de ma grand-mère en suivant sa recette et je ne change rien », confie-t-il avec nostalgie.
Depuis deux ans, Fadi Kattan ne peut plus servir son gâteau chez Fawda, ni aucun autre plat, en raison de la pandémie de COVID-19. Bethléem, qui prospère habituellement grâce au tourisme, notamment à Noël, n’aperçoit plus de visiteurs depuis début 2020. De nombreux commerces, dont celui de Fadi Kattan, sont restés fermés. « Nous avons fermé en mars de l’année dernière et malheureusement, nous sommes encore dans l’incapacité de rouvrir. »
Par conséquent, Fadi Kattan ne fêtera pas Noël à Bethléem cette année et le passera avec sa famille en Europe. « Je me suis dit que ce serait plus facile de partir parce que c’est assez douloureux […] Mon restaurant me manque, tout comme le brouhaha de Noël qui y régnait. Nous étions habituellement très occupés car de nombreuses familles réservaient leur repas de Noël chez nous. »
« L’atmosphère de la période de Noël est généralement si radieuse et si charmante, c’est pour cela que l’absence de touristes nous attriste », déplore aussi Nisrren Zeineh.
Malgré cela, le Noël de Bethléem se poursuivra dans les cuisines palestiniennes, alors que les habitants d’autres villes comme Nazareth et Haïfa s’y rendent toujours pour les cérémonies.
« Ces célébrations religieuses ont toujours eu lieu depuis 2 000 ans », affirme Fadi Kattan. « Les guerres, les catastrophes naturelles, l’occupation [israélienne] ou même la pandémie, rien n’a empêché la tenue des festivités de Noël à Bethléem. C’est ici que tout a commencé. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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