Polémique à Sciences Po sur fond de guerre à Gaza : des étudiants juifs réfutent toute accusation d’antisémitisme
Alors que Sciences Po Paris, pépinière des élites françaises, se retrouve sous le feu des critiques, accusé de laisser prospérer l’antisémitisme sur fond de mobilisation pour Gaza, un groupe d’étudiants juifs a publié ce jeudi 14 mars une tribune dénonçant l’instrumentalisation de l’antisémitisme en vue d’empêcher le soutien à la cause palestinienne.
Les faits allégués, dont les versions divergent, se sont produits mardi lors de l’occupation d’un amphithéâtre par environ 300 militants pro-palestiniens, dans le cadre d’une « journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine », qui n’avait pas été autorisée par la direction de l’établissement.
Selon cette dernière, une étudiante de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) aurait « été empêchée d’accéder à l’amphithéâtre » où se tenait l’action. « Des propos accusatoires ont été prononcés [à la tribune] à l’encontre » de l’association étudiante, a ajouté la direction de Sciences Po.
L’UEJF a dénoncé des propos antisémites à l’égard de cette étudiante, ce qui a conduit le gouvernement à saisir mercredi le procureur.
Mercredi, le président français Emmanuel Macron est monté au créneau, dénonçant des propos « inqualifiables et parfaitement intolérables » et affirmant son refus du « moindre début de séparatisme » dans les établissements d’enseignement supérieur.
Le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) a demandé jeudi l’ouverture d’une « commission d’enquête parlementaire sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur » en France.
La gauche radicale a en revanche estimé que les étudiants du comité Palestine étaient « victimes d’une cabale ».
Les accusations d’antisémitisme ont été réfutées par le comité Palestine de Sciences Po.
Selon une étudiante présente dans l’amphithéâtre interrogée par l’AFP, la jeune femme membre de l’UEJF a été empêchée d’entrer « pour des raisons de sécurité, parce qu’elle avait auparavant intimidé des étudiants pro-Palestiniens ». « Elle est la seule à n’avoir pu entrer. D’autres membres de l’UEJF ont assisté aux débats », a-t-elle affirmé, sous le couvert de l’anonymat.
Dans une tribune publié ce jeudi dans le Club de Mediapart, des étudiants juifs, qui ont souhaité conserver l’anonymat, dénoncent « des récits approximatifs » et « un emballement médiatique et politique démesuré ».
« En tant qu’étudiant-e-s juif-ves, nous dénonçons cette manipulation politique qui invisibilise notre expérience d’étudiant-e-s juif-ves horrifié-e-s par les horreurs commises contre la population gazaouie. La direction de Sciences Po et les responsables politiques font de nous des cautions pour leur permettre de réprimer la liberté d’expression et les mobilisations pour la justice en Palestine. Nous refusons fermement d’être instrumentalisé-e-s de la sorte. »
L’UEJF « refuse aux juifs la capacité de se battre pour la justice »
Ils donnent dans la tribune leur version des faits : « Le matin de ce mardi 12 mars, plusieurs étudiant-e-s juif-ve-s sont entré-e-s dans l’amphithéâtre Émile Boutmy et ont été présent-e-s pendant toute la durée de la mobilisation. Contrairement aux allégations, nous avons pu entrer dans l’amphithéâtre sans aucune entrave », précisent-ils.
« L’une d’entre nous l’a fait librement, tout en portant autour de son cou l’étoile de David qu’elle porte depuis sa Bat Mitzvah. Elle a porté son collier à l’extérieur de son pull dans l’intention qu’il soit visible, afin que sa présence en tant que femme juive dans l’amphithéâtre soit connue.
« Une autre d’entre nous a fait une présentation dans le cadre de la mobilisation sur le judaïsme et l’antisionisme. Ironiquement, le cœur de sa présentation était de montrer comment le sionisme instrumentalise l’antisémitisme pour servir ses propres ambitions matérielles. L’altercation à la porte de l’amphithéâtre qui a été si lourdement défigurée par la presse s’est produite au moment où elle donnait sa présentation. »
Les étudiants insistent sur le fait qu’« à aucun moment de l’événement, [ils ne se sont] senti-e-s intimidé-e-s ou en danger du fait d’une action des organisateur-rice-s ou des autres participant-e-s à quelque titre que ce soit ».
Au contraire, écrivent-ils, « nous avons été touché-e-s par le fait que nous nous sommes senti-e-s bien accueilli-e-s et inclu-e-s en tant que juif-ve-s pendant toute la durée de l’événement ».
La tribune accuse l’Union des étudiants juifs de France d’orchestrer une campagne d’allégations d’antisémitisme à l’encontre de quiconque se mobilise pour la cause palestinienne à Sciences Po depuis le début de la guerre à Gaza le 7 octobre.
« L’UEJF dit représenter les étudiant-e-s juif-ves, nous affirmons que cette organisation ne nous représente pas, ni politiquement, ni religieusement. Sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, l’UEJF développe un discours ouvertement hostile à toute revendication pro-palestinienne, et brille par son refus de critiquer la politique criminelle d’Israël. »
« En voulant faire de tous-tes les juif-ves des soutiens d’Israël, c’est l’UEJF qui porte un discours réducteur, refusant aux juif-ves la capacité de se battre pour la justice et mettant en danger tous-tes les étudiant-e-s qui se battent pour la Palestine. »
« La lutte contre l’antisémitisme ne pourra jamais se faire au détriment des vies palestiniennes », concluent les étudiants.
La préfecture de police a interdit un rassemblement ce jeudi en fin de journée devant Sciences Po à l’appel du collectif Urgence Palestine.
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