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« L’équipe du Maroc ne me représente pas » : pour les Sahraouis, pas question de soutenir les Lions de l’Atlas en Coupe du monde

Ils auraient préféré que l’Algérie se qualifie et, en l’absence de pays soutenant leurs revendications d’indépendance, les réfugiés sahraouis montrent peu d’enthousiasme pour le Mondial 2022
Un supporteur marocain caché derrière un masque de lion alors que l’équipe nationale du Maroc (les Lions de l’Atlas) s’apprête à affronter la Belgique, le 27 novembre 2022 à Doha (AFP/Fadel Senna)
Un supporteur marocain caché derrière un masque de lion alors que l’équipe nationale du Maroc (les Lions de l’Atlas) s’apprête à affronter la Belgique, le 27 novembre 2022 à Doha (AFP/Fadel Senna)

Lorsque l’équipe marocaine de football entre sur le terrain au Qatar à l’occasion de la Coupe du monde, Madalah Almami ne l’encourage pas. Il affirme également qu’il n’est pas le seul à boycotter les matchs des Lions de l’Atlas. 

En tant que Sahraoui né et ayant grandi dans un camp de réfugiés dans le Sud-Ouest de l’Algérie, Madalah Almami vit parmi des milliers de personnes qui ont été forcées il y a de cela plusieurs décennies de fuir le Sahara occidental, une vaste étendue désertique longeant la côte atlantique de l’Afrique que se disputent le Maroc et les combattants indépendantistes du Front Polisario.

Partie de football improvisée dans le camp de Boujdour où, selon le HCR, vit 10 % de la population sahraouie (MEE)
Partie de football improvisée dans le camp de Boujdour où, selon le HCR, vit 10 % de la population sahraouie (MEE)

Le Maroc et la Mauritanie étaient censés se partager le Sahara occidental lorsque l’Espagne en a abandonné le contrôle. Toutefois, en 1976, le Front Polisario a proclamé l’indépendance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) – et affiché sa détermination à se battre pour l’obtenir.

Riche en phosphates et bordant de généreuses eaux de pêche de l’Atlantique, le Sahara occidental est aujourd’hui contrôlé sur environ 80 % de sa superficie par le Maroc, qui désigne l’ensemble de la région comme ses « provinces du Sud ».

Dans un camp de réfugiés du Sud-Ouest de l’Algérie où les parents tentent de briser le cercle vicieux de souffrance et de pauvreté qui engloutit cette communauté, l’équipe nationale marocaine, qui tentera jeudi d’accéder aux huitièmes de finale de la Coupe du monde au Qatar, ne reçoit que peu de soutien, voire aucun.

« On jouait jusqu’à ne plus voir la balle »

L’amour du ballon rond y est pourtant cultivé : on peut voir des enfants jouer pieds nus sur des terrains poussiéreux, avec de grosses pierres en guise de buts et un ballon presque toujours dégonflé.

C’est ici que beaucoup voient germer leur passion pour le football.

Mais c’est aussi là que beaucoup perdent leurs illusions en voyant leur carrière footballistique s’arrêter alors que celle des footballeurs marocains s’épanouit.

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Madalah Almami a passé la majeure partie de sa jeunesse à essayer de se perfectionner pour devenir l’équivalent sahraoui de l’ancienne star marocaine du football Mustapha Hadji

Il se remémore son enfance, lorsqu’il déposait son sac à dos après une longue journée d’école et passait chaque instant jusqu’au coucher du soleil à courir après le ballon.

« On jouait jusqu’à ne plus voir la balle », raconte-t-il à Middle East Eye.

Au fil des an, il a rejoint l’équipe locale de son camp, allant même jusqu’à être considéré comme un candidat à l’équipe nationale sahraouie. Il explique cependant que la passion à elle seule n’a pas suffi et qu’il n’est pas parvenu à intégrer la sélection afin de représenter la communauté pour laquelle il se dit prêt à mourir.

« Le football est peut-être un moyen pour certains de faire des profits, mais pour moi, c’était un moyen d’exprimer mon identité », confie-t-il.

Ragab Baba Hayay, qui a entraîné l’équipe du Sahara occidental lors de l’édition 2012 de la VIVA World Cup – une ancienne compétition de football regroupant des fédérations non affiliées à la FIFA – organisée au Kurdistan irakien, se souvient qu’il y avait beaucoup de fierté pour l’équipe, bien que peu de gens en dehors du continent soient au courant de leurs exploits footballistiques.

« Le football est peut-être un moyen pour certains de faire des profits, mais pour moi, c’était un moyen d’exprimer mon identité »

- Madalah Almami, Sahraoui passionné de football

Il raconte que l’équipe qu’il a entraînée en 2012 pratiquait un football attrayant et a rendu une copie admirable en dépit des nombreuses difficultés rencontrées, notamment les restrictions concernant l’utilisation du drapeau national lors des cérémonies d’avant-match.

La sélection a terminé sixième après avoir subi des défaites 6-0 et 6-2 lors de ses deux premiers matchs. Ragab Baba Hayay tient néanmoins à souligner que son équipe s’en est bien sortie en marquant ensuite neuf buts pour arracher la sixième place du tournoi. 

« En ce qui concerne notre absence aux événements africains, celle-ci est due à l’absence de fédération de football, mais le ministère [sahraoui] de la Jeunesse et des Sports se penche sur la présentation d’un dossier à l’Union africaine », indique Ragab Baba Hayay à MEE.

« Le Maroc ne me représente pas »

Porté par de solides performances en amont du Mondial, le Maroc a soigné son entrée mercredi au stade Al-Bayt en tenant en échec la Croatie (0-0), vice-championne du monde en titre.

Les Lions de l’Atlas ont ensuite dépassé dimanche les attentes en dominant la Belgique (0-2) et affronteront le Canada jeudi.

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Forte de références footballistiques solides et encouragée par des milliers de supporteurs sur place, la sélection emmenée par ses stars est en passe de reproduire sa superbe performance réalisée en 1986, lorsqu’elle avait atteint les huitièmes de finale.

Pourtant, Gouz Said, un autre habitant du camp, ne se voit pas encourager l’équipe nationale marocaine, où qu’elle aille.

« L’équipe du Maroc ne me représente pas », affirme-t-il à MEE.

« La République arabe sahraouie démocratique est membre de l’Union africaine et me représente en tant que pays », soutient-il, avant d’ajouter : « Si l’on regarde l’équipe du Maroc, elle n’ira pas en huitièmes de finales. J’aurais préféré que ce soit l’Algérie à la place car elle serait sûrement allée plus loin. »

L’Algérie a manqué de peu la qualification après avoir été battue en mars par une solide équipe du Cameroun, deux mois après avoir vu son impressionnante série de 35 matches sans défaite prendre fin.

Selon Gouz Said, les victoires et les défaites des Fennecs se ressentent toujours chez les Sahraouis dans les camps de réfugiés, en grande partie en raison des efforts déployés par Alger pour contrer les revendications marocaines de souveraineté sur le Sahara occidental.

« Si l’on regarde l’équipe du Maroc, elle n’ira pas en huitièmes de finales. J’aurais préféré que ce soit l’Algérie à la place car elle serait sûrement allée plus loin »

- Gouz Said, un Sahraoui vivant dans un camp de réfugiés

L’Algérie accueille et soutient depuis longtemps le Front Polisario, qui cherche à obtenir l’indépendance totale du Sahara occidental et exige un référendum, comme le prévoit l’accord de cessez-le-feu de 1991.

L’Union africaine, dont elle est membre, est une autre source importante de soutien pour la RASD. La région a été reconnue comme un pays indépendant par 84 États membres de l’ONU, bien que plusieurs pays aient commencé à se retirer ou à geler leur reconnaissance ces dernières années.

Au cours des deux dernières années, les tensions se sont exacerbées au Sahara occidental avec un retour à la confrontation militaire le long du mur désertique de 2 700 km qui sépare le Sahara occidental sous contrôle marocain et les 20 % contrôlés par le Front Polisario.

Interdit de soutenir les Algériens

L’an dernier, les forces armées du Front Polisario revendiquaient à un moment donné des attaques quasi quotidiennes contre des bases et des avant-postes militaires marocains à la suite de la rupture du cessez-le-feu.

Les tensions avaient connu un pic en 2020, lorsque l’ancien président américain Donald Trump a rompu avec les normes diplomatiques de longue date pour reconnaître la revendication du Maroc sur ce territoire, en contrepartie de la normalisation par Rabat de ses relations avec Israël.

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Aucun pays n’a suivi la démarche américaine, que l’Allemagne a remise en question devant l’ONU en appelant les États-Unis à « agir dans le cadre du droit international ».

L’administration Biden se range généralement derrière cette décision prise à l’ère Trump, tout en s’abstenant de reconnaître complètement la revendication de souveraineté de Rabat sur ce territoire contesté.

Ahmed Atanji, un activiste sahraoui de premier plan vivant près du mur de sable qui sert de séparation, par ailleurs passionné de football, explique que les habitants de sa ville ne soutiennent que la sélection sahraouie et l’équipe nationale algérienne. 

« Au Sahara occidental, on nous interdit de soutenir l’équipe nationale algérienne » , souligne-t-il. « Les autorités marocaines ferment les cafés et imposent un couvre-feu lorsque les Algériens jouent. De nombreux Sahraouis ont été arrêtés lorsqu’ils ont voulu célébrer les victoires algériennes en Coupe d’Afrique des nations [CAN]. » 

« Les autorités marocaines ferment les cafés et imposent un couvre-feu lorsque les Algériens jouent. De nombreux Sahraouis ont été arrêtés lorsqu’ils ont voulu célébrer les victoires algériennes en Coupe d’Afrique des nations  » 

- Ahmed Atanji, activiste sahraoui

Selon Human Rights Watch, les autorités marocaines considèrent toute opposition à leur autorité au Sahara occidental comme une atteinte illégale à « l’intégrité territoriale » du Maroc et se servent de cette base pour interdire ou disperser les manifestations pacifiques et refuser la reconnaissance légale des organisations de défense des droits de l’homme. 

Pour Madalah Almami, la politique et le sport sont indissociables et il n’y a guère matière à se réjouir d’une Coupe du monde à laquelle le pays voisin qui soutient ses revendications d’indépendance ne participe pas.

Néanmoins, en tant que passionné de football, il encouragera le Brésil, pays neutre. « J’espère qu’ils remporteront la Coupe du monde », affirme-t-il. 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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