Crash d’avion du patron de Wagner : une mort annoncée qui ne « surprend » personne
La vidéo qui tourne en boucle depuis hier soir sur les réseaux sociaux montre Vladimir Poutine interviewé en 2018 par un journaliste qui lui demande : « Êtes-vous capable de tout pardonner ? » Le président russe répond : « Oui, mais pas tout. » Le journaliste le relance : « Qu’est-ce qu’il est impossible de pardonner ? » Et Poutine de répondre : « La trahison. »
La mort rapportée par les médias russes d’Evgueni Prigojine, 62 ans, patron du groupe Wagner, à l’origine d’une rébellion infructueuse contre Vladimir Poutine en juin, à bord de l’avion qui s’est écrasé au nord-ouest de Moscou, en Russie, mercredi 23 août, a immédiatement suscité beaucoup de questions sur les conditions du crash.
Le président américain Joe Biden a déclaré dans la soirée qu’il n’était « pas surpris » de cette mort. « Je ne sais pas encore tout à fait ce qu’il s’est passé, mais je ne suis pas surpris. Peu de choses ne se passent en Russie sans que Poutine n’y soit pour quelque chose. »
Selon Alicia Kearns, présidente du Comité des affaires étrangères du Parlement britannique, cette nouvelle montre que Poutine envoie un message « très fort ».
Très étonnamment, Evgueni Prigojine se trouvait à bord de cet avion, entre Moscou et St Petersbourg, 2 mois après avoir trahi Poutine.
— Marion Van Renterghem (@MarionVanR) August 23, 2023
Il rejoint les dizaines d’oligarques russes “suicidés” ou fâcheusement tombés d’une fenêtre ou d’un bateau. Pas de bol.pic.twitter.com/IKriUS2b6H
Ce jeudi, le porte-parole du gouvernement français Olivier Véran a aussi estimé qu’existaient « des doutes raisonnables » sur « les conditions » du crash aérien.
Dix personnes à bord
Evgueni Prigojine n’est pas la seule victime de cet accident selon les médias russes : à bord, se trouvaient aussi son adjoint et huit autres passagers. Le Kremlin et le ministère de la Défense n’ont pas réagi dans l’immédiat.
L’agence Rossaviatsia a confirmé qu’Evgueni Prigojine se trouvait à bord de l’avion effectuant un vol entre Moscou et Saint-Pétersbourg qui s’est écrasé dans la région de Tver.
« Selon la compagnie aérienne, les passagers suivants se trouvaient à bord de l’avion Embraer - 135 », a indiqué l’agence en citant le nom de Prigojine mais aussi celui de son bras droit Dmitri Outkine.
« Il y avait dix personnes à bord, dont trois membres d’équipage. Selon les premières informations, toutes les personnes à bord sont décédées », avait indiqué un peu auparavant sur Telegram le ministère russe des Situations d’urgence.
Des vidéos dont Middle East Eye n’a pas pu confirmer l’authenticité ont été diffusées sur plusieurs chaînes Telegram se disant liées à Wagner, montrant des débris en feu dans un champ ou encore un appareil tombant du ciel.
Une enquête a été ouverte pour « violation des règles de sécurité du transport aérien ». « Une équipe d’enquêteurs a été envoyée sur les lieux […] pour établir les causes de l’accident », a indiqué dans un communiqué le Comité d’enquête russe.
Le président Vladimir Poutine, qui prononçait le soir même un discours à l’occasion du 80e anniversaire de la bataille de Koursk au cours de la Seconde Guerre mondiale, se rendant dans cette région du sud-ouest de la Russie, frontalière de l’Ukraine, n’a pas mentionné le crash et a salué sur scène devant la foule le « dévouement » et la « loyauté » des soldats russes en Ukraine, qui « combattent avec courage et détermination ».
L’élimination de Prigojine était inscrite dans l’échec de sa mutinerie. L’enjeu pour le Kremlin reste de reprendre le contrôle sur les activités de Wagner, créé en 2014 par le renseignement militaire pour mener les opérations que la Russie ne souhaite pas revendiquer. pic.twitter.com/EHSsAnGvJC
— Didier François (@frog_of_war) August 24, 2023
Le groupe Wagner, déployé dans différents pays sur ordre de Moscou, a été récemment impliqué dans la guerre en Ukraine.
Il a été actif sur le plan militaire en Syrie depuis 2015, lorsque ses mercenaires ont été déployés pour combattre aux côtés des forces du président Bachar al-Assad.
Le groupe a également joué un rôle clé en Libye, aidant le commandant militaire devenu seigneur de guerre Khalifa Haftar à prendre le contrôle des régions sud et est du pays.
Le président Vladimir Poutine, qui prononçait le soir même un discours à l’occasion du 80e anniversaire de la bataille de Koursk, n’a pas mentionné le crash et a salué sur scène devant la foule le « dévouement » et la « loyauté » des soldats russes en Ukraine
Au Soudan, le groupe est supposé être principalement actif dans un rôle de sécurité pour protéger des ressources, notamment des mines d’or lucratives.
Wagner est également actif au Mozambique, à Madagascar, au Mali et en République centrafricaine, entre autres pays africains.
Le 23 juin, le groupe de mercenaires s’est retourné contre la direction militaire russe et a commencé à marcher de l’Ukraine vers Moscou, passant de figure de premier plan du conflit en Ukraine au statut d’ennemi juré de Vladimir Poutine.
Le 24 juin, au lendemain du début de cette mutinerie, Vladimir Poutine a dénoncé la « trahison » d’Evgueni Prigojine, « provoquée par les ambitions démesurées et les intérêts personnels ».
L’impétueux milliardaire au crâne rasé et aux traits durs venait d’affirmer s’être emparé « sans un coup de feu » du quartier général de l’armée russe à Rostov-sur-le-Don, centre névralgique des opérations en Ukraine, après avoir accusé la veille l’armée russe d’avoir bombardé des camps de son groupe. Puis ses hommes, « prêts à mourir », ont roulé vers Moscou, abattant des avions de l’armée russe.
Mais finalement, le chef mercenaire a renoncé au coup de force au bout de 24 heures, négociant un exil pour lui et ses fidèles au Bélarus. Il a échappé à la prison, à la justice.
Dans la rivalité entre Prigojine et Choigou, le Parrain Poutine a pris entièrement parti de ce dernier. Prigojine qui revenait d’une tournée africaine a essayé de garder pour lui l’Afrique, alors que Choigou voulait prendre sa place. Il faut s’attendre à d’autres morts bientôt !
— Galina Ackerman (@GaliaAckerman) August 23, 2023
MEE avait précédemment rapporté que le gouvernement russe éprouvait des difficultés à reprendre le contrôle du groupe, qui dispose d’un réseau étendu de troupes et d’agents dans plusieurs pays.
Signe de l’opacité de l’accord, Prigojine est cependant revenu en Russie, il a même été reçu au Kremlin dans les jours suivant sa révolte. S’il n’est plus apparu en public, les blogs spécialisés le traquaient, lui et ses avions.
Finalement, c’est semble-t-il d’Afrique qu’il a publié une vidéo cette semaine, où il assurait agir pour la grandeur de la Russie sur ce continent, où ses hommes font depuis des années les basses oeuvres du Kremlin.
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