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Une militante sahraouie fait appel à des Américains pour mettre fin aux violences policières

Le Maroc a cessé les violences contre Sultana Khaya en présence de ressortissants américains, mais les États-Unis ont prévenu les militants : ils risquent d’être arrêtés par les autorités marocaines
Ruth McDonough, Sultana Khaya et Tim Pluta sur le toit de la maison de Sultana Khaya à Boujdour, agitant le drapeau sahraoui (photo fournie)
Ruth McDonough, Sultana Khaya et Tim Pluta sur le toit de la maison de Sultana Khaya à Boujdour, agitant le drapeau sahraoui (photo fournie)

Sultana Khaya a énormément souffert pour sa cause.

Militante pour les droits du peuple sahraoui et originaire de la ville sahraouie de Boujdour, elle a été confrontée (tout comme ses proches) à des violences répétées de la part de la police marocaine.

Elle a été violée et menacée de viol par des policiers à plusieurs reprises, tout comme sa sœur et sa mère.

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Depuis novembre 2020, et la rupture d’un cessez-le-feu entre le Maroc et un groupe nationaliste sahraoui, qui a engendré une répression générale contre les militants au Sahara occidental, elle est assignée à résidence.

Après des mois « en état de siège » dans sa maison selon ses mots et d’invasions répétées de la police, Khaya et d’autres militants locaux ont lancé un appel aux Américains favorables à sa cause, pour qu’ils viennent briser le siège de sa maison, estimant que la police marocaine serait moins encline à attaquer des individus protégés par des passeports américains.

« Nous avons demandé à plusieurs reprises qu’une délégation vienne rendre compte de notre situation », explique Khaya à Middle East Eye par téléphone depuis son domicile.

« Le Maroc utilise beaucoup de propagande contre nous en tant que peuple sahraoui. La délégation est venue rendre compte de la situation, parce que le Maroc ne cesse de mentir sur notre lutte et de susciter des incompréhensions à ce sujet. »

Des manifestations depuis le toit

Depuis le 16 mars, Khaya vit aux côtés de Tim Pluta, ex-soldat irlando-américain, et de Ruth McDonough, institutrice britanno-américaine, qui ont réussi à se rendre chez elle après plusieurs tentatives infructueuses d’autres militants.

Ils avaient prévu de rester une semaine, mais plus d’un mois s’est écoulé depuis car ils ont constaté que la police ne s’approchait pas d’eux.

« Les viols ont cessé parce que nous sommes dans la maison »

- Tim Pluta, ex-soldat irlando-américain

McDonough raconte qu’elle travaillait dans une école de Londres lorsqu’elle a reçu un appel d’un contact militant au sujet de la situation de Sultana Khaya.

« On m’a dit littéralement : “On a besoin de détenteurs de passeports américains qui parlent arabe et qui ont une semaine de congés” », rapporte-t-elle à MEE.

La présence des Américains a marqué la fin des violences et des agressions sexuelles répétées infligées à Sultana Khaya.

Aucun d’entre eux ne peut quitter la maison de la militante sahraouie, sous surveillance constante de la police marocaine, mais cela a permis à des amis et à des voisins de lui rendre visite et a empêché une nouvelle escalade. Khaya a ainsi pu continuer à faire campagne, notamment en organisant des manifestations depuis son toit.

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« Les viols ont cessé parce que nous sommes dans la maison », affirme Pluta, qui avait gardé son identité secrète avant de se confier à MEE. « Le Maroc entretient des relations si étroites avec les États-Unis, et les États-Unis fournissent au Maroc non seulement de l’argent, mais aussi du matériel militaire et des conseillers. »

Leurs relations remontent à 1777 : le royaume fut alors le premier pays à reconnaître la nation nouvellement indépendante. Les deux pays entretiennent de solides relations commerciales et militaires depuis des décennies.

Avertissement consulaire

Mardi, Ruth McDonough et Tim Pluta ont reçu un avertissement des agents consulaires américains au Maroc : ils doivent partir de leur propre chef ou ils risquent l’arrestation et s’exposent peut-être à des accusations en matière pénale de la part du royaume.

Les militants pensent que c’est probablement du bluff et Ruth McDonough a annoncé mercredi entamer une grève de la faim.

Bien qu’ils ne soient pas impliqués dans des projets spécifiques de militants au Sahara occidental ou à l’étranger, le trio espère que davantage de volontaires étrangers les remplaceront si le Maroc mettait à exécution ses menaces de les faire partir.

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Mais Sultana Khaya et les autres redoutent les probables représailles des services de sécurité marocains si les Américains étaient forcés de partir.

N’osant toucher à Sultana Khaya, la police a harcelé, arrêté et agressé au cours du mois écoulé d’autres militants sahraouis dans la ville (principalement des femmes) et les a mis en garde contre le fait de se rendre chez Sultana ou de lui témoigner leur soutien.

« Ils disent aux femmes : “Attendez seulement que les Américains partent et ce qu’on a fait à Sultana, à ses sœurs et à sa mère, on vous le fera à vous aussi” », souligne Tim Pluta.

« La seule raison pour laquelle ils [les Marocains] ont arrêté, c’est parce que nous avons la nationalité américaine et que le Maroc et les États-Unis sont si liés qu’ils refusent de risquer de perdre le soutien des États-Unis. »

Puissance américaine

L’Espagne contrôlait la région aujourd’hui appelée Sahara occidental jusqu’en 1975, date à laquelle elle a cédé le contrôle au Maroc et à la Mauritanie.

Après plusieurs années de conflit entre les deux pays et le Front Polisario nationaliste sahraoui basé en Algérie, la Mauritanie a retiré sa revendication sur le territoire en 1979.

Depuis un cessez-le-feu de 1991, les deux tiers du Sahara occidental sont désormais contrôlés par le Maroc, tandis que l’autre tiers est contrôlé par le Front Polisario, reconnu par l’ONU comme le représentant légitime du peuple sahraoui.

Des militantes se rassemblent à Boujdour (Sahara occidental) pour soutenir l’activiste Sultana Khaya, en avril 2022 (Facebook)
Des militantes se rassemblent à Boujdour (Sahara occidental) pour soutenir l’activiste Sultana Khaya, en avril 2022 (Facebook)

Aucun pays n’avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental avant novembre 2020, date à laquelle le président américain sortant Donald Trump a reconnu la revendication du royaume en échange de la normalisation des liens du Maroc avec Israël.

Malgré les critiques généralisées de cette rupture avec la politique étrangère américaine, l’administration Biden a clairement dit, par la voix du secrétaire d’État adjoint des États-Unis pour le Proche-Orient Joey Hood, que la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, territoire disputé, restait « inchangée », tandis que des documents du département d’État américain semblent montrer que le Sahara occidental fait partie du Maroc.

Ruth McDonough et Tim Pluta ont tous deux noté l’ironie de la situation : ils utilisent leurs passeports pour soutenir les militants du Sahara occidental malgré la volonté apparente des États-Unis de fermer les yeux sur la colonisation de la région par le Maroc – deux exemples de la puissance de l’influence américaine.

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Ruth a déclaré avoir effectué des recherches sur le principe de la protection des civils non armés, une méthode utilisée par des militants solidaires en Palestine, en Irak, au Soudan du Sud et ailleurs dans le monde pour prévenir les attaques contre les civils menacés de violence.

Au départ, elle s’inquiétait du risque d’être perçue comme s’inscrivant dans le complexe du « sauveur blanc ».

« Accéder à une demande d’utilisation de notre citoyenneté américaine comme bouclier à la fois renforce et ne renforce pas ces schémas de violence que les Khaya subissent dans leur chair », explique-t-elle.

« Ce système qui les protège pendant que nous sommes ici est une préoccupation pour nous, considérés comme plus précieux et plus humains qu’ils ne le sont – et c’est la puissance américaine derrière cela qui soutient également le Maroc qui fait cela. »

MEE a sollicité le gouvernement marocain pour obtenir un commentaire.

Résistance pacifique

L’approche de Sultana Khaya en matière de résistance à l’occupation marocaine contraste avec celle du Front Polisario.

En novembre 2020, le cessez-le-feu qui existait depuis 1991 s’est effondré un mois seulement avant la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine. Depuis lors, il y a eu des combats sporadiques entre les deux camps.

Malgré les violences incessantes infligés à Sultana Khaya et à ses camarades, cette dernière s’en tient fermement aux principes de non-violence.

« En 2007, j’ai perdu mon œil et ils m’ont condamnée à huit mois de prison, mais cela ne m’a jamais arrêtée »

- Sultana Khaya

« Nous croyons toujours en un processus pacifique même si le cessez-le-feu a cessé. En 2007, j’ai perdu mon œil et ils m’ont condamnée à huit mois de prison, mais cela ne m’a jamais arrêtée », relate-t-elle, faisant référence à un coup porté par une matraque de la police lors d’une manifestation qui l’a privée de la moitié de la vue.

« Nous voulons plus de protection et plus de visites pour rendre compte de notre situation afin de voir plus directement et dans quelles conditions nous vivons. Ils nous ont battus. Ils nous ont torturés. Mais cela ne m’a jamais arrêtés. Nous luttons, nous continuerons à lutter pour atteindre notre objectif : l’indépendance. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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