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Sahara occidental : des militantes affirment être victimes de viols, d’assignations à résidence et de divorces forcés

Des habitantes de Boujdour interrogées par MEE affirment avoir été battues et menacées en raison de leur campagne en faveur de la libération de leur camarade Sultana Khaya, une autre militante pour l’indépendance du Sahara occidental faisant l’objet de mesures de détention de longue date
Zainabu Babi a eu les mains cassées après un interrogatoire dans un poste de police marocain (photo fournie)
Zainabu Babi a eu les mains cassées après un interrogatoire dans un poste de police marocain (photo fournie)

Les photos partagées par Mbarka Mohamed al-Hafiz et Fatima Mohamed al-Hafiz dressent un tableau saisissant des sévices que les deux sœurs disent avoir subis de la part de la police marocaine.

Ces militantes de la ville de Boujdour, au Sahara occidental sous contrôle marocain, sont toutes deux encore couvertes de coupures et d’ecchymoses et sont actuellement prises au piège chez elles.

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Elles affirment être confrontées à une brutalité accrue de la part des services de sécurité, qui surveillent toujours leurs moindres faits et gestes, notamment leurs éventuelles tentatives de sortie.

Mbarka et Fatima font toutes deux partie d’un groupe de militantes à la tête d’une campagne de soutien à Sultana Khaya, une militante des droits de l’homme locale de premier plan.

Les sœurs se disent issues d’une « famille politique » : un de leurs frères purge une peine de dix ans de prison pour ses liens avec le mouvement indépendantiste du Sahara occidental.

Sultana Khaya, qui fait l’objet dans les faits d’une assignation à résidence depuis novembre 2020, est membre de la communauté sahraouie, le peuple autochtone du Sahara occidental qui milite pour son indépendance.

Suivie par deux hommes masqués

« J’ai surtout été frappée à la tête, j’ai encore mal. J’ai également été frappée sur le reste de mon corps, mais principalement à la tête et au visage », explique à Middle East Eye Mbarka depuis son domicile au sujet de l’attaque dont elle a été victime dimanche.

Sa sœur Fatima, qui vit non loin de là, a vécu une expérience similaire : elle dit avoir été suivie depuis chez elle par deux hommes masqués. Puis une Mercedes grise s’est arrêtée devant elle.

Photo de la jambe de Fatima al-Hafiz, après avoir été battue par la police marocaine (Fatima al-Hafiz)
Photo de la jambe de Fatima al-Hafiz, après avoir été battue par la police marocaine (Fatima al-Hafiz)

« [Des policiers] sont sortis de la voiture et les deux qui marchaient derrière moi sont venus directement vers moi avec les trois de la Mercedes, et ils ont commencé à me frapper jusqu’à ce que je saigne », raconte Fatima.

« J’ai été frappée aux mains et aux pieds et ils ont continué de me frapper jusqu’à être sûrs que je m’étais évanouie. »

Un voisin a ensuite tenté de la ramener chez elle mais elle a été à nouveau attaquée.

Selon la Ligue pour la défense des droits de l’homme et contre le pillage des ressources naturelles, un groupe de défense des droits de l’homme dont Sultana Khaya est la présidente, elle a subi des agressions sexuelles répétées de la part de policiers à son propre domicile depuis qu’elle y est prise au piège, tout comme ses sœurs. 

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Le 30 novembre 2021, Amnesty International a lancé un appel à une action urgente afin de « mettre fin immédiatement aux violentes attaques contre Sultana Khaya et sa famille et de mener sans délai une enquête exhaustive, indépendante, transparente et efficace sur le recours abusif à la force par les forces de sécurité et les attaques de ces forces contre elle et sa famille, y compris sur les allégations de viol et d’agressions sexuelles, et de veiller à ce que les responsables présumés soient déférés à la justice dans le cadre de procès équitables ».

En décembre 2021, Sultana Khaya a affirmé que ses agresseurs lui ont injecté une « substance inconnue » tandis que d’autres membres de sa famille étaient attaqués et agressés par la police.

Mbarka et Fatima ont essayé de faire pression en vue de sa libération, mais se sont retrouvées dans une situation similaire.

Des vidéos depuis le toit de sa maison

Samedi, les deux sœurs et six autres militantes – Zainabu Babi, Fatma Babi, Hajitna Babi, Um-El-Muminin Abdallah Brahim, Maluha Mohamed al-Hafiz et Balla Mohamed al-Hafiz – ont été quasiment assignées à résidence et leurs rues et quartiers ont été bouclés par la police.

Zainabu Babi semble avoir été victime d’un certain niveau de brutalité. Des vidéos et des photos envoyées à MEE la montrent dans un fauteuil roulant, les mains cassées après des sévices qu’elle aurait subis lors de sa détention par la police marocaine.

Malgré les violences sexuelles répétées dont elle et sa famille auraient été victimes, Sultana Khaya n’a pas cessé de s’exprimer et publie régulièrement des vidéos depuis le toit de sa maison pour proclamer son opposition à la présence marocaine au Sahara occidental, qui dure depuis la fin du Sahara espagnol en 1975.

Des militantes se rassemblent à Boujdour (Sahara occidental) pour soutenir l’activiste Sultana Khaya, la semaine dernière (Facebook)
Des militantes se rassemblent à Boujdour (Sahara occidental) pour soutenir l’activiste Sultana Khaya, la semaine dernière (Facebook)

Sa situation s’est toutefois améliorée le 16 mars, lorsqu’un groupe d’activistes étrangers des droits de l’homme l’a rejointe chez elle afin d’empêcher de nouvelles incursions des forces de sécurité marocaines.

Mercredi, lors d’un webinaire en direct diffusé directement depuis son domicile, Sultana Khaya a salué la présence des activistes américains, qui décrivent comme une « bougie » dans l’obscurité, tout en fustigeant les attaques contre ses camarades.

« Nous luttons en tant que femmes pacifiques […] Ils nous battent, ils nous torturent, ils nous privent de nos salaires […] Mais cela ne m’empêchera pas de lutter, pas plus que mes amies », a-t-elle soutenu.

« Nous sommes torturées en tant que femmes parce que notre arme est notre drapeau. Nous n’avons pas jeté de pierres, nous avons lutté de manière pacifique. Nous croyons en un processus pacifique et nous y croyons encore. »

Des maris sous pression

Les sœurs Hafiz indiquent que la protection offerte par la présence des détenteurs de passeports américains leur a permis de rendre visite à Sultana Khaya pour la première fois depuis longtemps.

Mais elles craignent désormais d’être prises pour cible à sa place.

« J’ai décidé d’aller rendre visite à Sultana [Khaya] après midi et quand je suis sortie de chez moi, à deux mètres de la porte, il y avait une voiture, une Mercedes », se souvient Mbarka, décrivant l’attaque subie dimanche.

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Six policiers en civil ont sauté de la voiture et se sont mis à la frapper, la prévenant que si elle tentait de rendre à nouveau visite à Sultana Khaya, elle serait tuée.

« J’ai dit : “Je vais juste au supermarché. Je vais juste acheter de la nourriture” », raconte-t-elle.

Les hommes l’ont forcée à retourner à l’intérieur de sa maison tandis que son fils de 7 ans « hurlait dehors ».

« Et quand j’ai essayé de sortir, ils m’ont encore battue et ils m’ont ramenée dans la maison. Je suis toujours sous surveillance », affirme-t-elle.

Au-delà des violences qui auraient été infligées aux militantes, les autorités marocaines exercent des pressions croissantes sur leurs maris pour les pousser à freiner leurs actions.

Les maris de Mbarka et de Fatima ont tous deux été contactés par les services de renseignement marocains, qui les ont sommés d’empêcher leur épouse respective de s’engager, ou bien de divorcer. Dans le cas contraire, ils encouraient le risque d’être privés de salaire.

« Donc pour moi, c’est mieux de simplement divorcer, puisqu’il a choisi d’ignorer la vie que nous avons eue ensemble et les années que nous avons passées ensemble »

- Mbarka Mohamed al-Hafiz

Le mari de Fatima a résisté aux pressions. Elle le décrit comme un « combattant défendant la liberté pour le peuple du Sahara occidental ». Il a auparavant connu une situation similaire à celle de sa femme mais il a toutefois choisi de divorcer.

Mbarka, qui a toujours du mal à encaisser la décision de son mari, affirme avoir choisi « d’être libre, d’être indépendante et de poursuivre réellement [son] combat ».

« Je ne suis pas fière d’avoir vécu avec quelqu’un qui accepte cela et cède à la pression de l’occupation », confie-t-elle. « Donc pour moi, c’est mieux de simplement divorcer, puisqu’il a choisi d’ignorer la vie que nous avons eue ensemble et les années que nous avons passées ensemble. »

Indifférence internationale

Les violences exercées en continu contre les activistes sahraouis interviennent alors que des puissances internationales accèdent aux revendications du Maroc, qui souhaite les voir reconnaître la souveraineté du royaume sur le Sahara occidental.

L’un des plus grands changements est intervenu en décembre 2020, lorsque le président américain sortant Donald Trump a reconnu la souveraineté marocaine sur le territoire en échange de la reconnaissance d’Israël par le royaume.

Bien que cette rupture avec la politique étrangère américaine ait suscité de nombreuses critiques à l’époque, l’administration Biden a confirmé son intention de maintenir décision de Trump, tandis que les documents du département d’État américain indiquent que le Sahara occidental fait partie du Maroc.

Un autre changement majeur est intervenu le mois dernier lorsque l’Espagne – rompant également avec de nombreuses années de politique nationale et européenne établie – a publiquement soutenu un projet du Maroc visant à accorder une « autonomie » au Sahara occidental tout en maintenant le contrôle global du royaume sur le territoire.

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Cette décision a poussé l’Algérie à rappeler son ambassadeur en Espagne, alors que le Front Polisario, qui lutte pour mettre fin au contrôle marocain du Sahara occidental, a rompu toute communication avec le pays.

Cela a toutefois permis à l’Espagne de rétablir ses relations autrefois instables avec le Maroc, qui avait interrompu son soutien diplomatique lorsque l’Espagne avait autorisé Brahim Ghali, le chef du Front Polisario à quitter son territoire.

L’initiative espagnole a laissé un goût amer dans la bouche de nombreux activistes sahraouis.

« Nous voyons un grand mouvement de solidarité en Espagne, mais en parallèle, les autorités espagnoles soutiennent l’occupation illégale qui se poursuit dans le Sahara occupé », déplore Fatima.

Elle ajoute toutefois que malgré cette sombre évolution, elle continuera de se battre avec ses camarades, même si le monde ne s’y intéresse plus.

« À Boujdour, nous avons cette bataille, la bataille de Sultana Khaya […] Les services de renseignement marocains et l’État marocain en général n’acceptent pas qu’elle brandisse le drapeau sahraoui, même chez elle, et il nous est aussi interdit de brandir le drapeau sahraoui », affirme-t-elle.

« C’est pour cela que nous sommes de plus en plus victimes de répression, parce que nous sommes déterminées à défier la répression marocaine et à poursuivre la lutte. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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