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Silvio Berlusconi et le Moyen-Orient

De ses relations étroites avec le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi au scandale sexuel avec une mineure marocaine, l’ancien dirigeant italien a eu une relation controversée avec la région
Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi accueille le Premier ministre italien Silvio Berlusconi lors d’une rencontre à Syrte, en Libye, le 10 février 2004 (AFP)

Silvio Berlusconi, ex-Premier ministre italien, est décédé lundi à l’âge de 86 ans.

Le magnat de la presse milliardaire, Premier ministre qui a passé le plus de temps en exercice, s’était construit un énorme empire dans les médias, l’immobilier et le foot, avant de se lancer en politique en 1994. 

Il a effectué trois mandats de président du Conseil des ministres entre 1994 et 2011, pour un total de neuf ans au pouvoir.

Ces mandats ont été caractérisés par des politiques et un discours populistes, de nombreuses gaffes et éclats, ainsi qu’un certain nombre de scandales sexuels et d’allégations de délits, à l’origine de plusieurs actions en justice.

Il est décédé à Milan où il était traité depuis avril pour une infection pulmonaire liée à une leucémie myélomonocytaire chronique. 

De l’annulation d’une rencontre avec le roi Abdallah de Jordanie pour « assister à une fête avec Vladimir Poutine » au baiser déposé sur la main de Mouammar Kadhafi, Berlusconi a eu une relation haute en couleur et controversée avec le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Il a été un fervent partisan de l’invasion américaine de l’Irak, avant de prétendre par la suite s’y être opposé.

Alors qu’il entretenait une relation étroite et connue de tous avec Kadhafi, il a fait partie de la coalition des forces qui ont aidé à renverser le gouvernement du défunt autocrate libyen.

La plus grande controverse liée à la région est un scandale sexuel avec une danseuse marocaine mineure que Berlusconi affirmait faussement être la petite-fille du président égyptien de l’époque. 

Middle East Eye se penche sur les éléments clés des relations du « Cavaliere » avec la région.

Kadhafi

Quand Kadhafi s’est accaparé le pouvoir lors d’un coup d’État en 1969, il s’en est pris de manière répétée à l’Italie pour son règne colonial sur la Libye entre 1911 et 1943. 

Donc lorsqu’il a débarqué de l’avion à Rome en 2009 pour être accueilli par Berlusconi, il s’agissait d’une visite historique à de nombreux égards.

D’une part, Kadhafi était accompagné du fils d’Omar al-Mokhtar, héros révolutionnaire libyen exécuté par les autorités italiennes en 1931 pour avoir mené le mouvement de résistance contre les forces coloniales italiennes. 

« Pour nous, cette image est telle la croix que certains d’entre vous portent », avait déclaré Kadhafi à la presse, arborant une photo de Mokhtar capturé par les soldats fascistes italiens. 

Le film épique financé par Kadhafi Le Lion du désert à propos de la vie de Mokhtar avait été diffusé à la télévision italienne en amont de la visite du dirigeant libyen, alors qu’il était interdit depuis 1982 parce qu’il « portait atteinte à l’honneur » de l’armée italienne.

Kadhafi était accompagné de 300 personnes et a planté une tente de style bédouin dans un palais du XVIIe siècle de la capitale italienne. 

Ce voyage – le premier de Kadhafi à Rome – est typique de la relation étroite entre Berlusconi et le dirigeant libyen, longtemps dénigré en Occident pour son soutien présumé, direct et indirect, au terrorisme. 

Un an plus tôt, tous deux avaient signé un accord en vertu duquel l’Italie indemnisait la Libye pour les épreuves du colonialisme à hauteur de cinq milliards de dollars en projets d’infrastructures. En échange, Tripoli interceptait les personnes cherchant à passer la frontière vers l’Italie. 

Kadhafi porte une photo historique d’Omar al-Mokhtar, le « lion du désert », capturé par des soldats italiens, à l’arrivée du dirigeant nord-africain à l’aéroport Ciampino à Rome, en Italie, le 10 juin 2009 (AFP)
Kadhafi porte une photo historique d’Omar al-Mokhtar, le « lion du désert », capturé par des soldats italiens, à l’arrivée du dirigeant nord-africain à l’aéroport Ciampino à Rome, en Italie, le 10 juin 2009 (AFP)

Lors d’une rencontre au sommet de la Ligue arabe, Berlusconi a même embrassé la main de son homologue libyen, un geste qui avait suscité de vives réactions en Italie. 

Il ne s’agissait pas uniquement de relations symboliques : en 2004, les deux dirigeants ont inauguré le gazoduc Greenstream qui relie Wafa en Libye à la Sicile. Ce dernier reste à ce jour le plus long gazoduc sous-marin en Méditerranée. 

À l’apogée de leur relation, le gouvernement libyen possédait des parts sur le marché des titres italien et dans plusieurs grandes sociétés, et détenait même une participation dans le club de foot la Juventus. La Libye était en outre le plus grand fournisseur de pétrole de l’Italie. 

Ces liens se sont brisés lors du soulèvement libyen de 2011 qui a renversé Kadhafi. 

« J’ai été surpris de l’attitude d’un ami avec lequel j’ai scellé un traité d’amitié qui bénéficie à nos deux nations »

- Kadhafi dans une lettre à Berlusconi

Au début, Berlusconi assurait être en mesure de « le convaincre de partir en exil » et de négocier « une sortie de scène honorable » pour l’homme qui dirigeait la Libye depuis 42 ans. 

« Je suis triste pour Kadhafi et je suis désolé », déclarait Berlusconi en mars 2011. « Ce qui se passe en Libye me touche personnellement. »

Malgré son chagrin et ses regrets, la zone d’exclusion aérienne imposée à la Libye en 2011 a été lancée depuis le sol italien, sur une base de l’OTAN à Naples. Berlusconi baisait la main de Kadhafi quelques mois plus tôt seulement. 

Selon certaines informations, Kadhafi a envoyé une lettre à Berlusconi, plaidant pour recevoir l’aide de l’Italie dans ses derniers mois. 

« J’ai été surpris de l’attitude d’un ami avec lequel j’ai scellé un traité d’amitié qui bénéficie à nos deux nations », indiquait cette lettre. 

« J’aurais espéré que vous au moins vous inquiéteriez des événements et tenteriez une médiation avant de soutenir cette guerre. »

Quand Kadhafi a finalement été capturé, tué et traîné dans les rues, Berlusconi a cité la locution latine : « Sic transit gloria mundi » (ainsi passe la gloire du monde). 

Soutien à la guerre en Irak

Berlusconi a soutenu l’invasion américaine de l’Irak en 2003, bien que la majorité des Italiens fussent contre. 

Il a apporté son soutien à ses homologues américains et britanniques George Bush et Tony Blair, affirmant : « Aujourd’hui, l’Occident est la seule puissance militaire, et au sein de l’Occident, il y a la superpuissance militaire incomparable des États-Unis.  

« Et aujourd’hui, on se demande s’il serait possible, en regardant vers l’avenir, d’intervenir comme exportateurs de la démocratie et de la liberté dans le monde entier. »

Deux ans plus tôt, il avait scandalisé les pays musulmans, après les attentats du 11 septembre à New York, en qualifiant la civilisation occidentale de « supérieure ».

« Il faut avoir conscience de la supériorité de notre civilisation, constituée d’un système de valeurs qui a apporté aux gens une grande prospérité dans les pays qui l’adoptent et garantit le respect des droits de l’homme et de la religion », affirmait-il. « Ce respect n’existe assurément pas dans les pays musulmans. »

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Malgré les critiques nationales, Berlusconi avait défendu avec passion les actes américains en Irak, faisant même référence à la défense américaine de l’Europe lors de la Seconde Guerre mondiale. 

Il s’était servi de cette justification pour déclarer qu’il était « impensable » pour lui de rejeter la demande de présence militaire italienne en Irak de George W. Bush. 

« Tout le monde devrait avoir conscience de devoir de la gratitude à la grande démocratie américaine », disait-il. 

L’Italie n’a pas fourni de soldats lors de l’invasion initiale de mars 2003 mais a envoyé 3 000 soldats après la chute de Bagdad quelques semaines plus tard. 

Mais en 2005, Berlusconi a soutenu qu’il avait tenté à de multiples reprises de dissuader Bush de procéder à l’invasion. 

« Je n’ai jamais été convaincu que la guerre était le meilleur moyen d’arriver à rendre un pays démocratique et à l’extraire d’une dictature sanglante. J’ai essayé à plusieurs occasions de convaincre le président américain de ne pas faire la guerre. »

Ces remarques ont été tournées en ridicule par l’opposition italienne de l’époque, qui y voyait une tactique de réélection cynique dans un contexte économique déplorable et de réactions hostiles à sa politique étrangère. 

Position pro-israélienne

Lors de son mandat, Berlusconi a été l’un des dirigeants les plus pro-israéliens d’Europe, faisant même l’article d’une candidature israélienne à l’UE.

Dans les années 1980, le gouvernement italien était plutôt propalestinien.

L’ancien président Sando Pertini avait profité de son allocution de fin d’année en 1982 pour évoquer la mort des réfugiés palestiniens à Sabra et Chatila lors de la guerre civile libanaise, tandis que l’ancien Premier ministre socialiste Bettino Craxi avait défendu la lutte armée palestinienne en 1985. 

Mais Berlusconi était quant à lui un fervent défenseur d’Israël, estimant que le pays était « non seulement le plus grand exemple de démocratie et de liberté au Moyen-Orient, mais le seul exemple ».

En 2010, il disait considérer Israël comme un pays européen et « rêver » de son adhésion à l’UE.

« Tant que je suis l’un de ceux qui façonnent la politique, mon plus grand rêve est d’inclure Israël parmi les pays de l’Union européenne », affirmait-il. 

Il s’opposait aux tentatives de « reconnaissance unilatérale de la Palestine » à moins qu’un gouvernement palestinien unifié ne dénonce le terrorisme et n’accepte le droit d’Israël à exister, et s’était juré de combattre toute tentative en Europe.

Silvio Berlusconi et son homologue israélien de l’époque Benyamin Netanyahou lors d’un sommet israélo-italien à Villa Madama, à Rome, le 13 juin 2011 (AFP)
Silvio Berlusconi et son homologue israélien de l’époque Benyamin Netanyahou lors d’un sommet israélo-italien à Villa Madama, à Rome, le 13 juin 2011 (AFP)

Cependant, il s’est parfois retrouvé sous le feu des critiques de certains Israéliens, en particulier pour ses remarques liées au fascisme des années 1930. 

Au Parlement européen en 2003, il a déclaré à un politicien allemand qu’il serait « parfait » pour le rôle de garde dans un camp de concentration. 

Il a également loué le dirigeant fasciste Benito Mussolini, qui « n’avait tué personne », avait-il une fois allégué. 

Des milliers de juifs italiens ont été déportés lors de l’Holocauste, selon les données compilées par l’historienne Liliana Picciotto Fargion, et beaucoup ont été tués dans les camps de concentration. 

« Rubygate »

L’un des plus grands scandales de l’ère Berlusconi a impliqué une danseuse marocaine, Karima el-Mahroug.

Berlusconi a été accusé d’avoir payé pour avoir des relations sexuelles avec la jeune fille, connue sous le surnom de « Ruby la voleuse de cœurs », début 2010 alors qu’elle avait 17 ans.

Celle-ci a déclaré à la presse à l’époque qu’elle avait reçu 7 000 euros et des bijoux lors d’un dîner organisé par le Premier ministre dans sa grande demeure près de Milan. Tous deux ont nié avoir eu des relations sexuelles. 

La jeune Marocaine a ensuite été arrêtée dans un commissariat de Milan après avoir été accusée de vol. 

Le policier chargé de l’enquête a rapporté avoir reçu un appel de Berlusconi, qui a menti en affirmant que Karima el-Mahroug était la petite-fille du président égyptien de l’époque, Hosni Moubarak. 

En 2013, le magnat a été condamné à sept ans de prison et suspendu de toute fonction publique après avoir été inculpé pour avoir payé afin d’avoir des relations sexuelles avec une mineure. Cependant, la condamnation a été cassée en appel un an plus tard et il a pu se représenter. 

Les « soirées bunga bunga » au cours desquelles de jeunes danseuses et mannequins étaient invitées dans la résidence de Berlusconi à Milan lors de grands rassemblements semblables à des orgies selon les dires étaient une caractéristique de la vie personnelle du Premier ministre italien. 

Il a été poursuivi dans plusieurs affaires autour de ces soirées, pour des accusations allant de corruption à fraude fiscale en passant par prostitution de mineures, mais toutes ont été abandonnées ou les jugements cassés en appel. 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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