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Soudan : « Au moins 1 300 » morts dans un nouveau massacre à el-Geneina, Darfour-Occidental

Les paramilitaires des Forces de soutien rapide et des milices arabes alliées ont perpétré une attaque à caractère ethnique contre des civils massalit à Ardamata, une banlieue d’el-Geneina, affirment des témoins et des militants locaux à Middle East Eye
Des femmes d’el-Geneina pleurent la mort de leurs proches alors qu’elles les attendaient au Tchad, le 7 novembre (Reuters)

Environ 1 300 personnes, pour la plupart des civils appartenant à la communauté massalit, ont été tuées au Darfour-Occidental, au Soudan, pendant trois jours au début du mois de novembre par les Forces de soutien rapide (FSR) et des milices arabes alliées, ont déclaré des témoins, des militants locaux et des défenseurs des droits humains à Middle East Eye.

Ce massacre à Ardamata, une banlieue à la périphérie nord-est d’el-Geneina, la capitale de l’État du Darfour-Occidental, a été commis après l’expulsion des soldats soudanais d’une base militaire par les paramilitaires des FSR lors de combats qui se sont déroulés du 2 au 6 novembre.

Pour la deuxième fois en quelques mois, les rues d’el-Geneina et de ses environs se sont ainsi remplies de cadavres.

Des témoins ont déclaré que les scènes rappelaient en effet celles de juin dernier, lorsque des milices arabes et des combattants FSR ont tué plus de 500 personnes lors de ce que les organisations de défense des droits de l’homme qualifient de nettoyage ethnique ciblant les Massalit, une tribu noire africaine.

L’ONG locale Roots Organization for Human Rights and Violation Monitoring a recensé la mort de 1 300 personnes à Ardamata depuis le 4 novembre, date à laquelle les FSR se sont emparées de la garnison appartenant à la 15e division d’infanterie de l’armée soudanaise, puis se sont retournées contre la population civile locale.

Dans un nouveau rapport consulté par MEE, l’organisation indique que plus de 2 000 personnes ont été blessées et 500 détenues lorsque les FSR et leurs milices arabes alliées ont brutalement attaqué les civils d’Ardamata. Plus de 300 autres personnes sont portées disparues, selon le rapport.

« Nous pensons que ce chiffre est beaucoup plus élevé, car d’autres crimes et meurtres de civils sont commis »

- Gamal Abdullah Khamis, activiste

L’ONG rapporte que les FSR et les miliciens « ont commis de nombreuses atrocités contre la communauté massalit », évoquant des meurtres, des viols, des pillages et des incendies de maisons.

D’après Gamal Abdullah Khamis, président de Roots, de nombreux éléments indiquent que le nombre de morts est supérieur à 1 300. Des médias locaux estiment que 2 000 personnes ont été tuées, tandis que d’autres rapports évoquent des chiffres bien inférieurs.

Selon Gamal Abdullah Khamis, les attaques à caractère ethnique se poursuivent alors que les milices arabes près de la frontière tchadienne traquent les civils qui tentent de fuir le pays et leur tendent des embuscades.

« Notre rapport est basé sur 700 entretiens et rapports obtenus auprès de nos observateurs au Tchad. Nous avons documenté les noms et informations des 1 300 personnes tuées jusqu’à présent », indique Khamis à MEE.

« Nous pensons néanmoins que ce chiffre est beaucoup plus élevé, car d’autres crimes et meurtres de civils sont commis dans les régions de Kulbos, Sirba, Azorny, Adara et aux points de contrôle sur la route entre le Soudan et le Tchad. »

Middle East Eye a sollicité les Forces de soutien rapide pour obtenir un commentaire mais n’avait pas obtenu de réponse au moment de la publication de cet article.

Les Massalits pris pour cible

Après le déclenchement de la guerre au Soudan le 15 avril 2023 entre les FSR et l’armée soudanaise, le Darfour a été le théâtre de combats féroces, tout comme la capitale Khartoum.

Entre 2003 et 2005, le Darfour a connu un violent conflit au cours duquel le gouvernement du président Omar el-Béchir a armé des milliers de membres de tribus arabes, créant une milice, connue sous le nom de Janjawids, qu’il a utilisée contre les groupes rebelles du Darfour qui s’étaient révoltés contre Khartoum en 2005 en raison des décennies de négligence dont la population noire africaine de la région faisait face.

Les Janjawids ont attaqué la population noire du Darfour, causant la fuite de millions d’habitants. Environ 300 000 personnes ont été tuées au cours de cette guerre, souvent qualifiée de génocidaire. Plusieurs personnalités impliquées dans les combats font l’objet d’une enquête auprès de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre.

Des enfants traversent la frontière sur leurs ânes du Soudan au Tchad, le 7 novembre (Reuters)
Des enfants traversent la frontière sur leurs ânes du Soudan au Tchad, le 7 novembre (Reuters)

Aujourd’hui, l’épine dorsale des forces paramilitaires des FSR, dont son chef Mohamed Hamdan Dagalo, également connu sous le nom d’Hemetti, est constituée de membres de tribus arabes du Darfour et de ses environs qui combattaient autrefois au sein des Janjawids.

Selon Mohamed Osman, chercheur à Human Rights Watch, la communauté massalit, ainsi que d’autres communautés non arabes, sont la cible des FSR et de leurs alliés à el-Geneina depuis juin.

« Ce ciblage ethnique se manifeste évidemment dans les meurtres, en particulier de chefs tribaux massalit, d’avocats et de militants », explique-t-il à MEE, ajoutant que les camps qui abritent 2,5 millions de Soudanais déplacés par le conflit du Darfour il y a vingt ans ont également été intentionnellement détruits.

Capitulation de l’armée

Bien que les FSR aient pris le contrôle de la majeure partie du Darfour-Occidental dès les premières semaines de la guerre, l’armée soudanaise avait réussi à conserver la garnison de la 15e division d’infanterie à Ardamata. Elle était soutenue par des combattants irréguliers massalit, autrefois membres de groupes rebelles, qui tenaient les districts entourant la garnison.

Mais ces dernières semaines, les FSR ont mené une nouvelle offensive au Darfour, tentant de déloger l’armée de diverses bases dans lesquelles elle était retranchée alors que les parties belligérantes se réunissaient à Djeddah pour des pourparlers parrainés par les États-Unis et l’Arabie saoudite.

Fin octobre, les FSR ont réussi à expulser l’armée du Darfour Sud et du Darfour Central.

Le 4 novembre, les troupes de la garnison de la 15e division, en infériorité numérique, ont finalement capitulé face aux combattants des FSR et aux miliciens arabes mieux armés et ont quitté Ardamata pour le Tchad, ont déclaré à MEE des soldats en fuite et des témoins.

Des combattants d’une unité des Forces de soutien rapide se tiennent sur leurs véhicules lors d’un rassemblement, dans le district de Mayo, au sud de Khartoum, le 29 juin (AP)
Des combattants d’une unité des Forces de soutien rapide se tiennent sur leurs véhicules lors d’un rassemblement, dans le district de Mayo, au sud de Khartoum, le 29 juin (AP)

Selon plusieurs témoignages, l’effondrement de la base a conduit à de nombreuses exactions contre les Massalit de la région.

Quelque 500 000 Soudanais avaient déjà trouvé refuge au Tchad voisin, pour la plupart originaires du Darfour-Occidental. Depuis les dernières atrocités et la prise de contrôle d’Ardamata par les FSR, 20 000 autres personnes ont passé la frontière, ont déclaré à MEE des personnes qui ont pris la fuite récemment.

Parmi elles, Nasr Aldin Mohamed, un habitant d’Ardamata qui rapporte à MEE que certains de ses proches ont été tués par des combattants des FSR.

« J’ai vu des combattants en uniforme des FSR tuer brutalement des soldats après leur capitulation, tuer des gens tout en criant ‘’imbéciles d’esclaves massalit, nous ne vous accorderons jamais notre miséricorde. Le seul sort que nous avons pour vous est la mort’’ », raconte-t-il.

Dans la ville soudanaise d’el-Geneina, les corps des victimes des violences ethniques gisent dans les rues
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« Trois membres de ma famille, dont un enfant, ont été tués à Ardamata. D’autres sont portés disparus et certains ont fui à Adré avec moi. Nous n’avons même pas eu le temps d’enterrer ceux qui ont été tués ou de rechercher ceux qui ont disparu. »

Nasr Aldin Mohamed a marché pendant deux jours pour atteindre le Tchad et le camp de réfugiés d’Adré. Les milices arabes le traquaient constamment, lui et ses compagnons, et ont tué de nombreuses personnes à Kulbos, Adara et dans d’autres zones proches de la frontière, indique-t-il.

« En chemin, j’ai également vu des dizaines de corps éparpillés dans les rues. Les milices nous ont arrêtés à la recherche de combattants massalit et de soldats de l’armée et les ont tués sur le coup. »

Les Nations unies et d’autres organisations internationales ont condamné l’attaque, accusant les FSR et leurs alliés d’avoir commis de graves exactions et promettant une enquête.

Les FSR ont nié toute responsabilité, publiant des vidéos d’el-Geneina qui semblent montrer que le calme y règne, alors que des dizaines de personnes assistent à la prière du vendredi dans la mosquée principale de la ville.

Traduit (partiellement) de l’anglais (original).

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