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Liberté d’expression, violences, haine raciale : des émeutes révèlent la ségrégation en Suède

La tournée d’un groupuscule voulant brûler le Coran dans des quartiers sensibles a provoqué des émeutes à travers la Suède. Alors qu’au moins 40 personnes ont été blessées, dont 26 policiers, les autorisations accordées au groupe d’extrême droite posent question
La ville de Malmö a été le théâtre d’émeutes après le passage du chef du parti d’extrême droite Ligne dure (AFP/Johan Nilsson)
La ville de Malmö a été le théâtre d’émeutes après le passage du chef du parti d’extrême droite Ligne dure (AFP/Johan Nilsson)
Par AFP à STOCKHOLM, Suède

Tout a débuté jeudi 14 avril, avec la confirmation de la venue dans la ville côtière de Linköping du chef du parti danois anti-islam Ligne dure, Rasmus Paludan.

Du Danemark à la Belgique en passant par la France, ce dernier multiplie ces dernières années les projets de brûler des exemplaires du Coran, généralement dans des quartiers à forte population immigrée et musulmane.

Aux cris d’ « Allahu Akbar » [Dieu est grand], de premières contre-manifestations ont éclaté occasionnant des violences avec la police dans les quartiers à forte communauté musulmane des villes suédoises de Norrköping et Linköping.

Les scènes d’émeutes se sont propagées durant le week-end à plusieurs autres villes, où Rasmus Paludan, qui a la double nationalité danoise et suédoise, a mis le feu à des exemplaires du livre saint de l’islam, ou projeté de le faire.

De la liberté d’expression à l’incitation à la haine

La police suédoise a maintenu que malgré les autodafés, ces tournées relevaient de la liberté d’expression, droit constitutionnel, l’obligeant à accorder les autorisations de manifester.

« Nous vivons dans une démocratie où les libertés d’expression et de la presse sont très étendues et nous devons en être très fiers », a souligné le ministre de la Justice Morgan Johansson en conférence de presse.

Le chef du parti Ligne dure, Rasmus Paludan, photographié en juin 2019, est à l’initiative d’une tournée afin de brûler des exemplaires du Coran (AFP)
Le chef du parti Ligne dure, Rasmus Paludan, photographié en juin 2019, est à l’initiative d’une tournée afin de brûler des exemplaires du Coran (AFP)

Et il n’y a « aucun plan pour restreindre cela », même si ces libertés sont utilisées par un « extrémiste danois » pour encourager « la haine, la division et la violence », ce que le ministre a jugé « déplorable ». 

Au moins 40 personnes ont été blessées, dont 26 policiers, après des violences qui ont émaillé le week-end de Pâques dans les villes de Norrköping, Linköping, Landskrona, Örebro, Malmö et Stockholm, la capitale.

Vingt véhicules de police ont aussi été endommagés ou complètement détruits, et plusieurs zones touchées ont été vandalisées : vitres de magasins brisées, école incendiée.

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Anders Thornberg, chef de la police nationale, a même assuré que les émeutiers avaient « essayé de tuer des policiers ».

Face à Rasmus Paludan, qui planifie d’autres manifestations de ce type, certains dirigeants locaux se montrent plus réticents à défendre la liberté d’expression.

« Dans ces circonstances, la police ne devrait pas accorder d’autorisation pour d’autres rassemblements publics », a déclaré Anna Thorn, à la tête de la municipalité de Norrköping, lors d’une conférence de presse mardi.

La liberté d’expression bénéficie historiquement d’une forte protection en Suède. La police peut refuser la tenue de certains rassemblements, par exemple s’ils constituent une « incitation » [à la haine] contre un groupe ethnique », mais cette exception est à interpréter de manière très restrictive. 

Les « zones vulnérables » délibérément choisies

Autre source de provocation, les endroits choisis pour organiser ces autodafés du Coran : généralement des banlieues avec une population majoritairement musulmane, classées par la police comme « zones vulnérables ».

Affrontements à Malmö le 17 avril 2022, suite au passage du chef du parti Ligne dure (AFP/Johan Nilsson)
Affrontements à Malmö le 17 avril 2022, suite au passage du chef du parti Ligne dure (AFP/Johan Nilsson)

Ce terme, introduit en 2015, désigne des lieux pauvres, « défavorisés » avec une forte concentration « de personnes d’origine étrangère » et où existent des « réseaux criminels exerçant une pression sur ceux qui vivent dans ces quartiers ou les visitent », a expliqué Manne Gerell, professeur de criminologie à l’université de Malmö.

Ce riche pays scandinave de 10,3 millions d’habitants a accueilli plus de 400 000 immigrés entre 2010 et 2019, selon les statistiques de l’Office des migrations. 

Mais de nombreux experts notent que la Suède a eu du mal à intégrer un grand nombre de ces nouveaux arrivants, des milliers d’entre eux ne parvenant pas à apprendre la langue et à trouver un emploi sur un marché du travail hautement qualifié. 

L’extrême droite a depuis gagné du terrain, devenant le troisième parti politique du pays. 

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Certaines villes ont par ailleurs déjà connu leur lot d’émeutes visant « les autorités en général, et la police en particulier », a ajouté Manne Gerell, à l’heure où les tensions liées à l’immigration croissent dans une Suède traditionnellement homogène. 

La relation entre les habitants de ces « zones vulnérables » avec la police est tendue à cause de la criminalité, qui entraîne une forte présence policière sur ces lieux, qui à son tour engendre de la frustration notamment chez les jeunes qui se font régulièrement fouiller.

Kivanc Atak, chercheur en criminologie à l’université de Stockholm, remarque que la « relation tendue » entre la police et les jeunes de minorités ethniques n’est pas inhabituelle, que ce soit en Suède ou ailleurs. 

La gestion de cette « tournée anti-islam » a également suscité la condamnation de plusieurs pays musulmans.

Après l’Irak et l’Arabie saoudite, la diplomatie turque a déploré lundi « l’hésitation à empêcher des actes provocateurs et islamophobes (...) sous couvert de liberté d’expression », tandis qu’une manifestation a eu lieu devant l’ambassade de Suède en Iran.

Par Johannes Ledel.

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