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Autodafé d’un Coran : nouvelle crise entre la Suède et la Turquie

Entre les exigences quasi impossibles de la Turquie et les manifestations anti-Erdoğan de militants radicaux en Suède, Stockholm se retrouve dans l’impasse pour obtenir le feu vert d’Ankara afin d’entrer dans l’OTAN
Des manifestantes brandissent un exemplaire du Coran devant le consulat de Suède à Istanbul, le 22 janvier 2023, pour protester contre l’autodafé du leader d’extrême droite Rasmus Paludan (AFP/Yasin Akgul)

Pourquoi un Coran a-t-il été brûlé en Suède ?

Samedi 21 janvier, dans le cadre d’une manifestation autorisée par la police suédoise à proximité de l’ambassade de Turquie, Rasmus Paludan, chef du parti danois extrémiste Ligne dure, a une nouvelle fois brûlé un exemplaire du Coran.

Ouvertement raciste et islamophobe, fiché S en France depuis 2020, l’homme a fait des autodafés de Coran son principal mode d’action politique. Cette fois-ci, il voulait dénoncer les négociation de la Suède avec la Turquie pour que Stockholm intègre l’OTAN.

Comment a réagi la Turquie ?

La seule autorisation donnée à cette manifestation anti-islam avait déjà suscité un incident diplomatique avec Ankara, qui a qualifié la provocation de Rasmus Paludan de « crime de haine manifeste » et annulé la visite du ministre suédois de la Défense Pål Jonson.

Ce dernier devait se rendre le 27 janvier en Turquie pour tenter de lever les objections d’Ankara à l’entrée de son pays dans l’OTAN. 

Un mannequin à l’effigie du président Erdoğan, suspendu à Stockholm pour lui rappeler l’avenir réservé aux dictateurs, le 11 janvier 2023 (Twitter)
Un mannequin à l’effigie du président Erdoğan, suspendu à Stockholm par des militants pro-kurdes, le 11 janvier 2023 (Twitter)

Il s’agit du deuxième incident diplomatique depuis le début de l’année, après celui provoqué mi-janvier par des militants pro-kurdes ayant pendu par les pieds un mannequin du président Recep Tayyip Erdoğan devant l’hôtel de ville de Stockholm.

Le Premier ministre suédois Ulf Kristersson avait taxé ce « simulacre d’exécution » d’un dirigeant « démocratiquement élu » de « sabotage » de la candidature suédoise à l’OTAN.

En Turquie, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées samedi en fin de journée devant le consulat de Suède à Istanbul en signe de protestation.

Traduction : « Drapeau [suédois] brûlant devant le consulat de Suède à Istanbul, en Turquie. »

Les autres pays musulmans ont-il réagi ?

Oui. Le Maroc s’est dit étonné que les autorités suédoises aient permis cet acte « inacceptable » et « odieux », « qui s’est déroulé devant les forces de l’ordre suédoises ».

L’Algérie a aussi dénoncé un acte qui porte atteinte aux « valeurs de liberté qui fondent les sociétés » et « les principes fondamentaux des droits de l’homme », selon les termes des Affaires étrangères.

L’Indonésie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ont également exprimé leur condamnation, comme le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et l’Organisation de la coopération islamique (OCI).

« La liberté d’expression doit être exercée de façon responsable », a demandé Jakarta.

Pourquoi la Turquie bloque-t-elle l’adhésion de la Suède à l’OTAN ?

La Turquie reproche à la Suède de soutenir le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation politique armée qui réclame l’autodétermination et l’indépendance des Kurdes.

Dans les années 1980, la guerre du PKK contre la Turquie s’est intensifiée, entraînant la mort de milliers de personnes et une réponse forte de l’armée turque.

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Certains membres du PKK ont commencé à fuir vers l’Europe et à créer des branches dans différentes villes européennes. La Suède, pays aux lois et règles particulièrement tolérantes envers les « réfugiés politiques et ethniques », est devenue une destination populaire.

Ce ne sont pas seulement des membres du PKK qui ont élu domicile en Suède. Des auteurs et intellectuels kurdes non affiliés au PKK s’y sont également installés.

Ankara réclame que Stockholm extrade jusqu’à 130 « terroristes » selon un chiffre avancé récemment par le président Recep Tayyip Erdoğan. Mais c’est la justice suédoise, et non le gouvernement, qui a le dernier mot sur les demandes d’extradition.

La Turquie « veut des choses que nous ne pouvons et ne voulons pas lui donner », a reconnu le Premier ministre suédois Ulf Kristersson début janvier, en référence à l’épineuse question des extraditions.

Comment sortir de la crise ?

Les négociations semblent dans une impasse. Le Premier ministre suédois a déploré dimanche un « acte profondément irrespectueux » : « Brûler des livres qui sont saints pour beaucoup est un acte profondément irrespectueux. Je veux exprimer ma sympathie à tous les musulmans qui ont été offensés par ce qui s’est passé à Stockholm », a affirmé le chef du gouvernement.

La perspective d’un déblocage avant les élections législatives turques prévues mi-mai est désormais très faible.

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« On peut sans doute oublier maintenant une ratification turque avant les élections », a expliqué à l’AFP Paul Levin, directeur de l’Institut des études turques à l’Université de Stockholm. « D’une part, Erdoğan veut détourner l’attention d’une économie en mauvais état durant les mois précédant les élections. »

« De l’autre, des groupes en Suède qui sont contre l’OTAN et des partisans du PKK inquiets des assurances données par le gouvernement ont compris qu’ils pouvaient énerver le président turc en l’insultant et ainsi faire dérailler le processus d’adhésion », résume l’expert.

Le secrétaire général de l’OTAN, qui au printemps 2022 tablait sur une adhésion express de quelques semaines, pense qu’elle aura lieu en 2023 mais n’est pas en mesure de le garantir, a-t-il confié début janvier dans une interview à l’AFP.

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