Aller au contenu principal

Syrie : avec la crise économique, les manifestations contre Assad prennent de l’ampleur

Des manifestants du sud de la Syrie confient à Middle East Eye leurs revendications et leurs espoir pour l’avenir alors que se multiplient les appels à la démission du président
Des manifestants protestent contre la hausse des prix du carburant décidée par le gouvernement syrien, à Sweida, le 24 août 2023 (Reuters)
Des manifestants protestent contre la hausse des prix du carburant décidée par le gouvernement syrien, à Sweida, le 24 août 2023 (Reuters)
Par Abd Almajed Alkarh à IDLEB, Syrie et Nadda Osman

Les manifestations contre le gouvernement ont saisi le sud de la Syrie mercredi pour la deuxième semaine consécutive, alors que les demandes de réformes économiques se muent en appels au départ du président Bachar al-Assad.

Des centaines de personnes sont descendues dans les rues à Sweida et dans les régions contrôlées par le gouvernement à Alep, Deraa, Deir Ezzor et Jablé, manifestant contre la détérioration de leurs conditions de vie et de la situation économique et appelant à la libération des prisonniers politiques.

Ils condamnent également ce qu’ils décrivent comme une corruption persistante et une mauvaise gouvernance.

Traduction : « Des manifestants ont brûlé il y a peu de temps une photo de Bachar al-Assad au centre de Soueïda. »

« Il s’agit de demander des comptes à Bachar al-Assad et à tous ceux qui ont commis des crimes et de demander la libération des prisonniers et des personnes disparues », indique à Middle East Eye Shadi al-Dubaisi, 25 ans, manifestant à Soueïda.

Les manifestations ont été déclenchées par la décision du gouvernement de supprimer les subventions sur le carburant au début du mois et ont été galvanisées par le déclin constant de la valeur de la livre syrienne.

Les manifestants se rassemblent place Karamah tous les jours. Ils bloquent les routes, scandent des slogans et retirent les photos et panneaux représentant Assad. Une vidéo partagée sur internet montre des manifestants incendier un panneau représentant Assad. 

« Nous voulons vivre dignement et libres »

Selon Shadi al-Dubaisi, il y a environ 35 à 40 points de rassemblement pour les manifestants. 

Les forces gouvernementales ont réagi aux manifestations par la force et,  à certaines occasions, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles pour intimider les manifestants.

Une chaîne de télé locale, Syria Television, a signalé que des fusillades avaient eu lieu à Shahba, au nord de la province, mais aucun décès n’est à déplorer. 

VIDÉO : Les habitants de Sweida en Syrie poursuivent leurs manifestations contre le gouvernement
Lire

« Jusqu’à présent, toutes les options sont sur la table », ajoute Shadi al-Dubaisi. « Personne ne sait jusqu’où nous irons avec ce régime, mais une chose est sûre, c’est que les gens continueront à manifester et à exiger son départ. » 

Assad al-Omar, 32 ans, manifestant de Soueïda, explique que les manifestations restent jusqu’à présent pacifiques, malgré la réaction des forces de sécurité. 

« Nous voulons vivre dignement et libres… actuellement le régime tente de provoquer la population pour qu’elle prenne les armes et sabote la région mais nous sommes pacifiques », assure-t-il à MEE

« Notre principale demande, c’est de renverser le régime et de reprendre notre pays. Le régime a vendu les ports, les aéroports et la Syrie », ajoute-t-il. 

Abu Ali, sexagénaire de Deraa al-Balad indique qu’il veut vivre « dignement et libre » et sous un système démocratique.

« Notre première exigence est d’appeler à la libération des prisonniers et de connaître le sort des personnes qui ont disparu de force », avance-t-il.

« Après cela, nous voulons voir une amélioration des services publics tels que l’approvisionnement en eau et en électricité et que les prix des carburants soient cohérents avec les revenus d’un Syrien lambda », ajoute-t-il. 

« Nous voulons voir une amélioration des services publics tels que l’approvisionnement en eau et en électricité et que les prix des carburants correspondent aux revenus d’un syrien lambda »

- Abu Ali, manifestant 

Abu Ali estime que les manifestations ne s’essoufflent pas parce que la population constate que le gouvernement n’est pas qualifié pour répondre à ses demandes. 

« Le gouvernement actuel ne peut répondre à toutes ces demandes, lesquelles sont des demandes valables. Donc nos problèmes en Syrie ne peuvent être résolus qu’avec un changement de régime, en reconstruisant le pays et en l’ouvrant au reste de la région, ainsi qu’en chassant la Russie et l’Iran », développe-t-il.  

Bon nombre des slogans entendus dans les manifestations rappellent ceux utilisés lors du soulèvement syrien de 2011. 

De nombreux magasins ont participé à la grève générale la semaine dernière, frustrés par les difficultés économiques croissantes et les hausses de prix des biens de première nécessité. 

Pour Abdul Karim al-Omar, activiste politique d’Idleb, les manifestations sont une preuve de l’engagement de la population syrienne envers la révolution et ses valeurs.

« Il n’y a pas la moindre solution en Syrie hormis le départ de ce régime et la mise en œuvre de la résolution internationale 2254 de l’ONU, qui commence par la formation d’un conseil de gouvernement de transition », conclut-il. 

Une des plus grandes crises de déplacement au monde

Des centaines de personnes sont toujours dans les rues et beaucoup des manifestants viennent de la communauté druze et de la minorité alaouite.

Si les autorités syriennes ont largement gardé le silence à propos des manifestations, les forces de sécurité multiplient les patrouilles dans de nombreuses zones côtières. 

La livre syrienne s’est effondrée à environ 13 800 livres face au dollar américain, enfonçant davantage une devise qui a commencé à s’effondrer à la suite du soulèvement de 2011 contre le président Assad.

« Notre révolution ira jusqu’au bout » : dix ans après, des Syriens ont choisi de rester pour défendre leur pays
Lire

Selon l’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR), la Syrie constitue l’une des plus grandes crises de déplacement au monde, plus de 12 millions de Syriens sont déplacés et plus de 5,4 millions vivent en tant que réfugiés dans les pays voisins. 

Le HCR indique que plus de 14,6 millions de personnes dans le pays ont besoin d’une aide humanitaire et que la situation économique s’est détériorée de manière significative en raison de la pandémie de covid, de la dévaluation de la livre syrienne, de la hausse de l’inflation et de la flambée du prix des carburants. 

En raison des sanctions internationales imposées à la Syrie, et du fait que les principaux gisements pétroliers du pays sont contrôlés par les forces kurdes soutenues par des Américains, il y a des coupures de courant fréquentes et prolongées qui contribuent elles aussi à la frustration croissante. Beaucoup de gens n’ont plus de moyens de subsistance, de services de base ou de soutien du gouvernement. 

Human Rights Watch (HRW) a également souligné la détérioration des conditions de vie en Syrie, indiquant que 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et 12,4 millions de Syriens souffrent d’insécurité alimentaire. 

Les personnes interrogées par HRW indiquent que, dans de nombreuses régions reprises par le gouvernement, de nombreuses maisons ont été détruites ou endommagées et leurs propriétaires ne peuvent se permettre de reconstruire ou de les rénover.

*Les noms de certaines personnes interrogées ont été modifiés pour des raisons de sécurité

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].