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Tunisie : des indicateurs économiques « alarmants », selon un think tank

Dans son dernier rapport, l’International Crisis Group presse les partenaires étrangers de ramener Kais Saied à la table des négociations pour accepter un prêt du FMI et les appelle à se préparer à fournir une aide d’urgence au pays
Le 20 décembre, l’Union européenne a débloqué une aide financière de 150 millions d’euros visant à « appuyer les efforts » de la Tunisie en faveur de la relance économique (AFP/Fethi Belaïd)
Le 20 décembre, l’Union européenne a débloqué une aide financière de 150 millions d’euros visant à « appuyer les efforts » de la Tunisie en faveur de la relance économique (AFP/Fethi Belaïd)
Par MEE

La « crise économique de plus en plus aigüe » que traverse la Tunisie inquiète l’International Crisis Group (ICG). Dans un rapport publié le 22 décembre, le think tank dresse un sombre tableau pour le pays si Kais Saied persiste à refuser l’aide des bailleurs de fonds internationaux. 

Au cours des dix dernières années, l’instabilité politique et l’augmentation des dépenses publiques au détriment des investissements ont ralenti la croissance économique

Plus récemment, le pays a subi une série de chocs liés à la pandémie de covid-19 et à la guerre ouverte de la Russie en Ukraine, lesquels ont davantage freiné la croissance et fait grimper l’inflation. 

Traduction : « La Tunisie est confrontée à de sérieux risques de violence en raison de la rhétorique incendiaire du président, de son programme résolument nationaliste et de la répression étatique de ses opposants dans un contexte de détérioration des conditions de vie de la majeure partie de la population. »

La dette extérieure est montée en flèche, atteignant 90 % du PIB en 2022. Ce fardeau de la dette a poussé les agences de notation à dégrader la notation souveraine de la Tunisie, rendant presque impossible son accès aux marchés financiers internationaux.

« Les partenaires internationaux de la Tunisie sont divisés, y compris en interne, sur la position à adopter face à ces développements, qu’ils considèrent comme entraînant le pays dans la mauvaise direction », constate le think tank. 

Défaut de paiement

En parallèle, depuis juillet 2021, date du coup de force du président Kais Saied, la Tunisie a pris un tournant autocratique, adoptant une rhétorique nationaliste belliqueuse qui a encouragé des groupes d’autodéfense à user de violence contre des migrants subsahariens.

Selon un rapport publié lundi par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), les migrants originaires d’Afrique subsaharienne en vivent dans des conditions « indignes » et font l’objet « d’arrestations arbitraires, déplacements forcés et expulsions illégales » vers les frontières avec Libye et Algérie. Plus de 8 500 ont été expulsés depuis juin, selon des chiffres communiqués à l’AFP par des sources humanitaires internationales.

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Aux États-Unis, les membres du Congrès dénoncent régulièrement la dérive autoritaire du pays et les violations des droits humains, mais l’exécutif a maintenu une solide coopération sécuritaire. 

L’Union européenne (UE), avec l’Italie en tête, est plutôt silencieuse quant au virage autocratique du président, soucieuse de minimiser le risque d’une augmentation des migrations provoquée par une éventuelle implosion économique. 

Le 20 décembre, l’Union européenne a débloqué une aide financière de 150 millions d’euros visant à « appuyer les efforts » de la Tunisie « pour favoriser la relance de l’économie à travers l’amélioration de la gestion des finances publiques et du climat des affaires et investissements », selon un communiqué diffusé par les deux parties.

Cette aide avait été convenue lors de la signature d’un accord de principe le 16 juillet à Tunis pour un nouveau « Partenariat » entre l’UE et le pays nord-africain, qui incluait aussi un important volet de lutte contre l’immigration irrégulière.

L’État tunisien, qui consacre une bonne partie de ses ressources à rembourser son endettement extérieur, a un besoin pressant de liquidités pour financer l’achat de produits subventionnés, tels que le lait, la farine, le riz ou l’huile ménagère, qui connaissent des pénuries chroniques.

L’aide consistera en un « transfert financier direct au trésor public tunisien », selon le communiqué, qui confirme la volonté de « mise en œuvre » des autres volets (énergie, échange d’étudiants) dans un « partenariat d’égal à égal ».

Début octobre, un différend avait opposé Bruxelles à Tunis qui avait restitué à l’UE un financement de 60 millions d’euros, une démarche inédite pour un pays partenaire, selon Bruxelles.

Le président tunisien, Kais Saied, avait dit rejeter la « charité » de l’UE et assuré que la somme avait été versée « sans que les autorités tunisiennes n’en aient été informées au préalable », dénonçant une « atteinte à la dignité » de son pays.

« Kais Saied et ses partisans rejettent les réformes économiques liées au prêt, craignant qu’elles n’augmentent la pauvreté et ne déclenchent des troubles sociaux », souligne l’ICG. « Mais sans ce prêt, le pays pourrait se retrouver en défaut de paiement sur sa dette extérieure en 2024 ou 2025. » 

150 millions d’euros débloqués

Pour éviter le désastre économique et social qui résulterait d’un défaut de paiement, « la priorité des bailleurs de fonds et du FMI devrait être de ramener l’équipe de Kais Saied à la table des négociations et de proposer à Tunis un accord révisé assorti de conditions moins strictes – à la fois pour aider à réduire l’éventualité de troubles sociaux et pour encourager Saied à accepter un nouvel accord avec le FMI », souligne le think tank.

Les partenaires étrangers devraient aussi encourager Kais Saied à « protéger les migrants subsahariens, ainsi que d’autres catégories de la population, de la violence de groupes d’autodéfense, et en s’assurant que le respect des droits humains reste bien à l’ordre du jour ». En cas de défaut de paiement, « ils devraient être prêts à fournir une aide d’urgence à la Tunisie ».

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Enfin, en cas de défaut de paiement suivi d’un sérieux choc économique que le maintien du statu quo actuel entraînerait, « les bailleurs de fonds devraient se préparer à mettre en place un programme d’aide d’urgence pour fournir aux Tunisiens des produits de première nécessité », ajoute l’ICG.

La Russie a déclaré le 21 décembre qu’elle était « prête » à fournir davantage de céréales à la Tunisie qui doit importer pratiquement tous ses besoins cette année en raison d’une grave sécheresse, par la voix du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, lors d’une « visite de travail » à Tunis.

Après quatre ans de stress hydrique et une saison 2023 catastrophique, la Tunisie va devoir importer la totalité de ses besoins en blé dur, blé tendre et orge jusqu’au printemps 2024. 

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