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Tunisie : Ghannouchi condamné, Ennahdha dénonce « une justice soumise au pouvoir politique »

La condamnation du leader d’Ennahdha à un an de prison marque une escalade dans la campagne de répression menée par le président Kais Saied contre les opposants
Le ministère tunisien de l’Intérieur a interdit par décret à Ennahdha de tenir des réunions dans le pays, tandis que le Front du salut national (FSN), un autre groupe d’opposition, a été interdit de réunion à Tunis (AFP)
Le ministère tunisien de l’Intérieur a interdit par décret à Ennahdha de tenir des réunions dans le pays, tandis que le Front du salut national (FSN), un autre groupe d’opposition, a été interdit de réunion à Tunis (AFP)

Rached Ghannouchi, chef du mouvement islamo-conservateur tunisien Ennahdha, a été condamné lundi 15 mai à un an de prison pour « apologie du terrorisme », ont rapporté des médias locaux.

Ghannouchi, 81 ans, principal opposant au président Kais Saied, avait été arrêté le 17 avril et placé sous mandat de dépôt à la suite de déclarations dans lesquelles il avait affirmé que la Tunisie serait menacée d’une « guerre civile » si les partis de gauche ou ceux issus de l’islam politique comme Ennahdha y étaient éliminés.

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Il est depuis l’an dernier frappé d’une interdiction de sortie du territoire. Ses comptes bancaires tunisiens et ceux de plusieurs proches et membres de son parti ont également été gelés.

Yusra Ghannouchi, la fille du chef du parti, avait rapporté à Middle East Eye que 100 agents en civil étaient arrivés au domicile de ses parents en avril pour fouiller la propriété lors de l’arrestation de son père.

Mais sa condamnation de lundi est liée à une autre affaire, dans le cadre de laquelle il a été entendu en février par le pôle judiciaire antiterroriste avant d’être libéré.

« Une sentence politique injuste »

Dans un communiqué publié lundi, le parti Ennahdha a dénoncé « une sentence politique injuste », évoquant des « procès politiques [à l’issue] déjà décidée », et appelé « à la libération immédiate » de son président.

Le mouvement a rappelé que Ghannouchi n’avait « jamais hésité à se rendre devant le juge d’instruction lors de précédentes convocations », mais avait décidé de ne plus se présenter « devant une justice soumise au pouvoir politique » et n’étant plus à même de « garantir les conditions d’un jugement équitable » quand « il s’est avéré qu’il s’agissait d’un agression [à son égard] ».

Enfin, Ennahdha a souligné que les déclarations et les écrits de son président « s’étaient toujours opposés à l’extrémisme et au terrorisme, appelant à la modération », et a défendu « son militantisme de longue date pour la liberté et l’unité nationale ».

Sa convocation faisait suite à une plainte déposée par un syndicat de policiers qui l’accuse d’inciter les Tunisiens à s’entretuer, en raison de propos tenus début 2022, lors des obsèques d’un leader d’Ennahdha.

Il avait alors affirmé que le défunt « ne craignait pas les dirigeants ou les tyrans ».

Outre la peine de prison d’un an, Ghannouchi a été condamné à un amende de 1 000 dinars (300 euros), selon la même source.

Dans un message vidéo préenregistré publié sur sa page Facebook le mois dernier, Ghannouchi avait déclaré : « Nous sommes confrontés à un autre épisode de ciblage politique par des moyens judiciaires. »

« Une bataille de la démocratie contre la dictature »

« Nous n’avons pas de problème avec le système judiciaire, nous avons un problème avec la dictature. La bataille qui se mène dans le pays oppose la démocratie à la dictature, qui veut confisquer les acquis de notre révolution bénie. Les plaintes déposées contre nous n’ont aucun sens, comme en témoignent des experts juridiques. »

L’opposant, bête noire du président Saied, avait également été entendu en novembre 2022 par un juge du pôle judiciaire antiterroriste pour une affaire en lien avec l’envoi présumé de combattants en Syrie et en Irak.

Ghannouchi est le plus célèbre opposant arrêté depuis le coup de force du président Kais Saied qui a pris les pleins pouvoirs en juillet 2021. Il dirigeait le Parlement, alors dissous par le chef de l’État.

Les États-Unis et l’Europe ont critiqué son arrestation en avril mais le président Saied a rejeté ces critiques, les qualifiant d’« ingérence flagrante » dans les affaires tunisiennes. 

Au lendemain de son arrestation, les autorités tunisiennes ont fermé les bureaux de son mouvement dans tout le pays.

Depuis début février, les autorités ont incarcéré plus de vingt opposants et des personnalités parmi lesquelles des ex-ministres, des hommes d’affaires et le patron de la radio la plus écoutée du pays, Mosaïque FM.

Le ministère tunisien de l’Intérieur a interdit par décret à Ennahdha de tenir des réunions dans le pays, tandis que le Front du salut national (FSN), un autre groupe d’opposition, a été interdit de réunion à Tunis.

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Le président Saied, accusé par l’opposition de dérive autoritaire, a qualifié les personnes arrêtées de « terroristes », affirmant qu’elles étaient impliquées dans un « complot contre la sûreté de l’État ».

Après son coup de force, Kais Saied a fait réviser la Constitution pour instaurer un système ultra présidentialiste aux dépens du Parlement.

Dans un rapport publié le 11 mai, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a affirmé que « les autorités tunisiennes [avaient] intensifié leur offensive contre les opposants au coup de force réalisé en 2021 par le président Kais Saied, en redoublant d’efforts pour neutraliser Ennahdha, le plus grand parti politique du pays ».

« Après avoir diabolisé Ennahdha et lancé de graves accusations sans preuves, les autorités du président Saied ont tout bonnement entrepris de démanteler le parti », a affirmé Salsabil Chellali, directrice du bureau de HRW en Tunisie.

« Les autorités devraient immédiatement libérer toutes les personnes détenues arbitrairement, et mettre fin aux restrictions aux libertés d’association et de réunion », a ajouté l’ONG dans son rapport.

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