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Tunisie : qui sont les fidèles de Ghannouchi 

Après l’annonce du gel du Parlement par Kais Saied fin juillet, le leader du parti islamo-conservateur Ennahdha a été lâché par certains dirigeants et hauts cadres de son parti. Mais une garde rapprochée lui reste fidèle
Noureddine Bhiri est le deuxième vice-président du parti, chargé des Affaires parlementaires et membre des bureaux politique et exécutif (AFP/Fethi Belaid)
Noureddine Bhiri est le deuxième vice-président du parti, chargé des Affaires parlementaires et membre des bureaux politique et exécutif (AFP/Fethi Belaid)
Par Moncef Mahroug à TUNIS, Tunisie

Rached Ghannouchi n’a probablement jamais été autant choqué et écœuré qu’en ce 26 juillet 2021.

Le très influent président d’Ennahdha et de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’est, en effet, retrouvé très esseulé face à son ennemi juré, le président tunisien Kais Saied. La veille en fin de soirée, ce dernier annonçait la suspension du Parlement, la levée de l’immunité des députés et le limogeage du chef du gouvernement.

Ce coup de force sonnait ainsi le glas du système politique mis en place dans le cadre de la Constitution de 2014, hâtant peut-être la fin du parti islamiste – du moins dans la forme actuelle – et de la très longue carrière de son chef.

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Alors qu’il pensait certainement livrer une des batailles les plus importantes de sa carrière politique, Rached Ghannouchi a été abandonné à la fois par les partis alliés d’Ennahdha et, plus étonnant, par les siens.

À commencer par sa base militante : le soir du 26 juillet, seules 300 à 400 personnes se sont retrouvées au Bardo (à l’ouest de Tunis) pour un sit-in de protestation contre les mesures du président Saied. Les dirigeants et hauts cadres du parti ont également brillé par leur absence.

Alors qu’Ennahdha en compte plus de 250 – dont 53 députés – répartis entre les différentes instances du mouvement, la plupart d’entre eux n’ont pas jugé utile de rejoindre leur chef devant le siège du Parlement, ni même de mettre à profit leurs voix ou leurs plumes pour dénoncer les mesures du président Saied et les qualifier de « coup d’État ».

Quant à ceux qui se sont impliqués dans la bataille – avec des déclarations ou des posts sur les réseaux sociaux –, ils ne l’ont souvent fait que du bout des lèvres.

En réalité, Rached Ghannouchi n’a pu compter que sur quatre personnes. L’une d’entre elles n’est pas ennahdhaouie : il s’agit de Seifeddine Makhlouf, porte-parole et président du groupe parlementaire de la coalition al-Karama – alliée au parti islamiste au sein de la coalition gouvernementale –, qui n’a pas quitté Rached Ghannouchi durant la dizaine d’heures qu’il a passées devant le siège de l’ARP le 26 juillet.

Abdessalem, un gendre très présent

Abdessalem est aujourd’hui à la fois membre des bureaux politique et exécutif d’Ennahdha, et responsable de ses relations extérieures (AFP/Farouk Batiche)
Abdessalem est aujourd’hui à la fois membre des bureaux politique et exécutif d’Ennahdha, et responsable de ses relations extérieures (AFP/Farouk Batiche)

Parmi les poids lourds d’Ennahdha, seuls trois se sont réellement impliqués aux côtés de Rached Ghannouchi : Rafik Abdessalem, Noureddine Bhiri et Mohamed Goumani. Tous trois sont très proches du leader du parti et occupent encore, grâce à lui, des positions importantes dans le mouvement.

Rafik Abdessalem, marié à la fille cadette de Rached Ghannouchi, avait initialement renoncé à occuper un poste dans l’administration après la victoire de son parti aux élections visant à désigner l’assemblée constituante le 23 octobre 2011.

Sa nomination comme ministre des Affaires étrangères dans les deux gouvernements de la troïka (coalition gouvernementale formée par les islamistes d’Ennahdha, le Congrès pour la République et les sociaux-démocrates d’Ettakattol) qui ont dirigé le pays entre 2011 et 2013 s’est faite sous la pression de Ghannouchi.

En plus de piloter le Centre d’études stratégiques et diplomatiques (CSDS), basé à Londres et Tunis et qu’il a créé début 2014, Abdessalem est aujourd’hui à la fois membre des bureaux politique et exécutif d’Ennahdha, et responsable de ses relations extérieures.

Le 25 juillet, s’il n’était pas présent physiquement auprès de son beau-père, déplacement à l’étranger oblige, il a été l’un des premiers dirigeants ennahdhaouis à réagir au coup de force du chef de l’État dans un post mis en ligne à 22 h 55, soit seulement une heure et demie après le discours de Kais Saied.

Il a appelé « les jeunes d’Ennahdha et toutes les forces de la révolution à faire face au coup d’État perpétré par Kais Saied, ce dictateur fou de pouvoir », et à « ne pas le laisser passer ».

Celui qui occupe actuellement le poste de conseiller diplomatique de son beau-père et de responsable des relations extérieures du parti a ensuite continué sur sa lancée, avec pas moins de six autres publications étalées sur la journée du 26 juillet.

Rafik Abdessalem s’y est surtout employé à critiquer durement le président, allant jusqu’à le qualifier de « dictateur sanguinaire ».

Noureddine Bhiri, le protégé de Ghannouchi

Noureddine Bhiri a condamné le coup de force de Kais Saied (AFP/Fethi Belaid)
Noureddine Bhiri a condamné le coup de force de Kais Saied (AFP/Fethi Belaid)

Noureddine Bhiri, le deuxième mousquetaire de Ghannouchi, a été tour à tour membre de l’Assemblée nationale constituante (ANC), ministre de la Justice dans le premier gouvernement de la troïka conduit par Hamadi Jebali (décembre 2012-février 2013), ancien secrétaire général d’Ennahdha (jusqu’en mars 2014), puis ministre délégué auprès du chef du gouvernement dans le second (décembre 2012-février 2013).

Président du groupe parlementaire ennahdhaoui au lendemain des élections législatives de 2014, il est aujourd’hui deuxième vice-président du parti, chargé des Affaires parlementaires et membre des bureaux politique et exécutif.

Sa première réaction, le 26 juillet peu après une heure du matin, a été de mettre en ligne la première déclaration du président d’Ennahdha sur sa page Facebook.

Dans la foulée, il a pris position en déclarant que « ce qu’a annoncé et fait le président de la République dans la soirée du dimanche 25 juillet […] en s’attribuant les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, constitue une tentative de coup d’État scandaleuse et rejetée contre la Constitution et les valeurs de la République, et est voué à l’échec ».

Plus que de fidélité, il s’agit de gratitude : alors que tous les autres dirigeants d’Ennahdha ont eu droit à de courtes apparitions à différents postes au gouvernement, grâce à Ghannouchi, Bhiri est resté dans le circuit du pouvoir pendant neuf ans sans discontinuer.

Mohamed Goumani, le revenant

Rached Ghannouchi a, le 12 août, fait de Mohamed Goumani le président d’un « comité de gestion de la crise » (Facebook/ @med.goumani)
Rached Ghannouchi a, le 12 août, fait de Mohamed Goumani le président d’un « comité de gestion de la crise » (Facebook/@med.goumani)

Le troisième mousquetaire de Rached Ghannouchi n’a ni la même envergure ni la même place au sein du parti que les autres. Il s’agit de Mohamed Goumani, militant du Mouvement de la tendance islamique (MTI, devenu par la suite Ennahdha), rentré en Tunisie à la veille des élections législatives de 2019.

Il l’avait quitté dans les années 1980 pour militer successivement au sein d’un groupe dissident se présentant comme le porte-étendard de l’« islam progressiste » et du Parti démocratique progressiste (PDP), une formation de gauche qu’il a contribué à créer.

Dès son retour au sein d’Ennahdha, Mohamed Goumani a choisi de marcher dans le sillage de son président, qu’il défend toutes les semaines dans les colonnes de l’hebdomadaire de langue arabe Al-Rai al-Aam (l’opinion publique), organe officieux du parti islamiste dont il est l’un des chroniqueurs attitrés.

Là encore, ce soutien est une forme de reconnaissance : c’est grâce au président d’Ennahdha que Goumani a pu s’inscrire sur la liste des candidats pour les législatives de 2019, peu de temps après son retour.

De ce fait, ce n’est pas tant l’engagement en faveur de son mentor que l’intensité et la force du soutien que Goumani lui apporte qui surprennent un peu. Il sera le premier dirigeant d’Ennahdha – avant même Ghannouchi, qu’il devancera de deux minutes –  à réagir au discours du président Kais Saied.

Sur sa page Facebook, il clame haut et fort : « Non au coup d’État. Ce que le président Kais Saied a fait constitue une grave violation de la Constitution et un coup d’État flagrant contre la démocratie et la volonté du peuple. »

Depuis, et contrairement à la plupart de ses pairs, Mohamed Goumani n’a pas baissé les bras. Son engagement est même allé crescendo, puisqu’il a multiplié les interviews et les prises de position. Surtout depuis que le président du mouvement a décidé le 12 août d’en faire le président d’un « comité de gestion de la crise ».

Voie sans issue pour Ghannouchi  ?

Depuis, la situation de Rached Ghannouchi s’est encore compliquée. La contestation se poursuivant au sein du parti, le leader islamiste a, pour la première fois, suspendu le 1er septembre l’un des dirigeants, Imed Hammami, ancien porte-parole du parti et ministre.

En réaction, ce dernier a qualifié le 7 septembre Rached Ghannouchi de « véritable dictateur », dans une interview au quotidien de langue arabe Assabah.

Depuis le 25 juillet toutefois, les partisans d’Ennahdha critiquent beaucoup moins leur chef que par le passé, du moins en public.

Et ce n’est pas seulement par esprit de solidarité : les opposants du leader islamiste ont choisi, compte tenu des circonstances actuelles très particulières, de continuer à exprimer autrement leur opposition : en se mobilisant pour lui demander de ne pas se présenter à un troisième mandat – ce à quoi il a renoncé – ou en évitant de s’impliquer dans la bataille qu’il mène afin d’obtenir la levée des mesures annoncées par le président.

Ghannouchi n’a, par ailleurs, plus de raison d’espérer que les grandes puissances imposent à Kais Saied la levée du gel du Parlement. S’ils ont pressé le chef de l’État tunisien de nommer un chef du gouvernement et de dévoiler sa feuille de route, ni la mission du Congrès américain qui a visité la Tunisie, ni les ambassadeurs des pays du G7 n’ont formulé une telle demande.

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