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Tunisie : dix-huit ONG dénoncent « l’accaparement du pouvoir » par Kais Saied

Une vingtaine d’organisations de défense des droits humains tunisiennes et internationales ont fustigé samedi « l’accaparement du pouvoir » par le président, qu’elles ont qualifié de « dérive sans précédent »
Des centaines de personnes de tous horizons ont manifesté dimanche à Tunis pour dénoncer « un coup d’État » et une violation de la Constitution (AFP/Fethi Belaïd)
Des centaines de personnes de tous horizons ont manifesté dimanche à Tunis pour dénoncer « un coup d’État » et une violation de la Constitution (AFP/Fethi Belaïd)

Dix-huit ONG ont « dénoncé avec la plus grande fermeté les décisions prises de manière unilatérale par Kais Saied », le président tunisien. Réaffirmant « leur attachement indéfectible aux principes démocratiques », elles ont « condamné l’accaparement du pouvoir et l’absence de toute forme de garde-fous ».

« Le décret présidentiel 117 [pris mercredi] abroge implicitement l’ordre constitutionnel en Tunisie », ont estimé les dix-huit signataires d’un communiqué, dont Amnesty International section Tunisie, l’Organisation mondiale de lutte contre la torture (OMCT) ou l’Association tunisienne de défense des libertés individuelles (ADLI).

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Le président tunisien qui s’était arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet, en limogeant le chef du gouvernement, suspendant le Parlement et s’octroyant le pouvoir judiciaire, a officialisé son coup de force mercredi dans un décret, paru au Journal officiel et portant le numéro 117.

Les mesures décidées sont « un premier pas vers l’autoritarisme », ont estimé les signataires dont également Human Rights Watch, la Ligue internationale des droits humains, Avocats sans frontières et le Réseau tunisien pour la justice transitionnelle.

Pour ces ONG, le décret 117 représente un « tournant [qui] menace les droits humains et les aspirations démocratiques du peuple tunisien ».

La semaine dernière, le chef de l’État s’est adressé aux Tunisiens depuis Sidi Bouzid (centre) dans un discours au cours duquel il a annoncé la prolongation de l’état d’exception, il s’est s’engagé à nommer un nouveau chef du gouvernement dont les prérogatives seront déterminées par des dispositions transitoires et à promulguer une nouvelle loi électorale prévoyant que les élus soient responsables devant leurs électeurs.

Mais des professeurs de droit constitutionnel proches du Palais rappellent que selon l’article 3, la souveraineté doit pouvoir passer par une consultation populaire, et que selon l’article 80, les mesures exceptionnelles ont pour but de revenir dans les plus brefs délais au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Il ne s’agit nullement de profiter de cet état pour transformer radicalement le régime politique.

Condamnation de l’UGTT

Vendredi, c’est l’UGTT (centrale syndicale) qui a rejeté le renforcement des pouvoirs du président par des mesures exceptionnelles qui représentent, selon l’organisation, un « danger pour la démocratie ».

Alors qu’elle s’était gardée de critiquer son coup de force du 25 juillet, l’UGTT, co-lauréate du prix Nobel de la paix de 2015, a mis en garde, dans un communiqué, « contre le danger d’une accumulation de tous les pouvoirs entre les mains du chef de l’État ». 

Des centaines de personnes de tous horizons ont aussi manifesté dimanche à Tunis pour dénoncer « un coup d’État » et une violation de la Constitution.

Traduction : « Très grande manifestation aujourd’hui dans le centre de Tunis contre le coup [d’État] et contre Kais Saied. »

Devant le théatre municipal de Tunis, une foule compacte s’est massée, bien avant l’heure prévue en brandissant le drapeau tunisien et en clamant des slogans pour défendre la Constitution de 2014.

« Constitution, liberté et dignité nationale », « la légitimité passe par le vote », « Unité, unité nationale contre le populisme », les manifestants, dont une forte proportion d’hommes, ont scandé des slogans appelant à la « fin du régime de Kais Saied ».

Blindés, fourgons de police et barrières métalliques pour filtrer le passage d’une zone à une autre, les forces de sécurité étaient déployées en masse sur l’avenue Bourguiba qui traverse le cœur de la capitale.

Les ONG et associations ont reconnu « les limites du système politique » hérité de la Constitution de 2014, qui a débouché sur un régime parlementaire turbulent et des coalitions gouvernementales instables.

Mais d’éventuelles « réformes ne peuvent pas être dictées unilatéralement par le pouvoir présidentiel sans débat pluraliste ni contrôle effectif », ont-elles dit.

Dans leur texte, les organisations ont déploré que les « dispositions transitoires » adoptées donnent aussi au seul président, la prérogative de légiférer notamment dans des domaines comme les droits humains, les libertés d’information, d’association et de manifestation.

Les dispositions de mercredi prévoient que le président légifère par décrets-lois, il est également le président du conseil des ministres et concentre donc le pouvoir exécutif.

« Aucun recours contre les décrets présidentiels n’est possible », ont encore déploré les ONG, rappelant que le texte 117 a aboli « l’instance provisoire du contrôle de la constitutionnalité des lois », qui faisait temporairement office de Cour constitutionnelle.

« Tous ces pouvoirs sont conférés à la présidence sans limitation dans le temps », notent aussi les signataires.

La Tunisie, « seul pays en transition démocratique » en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, qui avait « nourri l’espoir d’un changement réel, semble avoir tourné la page de la démocratie émergente », s’inquiètent-ils.

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