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Tunisie : le gouvernement du président

Plus de deux mois après l’éviction de Hichem Mechichi, la Tunisie dispose d’un nouveau gouvernement. Entre rupture, continuité et flou, la nouvelle équipe et le discours présidentiel qui ont accompagné son intronisation traduisent les nouvelles orientations de Kais Saied
Pour justifier la suspension du Parlement, Kais Saied a montré une série de clichés représentant les affrontements violents et des scènes d’anarchie qui se sont déroulés dans l’enceinte du Parlement (AFP)
Pour justifier la suspension du Parlement, Kais Saied a montré une série de clichés représentant les affrontements violents et des scènes d’anarchie qui se sont déroulés dans l’enceinte du Parlement (AFP)

Rarement une cérémonie de prestation de serment n’aura fait couler autant d’encre. Peu avant 11 h, le lundi 11 octobre, la page Facebook officielle de la présidence de la République tunisienne a diffusé l’événement en direct, tout comme la télévision nationale et plusieurs radios.

La nouvelle cheffe du gouvernement, Najla Bouden a commencé par lire un discours succinct de politique générale. Son cabinet s’est engagé à lutter efficacement contre la corruption, à redynamiser l’économie et à restaurer la confiance des citoyens – en particulier les jeunes – en l’État.

Mis à part ces déclarations d’intention, aucun chiffre n’a été donné et aucune action détaillée n’a été avancée. Najla Bouden sera la première locataire de la Kasbah à n’avoir pas à solliciter la confiance du Parlement depuis dix ans. Sa nomination étant faite selon les dispositions exceptionnelles en vigueur depuis le 22 septembre, elle n’est responsable que devant le président de la République.

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Ses ministres se sont ensuite succédé pour prêter serment sur le Coran. Le texte de l’engagement, issu de l’article 89 de la Constitution, précise que les membres du gouvernent s’obligent à « travailler fidèlement pour le bien de la Tunisie, respecter la loi fondamentale et sa législation, veiller scrupuleusement sur ses intérêts et lui devoir allégeance ».

Une formule qui n’a pas manqué de faire réagir certains opposants à Kais Saied qui accusent le président d’avoir largement enfreint la Constitution.

En plus de sa cheffe, le nouveau gouvernement compte dix femmes sur un total de vingt-cinq membres. Si la parité n’est pas atteinte, il s’agit de l’exécutif le plus féminisé de toute l’histoire du pays.

Deux ministres de l’équipe de l’ex-chef du gouvernement Hichem Mechichi gardent leurs postes : Othman Jarandi aux Affaires étrangères et Fathi Sellaouti à l’Éducation.

Ouverture à une certaine élite politique

Trois de leurs collègues, limogés par Mechichi car réputés proches de Saied, font leur retour : Leila Jaffel, qui s’occupait des Domaines de l’État, devient ministre de la Justice et numéro trois dans l’ordre de succession du chef de l’État ; Kamel Deguiche reprend les rênes du ministère de la Jeunesse et des Sports ; et Taoufik Charfeddine retrouve le très stratégique ministère de l’Intérieur. Ce dernier a été le coordinateur régional de la campagne présidentielle de Kais Saied, tout comme Malek Zahi, qui est nommé aux Affaires sociales.

Sihem Boughdiri Nemsia et Ali Merabet, respectivement chargés des ministères des Finances et de la Santé après l’éviction de leurs titulaires, deviennent ministres de plein exercice.

Toute la journée, les réseaux sociaux ont relayé des témoignages, généralement positifs, d’anciens proches, collègues ou étudiants des ministres nouvellement nommés.

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Pour sa part, l’ancienne députée de Nidaa Tounes (ancien parti au pouvoir fondé par le président Béji Caïd Essebsi) puis Tahya Tounes (mouvement créé par l’ancien chef du gouvernement Youssef Chahed), Sabrine Ghoubantini, très active dans l’opposition à Kais Saied, a compilé d’anciennes publications Facebook de certains nouveaux ministres ou secrétaires d’État.

On y retrouve des déclarations hostiles ou critiques envers Kais Saied et Najla Bouden. On y apprend également que le nouveau ministre des Affaires religieuses, Brahim Chaïbi, a fait partie d’un jury de thèse en théologie consacrée à la pensée de Rached Ghannouchi, patron du parti islamiste Ennahdha, par ailleurs président du Parlement suspendu.

Mais le cas le plus intéressant est celui de la nouvelle ministre de la Femme, Amel Moussa. Cette universitaire et poétesse a publiquement soutenu Nabil Karoui – actuellement détenu en Algérie pour séjour irrégulier – et Qalb Tounes aux élections de 2019.

Dans son discours, Najla Bouden indique qu’elle a repris la même structure que le gouvernement précédent et s’engage à étudier la possibilité de modifier le nombre et les attributions des ministères.

Pourtant, certains observateurs, à l’instar de l’ONG Al Bawsala, font remarquer qu’aucun département n’est dédié aux Affaires locales. Ce changement pose beaucoup de questions sur le processus de décentralisation initié par la Constitution de 2014.

En 2018, les élections municipales avaient été remportées par Ennahdha. Ce choix signifierait-il la dissolution des exécutifs locaux comme cela a été le cas en 2011 après la chute de Ben Ali ?

Si ces éléments, facilement accessibles en ligne, étaient connus du président au moment de sa nomination, cela signifierait une ouverture à une certaine élite politique, très influente dans les sphères politique, artistique et administrative, dont la principale motivation politique est une farouche opposition à Ennahdha.

Ce nouveau gouvernement voit le retour d’Othman Jarandi, déjà ministre des Affaires étrangères sous Hichem Mechichi (AFP/Kay Nietfeld)
Ce nouveau gouvernement voit le retour d’Othman Jarandi, déjà ministre des Affaires étrangères sous Hichem Mechichi (AFP/Kay Nietfeld)

Une partie non négligeable de cette élite a soutenu Karoui en 2019, voyant en Saied le faux-nez des islamistes, avant de changer d’avis depuis le coup de force du 25 juillet qui a suspendu un Parlement dominé par les islamo-conservateurs.

Dans un post sur son compte Facebook, Oussama Khlifi, le chef du bloc parlementaire de Qalb Tounes, a confirmé la proximité de plusieurs nouveaux ministres avec son parti.

À l’issue de la prestation de serment des membres du gouvernement, Kais Saied a prononcé un discours d’une trentaine de minutes dans lequel il s’est adressé à ses partisans, à ses ennemis et aux partenaires de la Tunisie. Qualifiant à plusieurs reprises d’« historique » le moment que vit la Tunisie depuis le 25 juillet, il a rappelé la situation chaotique qu’a traversée le pays avant l’activation de l’article 80, notamment sur le plan sanitaire.

À Moncef Marzouki : « Fais attention ! »

Pour justifier la suspension des travaux de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), il a montré une série de clichés représentant les affrontements violents et des scènes d’anarchie qui se sont déroulés dans l’enceinte du Parlement.

Prenant des accents volontiers souverainistes, Saied a conspué les parties qui l’ont pressé de nommer un gouvernement, rappelant que la Tunisie avait vécu dix ans (entre 1959 et 1969) dans un régime présidentiel ne comprenant que des secrétaires d’État. Il a dénoncé les personnes qui font appel à des puissances étrangères afin qu’elles interviennent en Tunisie et tentent de brouiller les rapports du pays avec ses partenaires, la France en particulier.

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Il s’en est pris, sans le nommer, à l’ancien président Moncef Marzouki, qui a déclaré, lors d’une manifestation parisienne anti-Saied : « Le gouvernement français doit rejeter tout appui à ce régime et à cet homme qui ont comploté contre la révolution […]. La France démocratique ne peut pas être […] à côté d’un régime dictatorial. C’est l’intérêt de la France et l’intérêt de la Tunisie que ce coup d’État raté se termine le plus rapidement possible. J’appelle nos amis français à faire ce qui est en leur pouvoir pour que cette parenthèse soit fermée et pour que la Constitution soit remise en selle et que le Parlement revienne à la charge. J’en appelle ici, à partir de Paris, au gouvernement français et à l’ensemble de la classe politique française […] pour que, dans le cadre de l’indépendance de notre décision nationale, [ils viennent] en appui à la démocratie en Tunisie pour qu’on en finisse le plus rapidement possible avec cette malheureuse parenthèse. »

Le chef de l’État tunisien est allé jusqu’à menacer son prédécesseur en lui lançant : « Fais attention ! ».

Il a aussi accusé plusieurs personnes d’avoir tenté de faire annuler le Sommet de la francophonie, prévu en novembre à Jerba. Il a affirmé que son pays était prêt à accueillir l’événement et qu’il respecterait le choix des organisateurs de changer de destination s’ils étaient convaincus par ses détracteurs.

Enfin, le discours a été l’occasion de répéter l’intention du président de lutter contre la corruption. Le magistrat suprême a déploré le manque d’efficacité du parquet dans la poursuite des infractions à la loi.

Près de trois mois après son coup de force, Saied a installé un nouveau gouvernement qui sera uniquement responsable devant lui. Il n’a toujours pas défini une date pour sortir de l’état d’exception, qui marquera la fin de ce gouvernement

Il s’en est violemment pris à certains juges accusés de faire allégeance à l’ancien ministre islamiste de la Justice – qui n’est pas nommé – Noureddine Bhiri, a rappelé sa détermination à « purifier » la magistrature, prélude selon lui à ce qu’il appelle une libération nationale.

Près de trois mois après son coup de force, Saied a installé un nouveau gouvernement qui sera uniquement responsable devant lui. S’il lui a fixé des orientations générales, aucun programme détaillé n’est donné. Le président n’a toujours pas défini une date pour sortir de l’état d’exception, qui marquera la fin de ce gouvernement.

Les prochains jours indiqueront si des ruptures, notamment au niveau du programme économique et social, seront observées.

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