Guerre en Ukraine : Turquie et Israël, acteurs diplomatiques avec des atouts, mais des espoirs minces
C’est à Antalya, en Turquie, qu’a lieu ce jeudi la première rencontre de haut niveau entre Moscou et Kyiv depuis le début du conflit. Les ministres des Affaires étrangères des deux pays se rencontrent sous les auspices de leur homologue turc.
La présence de Sergei Lavrov est révélatrice, alors que la Russie avait jusqu’ici envoyé un négociateur de second rang aux négociations tenues au Belarus.
Dans le même ordre d’idées, le Premier ministre israélien Naftali Bennett s’est rendu à Moscou pour rencontrer le président russe le week-end dernier.
« Poutine respecte la force »
« La Russie n’a pas seulement défié l’Occident, elle a montré que l’ère de la domination occidentale mondiale peut être considérée comme complètement et définitivement révolue » : dans son éditorial mis en ligne le 26 février puis effacé, le chroniqueur Pyotr Akopov de l’agence russe RIA Novosti résume ainsi un des effets recherchés par l’invasion de l’Ukraine.
Malgré le fait que la Turquie soit membre de l’OTAN et la proximité d’Israël avec les États-Unis, ces deux pays ne sont « pas l’Occident » et n’ont ni adopté de sanctions ni fermé leurs espaces aériens, explique Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe.
Contrairement à la France, dont le président Emmanuel Macron multiplie les échanges téléphoniques avec les présidents russe et ukrainien.
Outre cette manifestation d’indépendance vis-à-vis de l’Occident, ces deux pays s’illustrent aussi par leur emploi régulier de la force hors de leurs frontières.
« Vladimir Poutine a commencé à respecter Recep Tayyip Erdoğan le jour où ce dernier a fait abattre un [avion] SU-24 russe en Syrie », selon une source issue de la communauté du renseignement français.
« Vladimir Poutine respecte la force. Il a commencé à respecter Recep Tayyip Erdoğan le jour où ce dernier a fait abattre un [avion] SU-24 russe en Syrie »
- Une source au sein du renseignement français
« Contrairement au cliché d’une alliance de circonstance entre la Russie et le Turquie, cette dernière est le seul membre de l’OTAN qui a su montrer les limites aux Russes, en Syrie, en Libye, etc », estime l’ambassadeur de Turquie en France, Ali Onaner.
De même pour Israël, sa position et sa politique « depuis le début du conflit » lui permettent d’être « le seul acteur qui est en mesure de dialoguer directement avec la Russie et l’Ukraine, et avec les pays occidentaux comme la France ou l’Allemagne », assure une source diplomatique israélienne.
« Israël est un pays que les Russes respectent aussi car il sait faire face à ses ennemis », poursuit-elle.
La question syrienne
Les deux pays ont aussi eu affaire à la Russie sur un théâtre de guerre stratégique pour eux, la Syrie, où chacun s’est retrouvé confronté à des degrés divers à Moscou, soutien de Damas et allié de fait de Téhéran.
« Au cours de la crise syrienne, les responsables turcs et russes ont régulièrement eu des négociations tendues en défendant des positions opposées. La Turquie est le membre de l’OTAN qui a acquis la plus grande expérience pour traiter des questions difficiles avec la Russie », estime Ali Onaner.
De même, résume la source israélienne, « Israël a une frontière commune avec la Russie, c’est la Syrie », où Moscou maîtrise le ciel mais n’empêche pas Israël de lancer des frappes aériennes.
Des pays tiraillés
A ces contraintes stratégiques imposées par la Syrie viennent s’ajouter des éléments purement bilatéraux qui mettent chacun des deux pays dans une situation ambivalente sur le conflit.
« La Turquie et Israël sont très embêtés car ils ont des relations proches à la fois avec les Ukrainiens et les Russes »
- Pierre Razoux, directeur de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques
La Turquie s’est rapprochée ces dernières années de Moscou, mais a aussi fourni des drones à l’Ukraine et se préoccupe du sort de la minorité turcophone des Tatars de Crimée, région d’Ukraine annexée par la Russie.
De même, Israël compte une très importante population russophone.
« La Turquie et Israël sont très embêtés car ils ont des relations proches à la fois avec les Ukrainiens et les Russes », explique Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques.
« Ils essaient de ménager la chèvre et le chou et refusent de prendre partie. Ils ont été un peu obligés de condamner l’offensive russe mais veulent montrer qu’ils sont prêts à discuter », selon lui.
Des chances d’aboutir ?
« Tous les canaux de négociation sont utiles mais je ne pense pas que cela aboutisse à quoi que ce soit », estime Pierre Razoux.
Un pessimisme partagé par Marc Pierini du cabinet d’analyse Carnegie Europe à Bruxelles.
« C’est très bien que la Turquie et Israël essayent, mais je ne vois pas cela comme fondamentalement important », estime-t-il.
« Je ne crois pas qu’une solution de paix passerait par la Turquie ou Israël car le bras de fer de Poutine est avec Biden et l’OTAN, et je ne suis pas sûr qu’il veuille une sortie de crise. »
« Au final, les vraies questions qui comptent, c’est à quel point le rouleau compresseur russe peut continuer d’avancer en Ukraine, et l’ampleur des sanctions », selon lui.
Par Fabien Zamora.
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