Le plan de l’Occident pour faire pression sur la Chine a été élaboré en Ukraine
En ce qui concerne ses relations avec la Chine, l’Occident est en train d’écrire un scénario aussi truffé de fausses pistes qu’un roman d’Agatha Christie.
Depuis quelques mois, les responsables américains et européens accourent à Beijing pour de prétendus pourparlers, comme si nous étions en 1972 avec Richard Nixon à la Maison-Blanche.
Mais il n’y aura pas, cette fois-ci, de pacte spectaculaire entre les États-Unis et la Chine qui marquerait le début d’une nouvelle ère. Si les relations sont amenées à changer, ce sera résolument pour le pire.
Il n’y aura pas, cette fois-ci, de pacte spectaculaire entre les États-Unis et la Chine qui marquerait le début d’une nouvelle ère. Si les relations sont amenées à changer, ce sera résolument pour le pire
La politique à double visage de l’Occident à l’égard de la Chine a été illustrée de manière frappante fin août par la visite à Beijing du secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères James Cleverly, la première d’un haut responsable britannique depuis cinq ans.
Alors que James Cleverly a vaguement mentionné par la suite l’importance de ne pas « se désengager » de la Chine et d’éviter « la méfiance et les erreurs », le Parlement britannique a tout fait pour miner son message.
La commission des Affaires étrangères a publié un rapport sur la politique britannique dans la région indo-pacifique qui décrit de manière provocante les dirigeants chinois comme « une menace pour le Royaume-Uni et ses intérêts ».
Employant une terminologie qui rompt avec la diplomatie passée, la commission a qualifié Taïwan – une île séparatiste que Beijing affirme vouloir un jour « réunifier » avec la Chine – de « pays indépendant ». Seuls treize États reconnaissent l’indépendance de Taïwan.
Isoler la Chine
La commission a exhorté le gouvernement britannique à faire pression sur ses alliés au sein de l’OTAN pour qu’ils imposent des sanctions à la Chine.
Le Parlement britannique s’immisce imprudemment dans une zone de confrontation lointaine pouvant donner lieu à une escalade incendiaire contre une puissance nucléaire, une situation sans équivalent en dehors de l’Ukraine.
Mais la Grande-Bretagne est loin d’être seule. L’an dernier, pour la première fois, l’OTAN s’est largement éloignée de sa sphère d’influence supposée – l’Atlantique Nord – pour déclarer que Beijing représentait un défi pour « [ses] intérêts, [sa] sécurité et [ses] valeurs ».
Il ne fait guère de doute que Washington est la force motrice de cette escalade contre la Chine, un État qui ne représente aucune menace militaire évidente pour l’Occident.
Les États-Unis font considérablement monter les enchères en renforçant toujours plus leur présence militaire à l’intérieur et autour du détroit de Taïwan, la voie navigable d’environ 150 km de large qui sépare la Chine de Taïwan et que Beijing considère comme son seuil.
De hauts responsables américains effectuent des visites tapageuses à Taïwan, notamment Nancy Pelosi durant l’été 2022, alors qu’elle était présidente de la Chambre des représentants. En parallèle, l’administration Biden couvre Taïwan de systèmes d’armement.
Comme si cela ne suffisait pas à enflammer la Chine, Washington incite les voisins de Beijing à s’engager davantage dans des alliances militaires, telles que le pacte AUKUS (accord de coopération militaire tripartite formé par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni, visant à contrer l’expansionnisme chinois dans l’Indo-Pacifique) et le Quad (alliance réunissant les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon), afin d’isoler la Chine et de lui donner le sentiment d’être menacée.
Le président chinois, Xi Jinping, décrit cette stratégie comme « une politique globale d’endiguement, d’encerclement et de répression » visant la Chine.
Washington est la force motrice de cette escalade contre la Chine, un État qui ne représente aucune menace militaire évidente pour l’Occident
Le mois dernier, le président américain Joe Biden a accueilli le Japon et la Corée du Sud à Camp David, forgeant ainsi un accord de sécurité trilatéral dirigé contre le « comportement dangereux et agressif » de la Chine.
Pendant ce temps, le budget de l’« Initiative de défense du Pacifique » du Pentagone, principalement destinée à contenir et à encercler la Chine, ne cesse de croître.
La dernière opération en date, révélée fin août, concerne des pourparlers engagés par les États-Unis avec Manille pour construire un port naval dans les îles les plus septentrionales des Philippines, à 200 km de Taïwan, afin de renforcer « l’accès américain à des îles stratégiquement situées en face de Taïwan ».
Il s’agira de la neuvième base philippine utilisée par l’armée américaine au sein d’un réseau de quelque 450 bases dans le Pacifique Sud.
Un double jeu malsain
Que se passe-t-il donc ? La Grande-Bretagne, au même titre que ses alliés au sein de l’OTAN, souhaite-t-elle instaurer un climat de confiance renforcé avec Beijing, comme l’affirme James Cleverly, ou soutenir les manœuvres d’escalade de Washington contre une Chine dotée de l’arme nucléaire sur un petit territoire à l’autre bout du monde, comme l’indique le Parlement britannique ?
Par inadvertance, la présidente de la commission des affaires étrangères, Alicia Kearns, est entrée dans le vif du sujet. Elle a accusé le gouvernement britannique d’avoir une « stratégie chinoise confidentielle et évasive […] enfouie dans les profondeurs de [l’administration], cachée même aux ministres de haut rang ».
Et ce n’est pas un hasard.
Les dirigeants européens sont tiraillés. Ils craignent de perdre l’accès aux marchandises et aux marchés chinois, ce qui plongerait encore plus profondément leurs économies dans la récession après une crise du coût de la vie précipitée par la guerre en Ukraine. Mais la plupart craignent encore plus d’irriter Washington, qui est déterminé à isoler et à contenir la Chine.
Ce dilemme a été mis en évidence par le président français Emmanuel Macron lors d’une visite en Chine en avril, lorsqu’il a appelé à une « autonomie stratégique » de l’Europe à l’égard de Beijing.
« Avons-nous intérêt à une accélération [de la crise] sur le sujet de Taïwan ? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise », a-t-il soutenu.
Macron a rapidement essuyé de virulentes critiques de la part de Washington et des capitales européennes.
La pensée de James Cleverly est à peine voilée : les intérêts économiques clairs de l’Europe quant au maintien de bonnes relations avec Beijing doivent être subordonnés aux intentions plus malveillantes de Washington, déguisées en intérêts sécuritaires de l’OTAN
Au lieu de cela, c’est un double jeu malsain qui se joue. L’Occident se livre à des déclarations conciliantes à l’égard de Beijing, alors que ses actions deviennent de plus en plus belliqueuses.
James Cleverly a lui-même a fait allusion à cette tromperie en observant les relations avec la Chine : « S’il devait y avoir une situation où nos préoccupations en matière de sécurité seraient en contradiction avec nos préoccupations économiques, nos préoccupations en matière de sécurité l’emporteraient. »
Après l’Ukraine, on nous dit que Taïwan doit être la cible des intérêts sécuritaires dévorants de l’Occident.
La pensée de James Cleverly est à peine voilée : les intérêts économiques clairs de l’Europe quant au maintien de bonnes relations avec Beijing doivent être subordonnés aux intentions plus malveillantes de Washington, déguisées en intérêts sécuritaires de l’OTAN.
Oubliez l’« autonomie » formulée par Macron.
Même schéma que pour la guerre en Ukraine
Il convient de noter que ce jeu de fausses pistes s’appuie sur le même schéma que celui qui a sous-tendu la longue gestation de la guerre en Ukraine.
Les responsables politiques et les médias occidentaux continuent d’affirmer de manière grotesque que l’invasion de l’Ukraine par la Russie était « non provoquée » uniquement parce qu’ils se sont couverts au préalable, comme ils le font aujourd’hui avec la Chine.
J’ai précédemment expliqué en détail le déroulement de ces provocations. Petit à petit, les administrations américaines ont érodé la neutralité de l’Ukraine et intégré le grand voisin de la Russie dans le giron de l’OTAN. L’intention était d’en faire discrètement une base avancée, capable de positionner des missiles à tête nucléaire à quelques minutes de Moscou.
Washington a ignoré les avertissements de ses plus hauts responsables et des experts de la Russie selon lesquels le fait d’acculer la Russie finirait par la pousser à lancer une attaque préventive contre l’Ukraine. Pourquoi ? Parce qu’il semblait s’agir de l’objectif recherché depuis le début.
L’invasion a servi de prétexte aux États-Unis pour imposer des sanctions et mener leur guerre par procuration actuelle, en utilisant les Ukrainiens comme fantassins, afin de neutraliser la Russie militairement et économiquement – ou de l’« affaiblir », pour reprendre les termes explicites du secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin quant à l’objectif clé de Washington dans la guerre en Ukraine.
Moscou est considéré comme un obstacle, au même titre que la Chine, au maintien par les États-Unis d’une domination mondiale absolue (« full-spectrum global dominance »), une doctrine qui s’est imposée après l’effondrement de l’Union soviétique il y a trois décennies.
Avec l’OTAN comme acolyte, Washington entend préserver à tout prix l’unipolarité du monde. Il cherche désespérément à maintenir sa puissance militaire et économique mondiale et impériale, alors même que son étoile décline. Dans ces conditions, les possibilités d’autonomie de l’Europe telles que conçues par Macron sont inexistantes.
Il n’est guère surprenant que le public soit encore dans l’ignorance des innombrables provocations de l’OTAN à l’encontre de la Russie. Leur évocation est quasiment un tabou dans les médias occidentaux
Il n’est guère surprenant que le public soit encore dans l’ignorance des innombrables provocations de l’OTAN à l’encontre de la Russie. Leur évocation est quasiment un tabou dans les médias occidentaux.
À la place, les manœuvres belliqueuses de l’Occident, comme celles qui sont actuellement menées contre la Chine, sont éclipsées par un scénario qui vante sa fausse diplomatie, censée avoir été rejetée par le président russe « fou » Vladimir Poutine.
Ce discours fallacieux a été illustré par le double jeu de l’Occident sur les accords signés en 2014 et 2015 à Minsk, capitale biélorusse, après des négociations entre Moscou et Kyiv visant à mettre fin à une guerre civile sanglante dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine.
Les ultranationalistes ukrainiens et les séparatistes ukrainiens d’origine russe ont commencé à s’y affronter en 2014, immédiatement après une nouvelle ingérence secrète.
Mascarade
Washington a contribué au renversement d’un gouvernement ukrainien élu favorable à Moscou. En réponse, les Russes de souche ont exigé une plus grande autonomie vis-à-vis de Kyiv.
Selon le discours officiel, l’Occident, loin d’attiser le conflit, a cherché à favoriser la paix, grâce à l’Allemagne et à la France qui ont négocié les accords de Minsk.
On peut débattre des raisons de l’échec du protocole. Cependant, après l’invasion russe, Angela Merkel, chancelière allemande à l’époque, a apporté un éclairage nouveau et troublant sur leur contexte.
En décembre dernier, elle a déclaré au journal Die Zeit que le protocole de Minsk de 2014 visait moins à instaurer la paix qu’à « donner du temps à l’Ukraine ». « Elle a également profité de ce temps pour devenir plus forte, comme on peut le voir aujourd’hui […]. Début 2015, Poutine aurait pu facilement les envahir [les régions du Donbass]. Et je doute fort que les pays de l’OTAN auraient pu faire autant à l’époque qu’aujourd’hui pour aider l’Ukraine. »
S’il s’avère que la Russie aurait pu envahir l’Ukraine à tout moment à partir de 2014, pourquoi a-t-elle attendu huit ans, alors que son voisin se renforçait considérablement avec l’aide de l’Occident ?
En supposant que Merkel soit honnête, il semblerait que l’Allemagne n’ait jamais vraiment cru aux chances de succès du processus de paix qu’elle a supervisé. Il y a donc deux possibilités.
Soit l’initiative était une mascarade, négociée pour gagner du temps en vue de l’intégration de l’Ukraine au sein de l’OTAN, une voie qui ne pouvait que donner lieu à une invasion russe, comme le reconnaît Merkel elle-même. L’ex-chancelière admet en effet que le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN lancé en 2008 était « une erreur ».
En supposant que Merkel soit honnête, il semblerait que l’Allemagne n’ait jamais vraiment cru aux chances de succès du processus de paix qu’elle a supervisé
Ou alors, Merkel savait que les États-Unis collaboreraient avec le nouveau gouvernement pro-Washington à Kyiv afin de perturber le processus. L’Europe ne pouvait rien faire d’autre que retarder le plus possible une guerre inévitable.
Aucune des deux variantes ne reflète le discours de l’attaque « non provoquée ». Toutes deux invitent à penser que Merkel avait compris que Moscou finirait par perdre patience.
Le spectacle du protocole de Minsk était adressé à Moscou, qui a retardé l’invasion en supposant que les pourparlers étaient empreints de bonne foi, mais aussi aux publics occidentaux. Lorsque la Russie a fini par lancer l’invasion, il était facile de les persuader que Poutine n’avait jamais eu l’intention d’accepter les ouvertures occidentales en faveur de la « paix ».
Une asphyxie économique
Comme pour l’Ukraine, le scénario qui dissimule les provocations de l’Occident à l’égard de la Chine a été soigneusement orchestré depuis Washington.
Des Européens comme James Cleverly paradent autour de Beiking pour faire croire que l’Occident souhaite un engagement pacifique. Mais le seul véritable engagement consiste à fabriquer une corde militaire autour du cou de la Chine, semblable à celle qui a été façonnée auparavant pour la Russie.
Cette fois-ci, la logique sécuritaire – protéger la lointaine Taïwan – occulte l’objectif moins acceptable de Washington : renforcer la domination mondiale des États-Unis en écrasant toute menace économique ou technologique venant de Chine ou de Russie.
Washington ne peut pas rester le grand manitou militaire s’il ne préserve pas également une mainmise sur l’économie mondiale pour financer le budget hypertrophié du Pentagone, qui équivaut à la somme des dépenses des dix nations suivantes.
Les dangers qui guettent Washington ne sont que soulignés par l’expansion rapide des BRICS, un bloc de puissances économiques émergentes dirigé par la Chine et la Russie. Six nouveaux membres rejoindront les cinq actuels en janvier et de nombreux autres attendent leur tour.
L’élargissement des BRICS offre de nouveaux axes sécuritaires et économiques autour lesquels ces puissances émergentes peuvent s’organiser, affaiblissant ainsi considérablement l’influence américaine.
Les nouveaux venus sont l’Argentine, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. La Chine a déjà négocié en mars une réconciliation inattendue entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ennemis historiques, en vue de leur adhésion.
Les BRICS+ ne feront que renforcer leurs intérêts mutuels.
Washington n’y verra aucun réconfort. Les États-Unis ont longtemps favorisé le maintien de l’antagonisme entre les deux pays, dans le cadre d’une politique visant à diviser pour mieux régner qui rationalisait leur ingérence continue en vue du contrôle d’un Moyen-Orient riche en pétrole et favorisait le principal allié militaire de Washington dans la région, Israël.
Les BRICS+ ne se contenteront pas de mettre fin au rôle des États-Unis dans la détermination des accords de sécurité mondiaux. Ils desserreront progressivement l’emprise de Washington sur l’économie mondiale
Cependant, les BRICS+ ne se contenteront pas de mettre fin au rôle des États-Unis dans la détermination des accords de sécurité mondiaux. Ils desserreront progressivement l’emprise de Washington sur l’économie mondiale et mettront ainsi fin à la domination du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale.
Les BRICS+ concentrent désormais la majorité des approvisionnements énergétiques mondiaux et environ 37 % du PIB mondial, soit plus que le G7 dirigé par les États-Unis. Les possibilités de commercer dans des monnaies autres que le dollar deviennent beaucoup plus accessibles.
Comme le souligne Paul Craig Roberts, ancien responsable du Trésor sous Ronald Reagan, « la baisse du recours au dollar signifie une baisse de l’offre de clients pour la dette américaine, ce qui implique une pression sur la valeur de change du dollar et la perspective d’une hausse de l’inflation due à l’augmentation des prix des importations. »
En bref, un dollar faible compliquera considérablement l’entreprise d’intimidation à l’égard du reste du monde.
Les États-Unis ne se rendront probablement pas sans se battre. C’est la raison pour laquelle des Ukrainiens et des Russes meurent actuellement sur le champ de bataille. Et c’est la raison pour laquelle la Chine et nous autres avons de bonnes raisons de nous demander avec inquiétude qui pourrait être le prochain sur la liste.
- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Son site web et son blog sont disponibles à l’adresse : www.jonathan-cook.net
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].