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Les sondages prédisent que les élections en Turquie seront très serrées… mais Erdoğan a un plan

Alors que les chances de succès de son parti aux élections locales commencent à paraître incertaines dans les grandes villes comme Ankara et Istanbul, le président turc opte pour un discours nationaliste
Recep Tayyip Erdoğan mène campagne à l’échelle nationale, notamment dans la ville de Malatya (photo fournie par l’AKP)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

Le Parti pour la justice et le développement (AKP) du président turc Recep Tayyip Erdoğan mène actuellement l’une des campagnes électorales les plus difficiles de ces dernières années en raison de la contraction de l’économie du pays et de la montée du chômage.

Les sondages indiquent que le parti au pouvoir obtiendrait de bons résultats dans les régions rurales et les petites villes turques lors des prochaines élections locales prévues pour le 31 mars.

Cependant, diverses sources proches de l’AKP dans la capitale – en plus des sondages publics – suggèrent que des métropoles telles qu’Istanbul, Ankara, Bursa, Antalya, Hatay et Şanlıurfa seront le théâtre de rudes batailles électorales.

Face à la possibilité de perdre les grandes villes, Erdoğan a décidé l’an dernier de conserver son alliance électorale avec Devlet Bahçeli, président du Parti d’action nationaliste (MHP). Il est également intervenu personnellement pour augmenter la portée de la campagne électorale en organisant un nombre de rassemblements sans précédent pour des élections locales.

Toutefois, même avec cette alliance et la candidature de personnalités telles qu’un ancien Premier ministre à Istanbul, la course électorale se fait encore largement au coude à coude dans les centres urbains.

Des partisans de l’AKP venus écouter le discours du président turc Recep Tayyip Erdoğan lors d’un rassemblement électoral du parti au pouvoir à Ankara (AFP)
Des partisans de l’AKP venus écouter le discours du président turc Recep Tayyip Erdoğan lors d’un rassemblement électoral du parti au pouvoir à Ankara (AFP)

« Cette fois, Erdoğan se heurte à la crise économique », déclare à Middle East Eye une source proche de l’AKP. « L’opposition avance en ordre dispersé comme d’habitude, mais elle dispose de son plus gros avantage depuis de nombreuses années. »

L’économie turque s’est contractée de 2,7 % au quatrième trimestre de 2018 en raison d’une crise monétaire, tandis que le taux d’inflation annuel a atteint les 20,35 %. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de plus de 30 % d’une année sur l’autre en janvier.

L’opposition, une alliance du Parti républicain du peuple (CHP) laïc et du Bon Parti (İYİ) nationaliste, a présenté des candidats communs, en particulier dans les grandes villes où le parti au pouvoir rencontre des difficultés.

Cette année, le Parti démocratique des peuples (HDP), de gauche et pro-kurde, a pris une initiative stratégique et n’a désigné aucun candidat dans les grandes villes occidentales – ce qui signifie que des centaines de milliers de leurs électeurs sont appelés à voter pour la coalition CHP-İYİ.

« Ce n’est pas une alliance. C’est une union des forces »

- Pervin Buldan, HDP

En raison de leur ton nationaliste, le CHP et l’İYİ ne veulent pas faire partie d’une coalition avec le HDP, considéré comme ayant des liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui combat l’État turc depuis 1984.

La coprésidente du HDP, Pervin Buldan, a déclaré aux médias turcs en janvier que son parti n’adhérait à aucune alliance et qu’il ne faisait que soutenir les candidats jugés démocratiques.

« Ce n’est pas une alliance. C’est une union des forces. Nous voulons que les candidats qui se présentent contre l’AKP soient forts », a-t-elle déclaré.

« C’est ce que réclame notre base. »

Résultats incertains

Istanbul, la ville la plus peuplée, jadis administrée par Erdoğan, est le théâtre d’une compétition inattendue.

L’AKP a désigné Binali Yıldırım, ancien Premier ministre et président du Parlement turc, comme candidat pour la ville.

Reconnu pour avoir facilité la construction d’autoroutes et de trains à grande vitesse dans tout le pays lors de son mandat de ministre des Transports, Yıldırım devait remporter facilement la victoire, pensaient les observateurs.

Cependant, Ekrem İmamoğlu – une personnalité du CHP qui, en 2014, a été le premier membre de l’opposition à devenir maire du district de Beylikdüzü à Istanbul en dix ans – s’est avéré résistant face à la campagne de Yıldırımson, son style posé et modéré étant perçu comme en harmonie avec la personnalité amusante de Yıldırım.

Un ancien stratège de l’AKP, qui a également demandé à rester anonyme, a confié à MEE que le meilleur atout d’İmamoğlu tenait au fait qu’il n’était pas connu des électeurs locaux : « Les gens ne le connaissent pas. C’est vraiment très utile. Vous pouvez modeler une image. »

Ekrem İmamoğlu a attiré positivement l’attention pour sa réaction sympathique face aux partisans d’Erdoğan, principalement des personnes âgées, qui le défient régulièrement lors de ses visites devant les mosquées et dans les bazars de la ville.

Dans six des sept sondages réalisés à Istanbul ces dernières semaines, Yıldırım est toujours en tête avec une moyenne de trois à quatre points, mais İmamoğlu est en train de rattraper son retard. Un sondage de l’institut Pollmark indique qu’İmamoğlu est en avance d’un point.

Mansur Yavaş, le candidat à la mairie du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), pose après une interview à Ankara (AFP)
Mansur Yavaş, le candidat à la mairie du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), pose après une interview à Ankara (AFP)

Compte tenu de la marge d’erreur, il est encore difficile de prédire qui va gagner, mais les analystes estiment que Yıldırım sera très probablement le prochain maire d’Istanbul.

Une seconde source proche de l’AKP a déclaré que les sondages internes du parti suggèrent que Yıldırım devance İmamoğlu de plus d’un point et demi.

« İmamoğlu a gagné du terrain en raison des problèmes économiques, mais Yıldırım va se rétablir », affirme la source.

À Ankara, la capitale turque, la campagne est actuellement plus difficile pour le parti au pouvoir.

Mehmet Özhaseki, ancien maire de la ville conservatrice de Kayseri, est le candidat de l’AKP. Son rival, Mansur Yavaş, ancien maire du district Beypazarı d’Ankara, issu d’un milieu nationaliste, est le candidat de l’opposition.

« La majorité des électeurs [indécis] sont des partisans de l’AKP »

- Bekir Ağırdır, KONDA

Quatre des cinq sondages réalisés ces dernières semaines suggèrent que Yavaş devance son adversaire de quatre à cinq points. Le cinquième sondage prévoit dans le même temps qu’Özhaseki remportera l’élection de quatre points.

Yavaş était très proche de la victoire lors des élections précédentes en 2014, s’inclinant avec un écart de 30 000 voix. Beaucoup ont affirmé que c’est le bourrage d’urnes qui a permis à son concurrent, le maire de longue date de l’AKP Melih Gökçek, de l’emporter.

Cette fois-ci, les chances de Yavaş ont également été compliquées par la couverture médiatique d’un procès intenté à son encontre par un ancien client, qui affirme avoir été harcelé par le candidat pour des honoraires impayés datant de l’époque où Yavaş était avocat.

Cependant, les médias turcs disent que la principale vulnérabilité de Mehmet Özhaseki aujourd’hui est qu’il n’est pas un habitant d’Ankara. Ses récentes déclarations sur l’opposition ont également fait sourciller : il prétendait que si Yavaş l’emportait cette fois-ci, il engagerait des militants du PKK et du groupe de gauche illégal, le Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C), comme fonctionnaires.

Un « plan » d’Erdoğan

Malgré les sondages, Erdoğan a, comme d’habitude, un plan pour battre l’opposition.

Premièrement, le président a changé le discours de la campagne électorale. Les élections locales portent généralement sur la politique locale, des infrastructures aux problèmes environnementaux. Mais cette fois, Erdoğan a apporté une vision nationaliste à son message, parlant de la « survie de la nation » comme thème principal dans ses discours devant la foule lors de rassemblements.

Le moment a également été choisi avec soin. Il a commencé à faire campagne plus de 50 jours avant le scrutin.

Nebi Miş, directeur de la recherche politique au sein du think-tank conservateur SETA, a déclaré que la stratégie d’Erdoğan donnait des résultats positifs.

« Sa décision de faire campagne dans presque toutes les provinces, puis dans les districts de certaines provinces telles qu’Ankara et Istanbul, ramène les gens vers l’AKP », indique-t-il à MEE

« Il y a un grand nombre d’électeurs indécis dans les districts critiques, et il est très efficace en ce qui les concerne. »

D’autres pensent également que le discours nationaliste d’Erdoğan, qui divise les électeurs en deux camps, fonctionne toujours bien. Bekir Ağırdır, directeur général de l’institut de sondage indépendant KONDA, a déclaré récemment que la polarisation culturelle était toujours très répandue dans la société turque.

« Peu d’électeurs passent d’un bloc politique à l’autre », a-t-il déclaré. « Cependant, la majorité des électeurs [indécis] sont des partisans de l’AKP. »


Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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