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La Jordanie lutte pour préserver la flamme économique

Quatre travailleurs jordaniens sur dix sont partis travailler à l’étranger, produisant au moins 20 % du PIB par le biais d’envois de fonds

Suite aux élections législatives de la semaine dernière, le roi Abdallah de Jordanie a présenté ses priorités claires en demandant à Hani al-Mulki, anciennement Premier ministre par intérim du pays, de former un nouveau gouvernement axé sur la croissance économique, l’introduction de réformes et la diversification de l’économie.

Le royaume est engagé depuis un an dans « Jordan Vision 2025 », un projet de dix ans consacré au développement économique et social. Celui-ci est basé sur deux scénarios : l’économie jordanienne connaîtra une croissance de 4,8 % ou même de 7,5 % au cours de la décennie.

Néanmoins, ces deux chiffres sont lointains pour un pays dont l’économie stagne et qui dispose de peu de ressources au-delà de sa localisation stratégique. Il n’y a pas de pétrole, et en dépit d’un ensoleillement abondant, sa production d’énergie solaire est limitée. La Jordanie est le deuxième pays le plus pauvre en eau au monde, ce qui rend l’industrie agroalimentaire difficile et coûteuse.

Les exportations se concentrent autour de la potasse, des phosphates et de la main-d’œuvre. Malgré l’importation d’un tiers de sa main-d’œuvre nationale, la Jordanie exporte 40 % de ses travailleurs à l’étranger. Ces derniers injectent environ 3,8 milliards de dollars d’envois de fonds dans le pays, ce qui représente au moins 20 % du PIB et, selon l’analyste Fahed Fanek, apporte un revenu mensuel vital à environ 350 000 familles.

Un secteur privé dynamique pourrait compenser les lacunes financières nationales ; cependant, le plus grand employeur en Jordanie est l’État. À l’exclusion de l’armée, le vaste secteur public de la Jordanie emploie 13 % de la main-d’œuvre pour un coût représentant 37 % du PIB. Bien qu’ils soient largement considérés comme un gage de sécurité pour toute la carrière, les emplois de l’État sont faiblement rémunérés : le chèque de paie moyen du secteur public place une famille de quatre personnes disposant d’un seul revenu sous le seuil de pauvreté.

Alors que les placards sont vides à la maison, la Jordanie s’appuie depuis longtemps sur le tourisme, les investissements étrangers directs et l’aide budgétaire conséquente des États-Unis. Mais le flux d’argent étranger entrant en Jordanie ralentit.

D’après les statistiques du gouvernement, les investissements directs étrangers ont chuté de 35 % en 2015, tandis que les exportations ont diminué de 10 %. Le tourisme s’est également effondré en raison des guerres qui touchent les pays voisins, la Syrie et l’Irak. Les revenus du secteur d’activité le plus crucial pour la Jordanie ont chuté de 12 % au cours du premier trimestre 2015 et ont continué de diminuer depuis.

Alors que les sites touristiques jordaniens tels que Petra étaient autrefois envahis de touristes, les guerres en Syrie et en Irak ont éloigné les visiteurs (AFP)

Les envois de fonds sont aussi en baisse. Le faible prix du pétrole a entraîné une baisse du nombre d’emplois et des revenus pour les Jordaniens expatriés dans le Golfe, qui envoient moins d’argent à la maison. Leur soutien manque à la population locale qui connaît un taux de chômage de 14,6 % (une interprétation optimiste de la réalité selon les économistes). Le taux de chômage chez les 15–24 ans avoisine les 30 %.

Comme moins d’argent arrive, les dépenses sont en baisse. Lors de la dernière Aïd al-Adha, qui est généralement un moment où les familles achètent de nouveaux vêtements pour les enfants, les commerçants d’Amman ont enregistré leurs ventes les plus faibles en une décennie.

Pour aggraver la situation, les lourdes taxes sur les vêtements importés laissent les acheteurs songeurs, provoquant ainsi l’affaiblissement du secteur de la vente au détail. Bien que la taxe sur les ventes de marques internationales ait été réduite de moitié à la fin de l’année 2015, beaucoup ont quitté la Jordanie pour faire de meilleurs profits ailleurs.

La Jordanie a beaucoup emprunté pour compenser. Selon un rapport de mars 2016 du Carnegie Middle East Center, le ratio dette-PIB de la Jordanie est passé de 57 % en août 2011 à 90 % au début de l’année 2016. Le dépassement budgétaire du secteur public était un élément important, en particulier les pertes subies par les autorités de distribution d’eau et d’électricité de l’État.

Malgré un afflux opportun d’aide en provenance des Nations unies, le coût de l’hébergement d’environ un million de réfugiés syriens a également eu un impact considérable : entre-temps, la dette absolue du pays a plus que doublé.

Camoufler les fissures

En janvier, la Chambre basse du parlement jordanien a adopté un nouveau projet de loi budgétaire destiné à réduire les dépenses publiques. Le projet de loi a été adopté dans la foulée d’un prêt salvateur de près de 800 millions de dollars du Fonds monétaire international (FMI). Le prêt est assorti de conditions : réformes fiscales, ajustements structurels et mesures visant à employer davantage de jeunes et de femmes, qui représentent seulement 13 % du marché du travail.

Mais les économistes mettent en garde contre des préoccupations structurelles plus profondes.

Les subventions, qui ont représenté près de 9 % du PIB de la Jordanie au cours de la période 2011-2012, figurent en tête de liste.

Plus d’un tiers des Jordaniens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le salaire minimum de 190 dinars jordaniens par mois (environ 240 dollars) est plus de deux fois inférieur au seuil de pauvreté pour une famille de cinq personnes. Les subventions pour l’électricité, l’eau, le pain et l’essence maintiennent la population pauvre jordanienne à flot, mais selon les économistes, la mise en œuvre ne fonctionne pas.

« La Jordanie a essayé de viser les subventions, mais elle n’y est pas parvenue en raison de la capacité administrative déplorable résultant d’un déclin à long terme de l’État jordanien. Il est en faillite », a déclaré Pete Moore, professeur associé à l’Université Case Western Reserve.

Il a pris l’exemple du pain arabe, subventionné à 98 % : fait avec du blé donné par les États-Unis sous la forme d’aide, le pain arabe représente l’une des grandes sources de gaspillage de l’économie jordanienne. Environ un pain sur quatre périme et est jeté.

« Je pense que l’économie est dans sa pire situation depuis que j’ai commencé à me rendre en Jordanie, il y a vingt ans. Le revenu par habitant n’a pas bougé depuis le milieu des années 1980 et nous voyons maintenant un chômage chez les jeunes et les personnes mobiles sur l’échelle sociale », a expliqué Moore.

Amman : l’histoire de deux villes

En juin, le centre des études stratégiques de l’Université de Jordanie a interrogé 1 800 Jordaniens et 700 « leaders d’opinion » au sujet de leur point de vue sur le gouvernement formé lorsque le parlement du pays a terminé son mandat à la fin du mois de mai et le roi Abdallah a nommé Hani al-Mulki au poste de Premier ministre par intérim.

Environ 45 % de l’échantillon national et 56 % des leaders d’opinion estimaient que la Jordanie se trouvait alors dans une pire situation qu’il y a un an.

À Amman, la situation semble particulièrement sombre. La capitale jordanienne est depuis longtemps divisée en deux villes : l’ouest d’Amman scintillant, réservé aux expatriés et à une poignée de riches Jordaniens, et l’est d’Amman poussiéreux pour tous les autres. Mais à l’ouest d’Amman, les choses ralentissent.

« Il y a trois ans, mes clients étaient des touristes, des riches Jordaniens et des expatriés. Aujourd’hui, il n’y a que les expatriés », a déclaré le propriétaire d’une boutique de produits de bain haut de gamme située dans la « Rainbow Street », une rue touristique d’Amman.

D’après Moore, les secteurs de l’immobilier et de l’assurance permettaient auparavant de camoufler la crise dans l’ouest d’Amman, mais ces bulles ont désormais éclaté.

« Nous souffrons vraiment », a déclaré la directrice jordanienne d’un cabinet de conseil international qui n’a pas souhaité que le nom de son entreprise soit dévoilé dans la presse.

« Les affaires sont à la baisse, les gens mettent du temps à payer, certains clients ne paient pas du tout. La situation a toujours été difficile en Jordanie, mais elle est aujourd’hui plus difficile qu’elle ne l’a jamais été. »

La concurrence pour une offre d’emplois en baisse est devenue féroce. Un responsable d’une société de médias, qui a demandé à ce que son entreprise ne soit pas nommée, a expliqué à Middle East Eye que lorsqu’il a publié une annonce pour un poste de secrétaire, il a reçu plus de 300 appels en cinq jours.

« J’ai fait l’erreur de mettre mon propre numéro de téléphone dans l’annonce, j’ai reçu des appels jour et nuit », raconte-t-il.

Il y a trois ans, une annonce similaire pour un emploi de secrétaire peu rémunéré avait attiré une douzaine de CV et donné lieu à une embauche. Cette fois-ci, il a reçu des appels de la part de membres de la famille des candidates qui le suppliaient d’embaucher leur sœur ou leur fille, ainsi que des propositions venant de Syriennes qui affirmaient vouloir travailler pour un tiers de ce qu’il aurait payé pour une Jordanienne.

Mais ces chiffres masquent un problème plus important : peu de candidates étaient qualifiées, affirme-t-il.

« On trouve rarement des compétences en informatique et une maîtrise de l’anglais, parce que les universités ici ne préparent pas les étudiants au marché du travail. La qualité de l’enseignement est très faible en Jordanie », a-t-il expliqué.

Pendant longtemps, les envois de fonds ont permis aux familles d’embaucher des tuteurs privés pour aider, mais cela est également au point mort.

La sécurité a un prix

La récente série d’incidents ayant mis à mal la sécurité du pays, qui a commencé avec une fusillade dans une école de police à l’extérieur d’Amman en novembre 2015, a souligné l’importance pour les habitants et les soutiens internationaux de garder une Jordanie stable dans une région en proie à une déstabilisation rapide.

Selon Moore, les États-Unis devaient faire don cette année d’un montant sans précédent de 900 millions de dollars à l’armée jordanienne. Ici, la Jordanie a une carte maîtresse : pour les alliés et les partenaires régionaux, l’augmentation du coût de la sécurité est un prix acceptable à payer étant donnée sa localisation stratégique. L’UE souhaite que les réfugiés restent en Jordanie. Israël souhaite une barrière solide le séparant de l’État islamique. Les États-Unis et le Royaume-Uni souhaitent une base où ils pourront maintenir une présence militaire.

L’armée jordanienne se développe et acquiert le rôle démesuré que lui offre sa géographie. Ses forces reçoivent une formation et des équipements de meilleure qualité – et plus coûteux – que jamais, en grande partie grâce au financement et au soutien pratique des États-Unis et du Royaume-Uni. Le nombre d’hommes en uniforme grimpe également : les données officielles montrent une augmentation de 10 % au cours des deux dernières années. L’aide économique et militaire des États-Unis à destination de la Jordanie a atteint 1,275 milliard de dollars au cours de l’année 2016, en plus de centaines de millions de dollars consacrés à la sécurité aux frontières et à la lutte contre le terrorisme.

Le prince jordanien Fayçal ben al-Hussein et le général Mashal al-Zaben, conseiller militaire et chef d’État-major, lors d’une conférence militaire à Amman (AFP)

L’économiste jordanien Riad al-Khouri estime que cela représente une dépendance dangereuse pour l’État.

« Dans la population active, un homme sur quatre travaille pour le gouvernement et porte une arme. Cela fait de ces hommes le fondement du système, et ils sont payés et choyés en conséquence », a-t-il expliqué.

Ces mesures, affirme-t-il, comprennent un régime de retraite décent, des augmentations et des promotions ainsi qu’un accès à des coopératives où les membres de leur famille peuvent acheter des provisions à prix réduit.

Tout cela, combiné à ce qu’il décrit comme une richesse issue « de la corruption, de pots-de-vin et de contrats secondaires obtenus par le biais de connexions familiales ou tribales », maintient la stabilité du gouvernement jordanien, a-t-il précisé. Comme Moore, Khouri a décrit un système alimenté par les donateurs et destiné à consolider le pouvoir plutôt qu’à propulser la croissance économique.

Avons-nous cependant atteint un point de rupture ?

Le FMI a exigé une réforme fiscale et une baisse des subventions en échange de son soutien. La dernière fois que la banque a fait pression pour cela, en 2012, des Jordaniens en colère étaient descendus dans les rues.

L’UE s’est également impliquée et un nouvel accord décrit par Moore comme étant « incroyablement intelligent et mal intentionné » a assoupli la réglementation commerciale avec la Jordanie pour les fabricants qui emploient des Syriens, dans le cadre d’une stratégie européenne visant à endiguer la marée de demandeurs d’asile en améliorant leurs conditions de vie en Jordanie, au Liban et en Turquie. Pourtant, l’économiste prédit qu’en raison de la corruption endémique et du pourrissement de plus en plus rapide de l’État jordanien, tout plan de relance étranger échouera probablement.

Le déclin économique général, reflété par une augmentation des dépenses militaires et une montée en flèche de la criminalité économique, n’augure rien de bon, a-t-il expliqué.

« La question est de savoir si le déclin continuera d’être lent ou s’il deviendra beaucoup plus rapide et imprévisible », a déclaré Moore.

« S’il est lent, ils peuvent garder la main dessus. Mais des troubles plus répandus et une perte de contrôle de certaines parties du pays marquent le début de choses sur lesquelles ils ne peuvent vraiment pas avoir d’emprise. »
 

Photo : des Jordaniens achètent des lanternes traditionnelles vendues durant le mois sacré musulman du ramadan, dans un marché à Amman, le 5 juin (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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