La qualification du Hezbollah comme groupe terroriste par le CCG est un « coup dur » pour le Liban
Mercredi, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a déclaré que le Hezbollah libanais était une organisation « terroriste », suscitant l’inquiétude au Liban quant à la possibilité que la rivalité régionale entre l’Iran et l’Arabie saoudite ne finisse par mettre davantage en péril la situation sécuritaire dans ce petit pays de la Méditerranée.
Les membres du CCG ont indiqué qu’ils avaient été contraints d’agir de la sorte car l’allié de l’Iran, le Hezbollah, était impliqué dans des « actions hostiles » et avait tenté de « recruter des jeunes pour commettre des actes terroristes ».
Le Secrétaire général du CCG, Abdullatif al-Zayani, a précisé dans un communiqué que « leurs actes terroristes et leur incitation à la violence en Syrie, au Yémen et en Irak » menaçaient la sécurité régionale.
Auparavant, le Hezbollah s’était empressé de rejeter des menaces de sanctions étrangères. Toutefois, des analystes indiquent qu’au-delà des propos musclés, la décision du CCG pourrait avoir des conséquences d’une grande portée pour l’ensemble du Liban, susceptibles de frapper son économie anémique et de déstabiliser sa fragile paix politique.
« Le Hezbollah peut faire comme s’il s’en moquait mais c’est un coup dur », a commenté Makram Rabah, un auteur et journaliste libanais, qui a ajouté que quiconque ayant des liens avec le Hezbollah et des intérêts au sein du CCG devrait soit s’éloigner du groupe soit courir le risque de se faire blacklister.
Selon Rabah, cette décision pourrait permettre au CCG de viser les financements et les systèmes de blanchiment d’argent du Hezbollah. En fin d’année dernière, lorsque les États-Unis ont commencé à sévir contre l’utilisation des services bancaires par le Hezbollah, les banques libanaises ont en souffert.
« La seule manière de le faire véritablement est de déclarer qu’un groupe est une organisation terroriste », a-t-il précisé. « Donc aux niveaux micro et macro, ceci aura des répercussions directes sur l’économie libanaise, qui souffre déjà. »
L’annonce de mercredi suit d’une semaine la décision prise par cinq des six pays du CCG de mettre en place des restrictions de voyage au Liban, invoquant des préoccupations sécuritaires.
Récemment, l’Arabie saoudite a également annulé une aide militaire de 3 milliards de dollars au Liban, invoquant l’influence croissante du Hezbollah dans le pays.
Cette annonce semble avoir été provoquée par le ministre libanais des Affaires étrangères, Gibran Bassil. Ce dernier, membre du Courant patriotique libre allié au Hezbollah, a refusé à la mi-février de soutenir des résolutions saoudiennes contre l’Iran au cours de deux rencontres des ministres des Affaires étrangères arabes et musulmans.
Christopher Davidson, professeur à l’Université de Durham et spécialiste du Golfe, a affirmé que la décision représentait un changement clair dans la stratégie saoudienne, qui jusqu’à présent consistait à « jouer le jeu des institutions formelles et à essayer de gagner en influence vis-à-vis du gouvernement et de l’armée afin de mettre le Hezbollah sur la touche ».
Le nouvel objectif du Golfe, selon Davidson, est de lancer une attaque tous azimuts contre l’économie libanaise, réduisant l’afflux lucratif des touristes du Golfe et fragilisant la sécurité afin de faire en sorte que le Liban apparaisse comme une destination encore plus risquée vu de l’extérieur.
« C’est une manière de punir le gouvernement et l’élite politique du Liban pour ne pas s’être alignés plus étroitement sur la position de Riyad concernant l’Iran et la région », pense-t-il.
« Maintenant, il est plus probable que nous assistions à une résurgence d’attaques d’islamistes sunnites à l’encontre du Hezbollah et peut-être aussi du gouvernement libanais et des positions de l’armée. »
Pourquoi maintenant ?
Nicholas Noe, auteur de Voice of Hezbollah: The Statements of Sayyed Hassan Nasrallah, indique que cette décision représente « une autre brique dans le mur » encerclant le groupe libanais. Celui-ci était déjà considéré comme une organisation terroriste par Washington, et son aile militaire a été déclarée groupe terroriste par l’UE en 2013.
Une telle position au sein du CCG pourrait aussi affecter les dizaines de milliers de Libanais vivant et travaillant dans des pays du Golfe, a-t-il ajouté.
Le Liban est divisé depuis longtemps en fonction de lignes sectaires et d’allégeances à son plus puissant voisin, Damas, et a été emporté dans une guerre civile meurtrière de 1975 à 1990.
Mais depuis l’escalade de la violence en Syrie, de nouvelles tensions sont apparues entre le Hezbollah, qui envoie des combattants en Syrie pour appuyer les forces du président Bachar al-Assad, et les sunnites du mouvement du 14 Mars soutenu par les Saoudiens, qui sont favorables à l’opposition syrienne.
Ce désaccord a été tenu pour responsable de l’impasse politique dans le pays, les deux partis ne parvenant pas à se mettre d’accord sur un nouveau candidat à la présidence depuis que Michel Sleiman a abandonné son poste de président en 2014. En fin d’année dernière, le Parlement libanais a voté en faveur de l’extension de son propre mandat jusqu’en 2017, invoquant des préoccupations sécuritaires liées à la guerre civile.
L’année dernière, l’équilibre semblait s’être déplacé en faveur du Hezbollah, reflétant le succès d’Assad et de ses alliés en Syrie. En outre, le parrain du Hezbollah, l’Iran, a commencé à sortir de son isolement suite à la signature d’un accord sur son programme nucléaire l’année dernière avec les États-Unis et leurs partenaires internationaux.
À mesure que la position de l’Iran s’est renforcée, celle du Golfe s’est affaiblie – les économies des pays du CCG ayant par ailleurs été touchées par la chute des prix du pétrole et le coût de leur soutien aux conflits dans la région.
« Dans l’ensemble, le Hezbollah est dans une situation où il commence à se débarrasser de certaines des contraintes qui pesaient sur ses épaules depuis environ quatre ans donc [cette décision intervient] juste au moment où il commence à sortir la tête de l’eau », a expliqué Nicholas Noe.
« La puissance régionale croissante du Hezbollah et sa confiance grandissante au Liban et en raison de l’atténuation des contraintes dans la guerre en Syrie sont donc ainsi repoussées en arrière ».
Certains analystes pensent que la déclaration du CGG pourrait déclencher des affrontements similaires à ceux de mai 2008, quand le Hezbollah avait marché dans les rues de Beyrouth.
« Beaucoup de cela dépend de la mesure selon laquelle les Saoudiens et les monarchies du Golfe veulent pousser le Hezbollah contre le mur. En mai 2008, les Américains et leurs alliés avaient décidé de pousser le Hezbollah contre le mur et cela avait été un désastre », rappelle Nicholas Noe.
« Si les monarchies choisissent de faire cela, il est fort probable que le Hezbollah riposte. Cependant, la différence cette fois-ci est qu’un plus grand consensus existe au Liban contre une déstabilisation violente de la nation en raison de l’actuelle déstabilisation régionale. »
Mais contrairement à 2008, « les sunnites ne sont plus en train de s’armer comme ils l’étaient avant mai 2008 et ceci met le Hezbollah dans le pétrin car il n’a plus personne à tabasser, or un tyran a toujours besoin de quelqu’un à brutaliser », a déclaré Makram Rabah.
Au lieu de cela, il se trouve désormais dans une position où il doit gouverner l’État et essayer de trouver une sorte de compromis, a-t-il ajouté.
En parallèle, les mêmes forces qui divisent toujours plus la région aident le Liban à rester uni malgré la pression extérieure.
« À quel point les Saoudiens et leurs alliés feront pression sur leurs alliés libanais pour une rupture nette, cela reste à voir, mais même s’ils veulent pousser leurs alliés vers une rupture, ils disposent d’un soutien moindre au Liban pour une telle manœuvre, essentiellement à cause des dangers qui menacent le Liban et qui sont vus comme beaucoup plus grands », a déclaré Nicholas Noe.
Photo : de jeunes Libanais sont assis devant les posters de leaders chiites, dont le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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