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La victoire écrasante de Rouhani redessine la carte politique iranienne

Cette victoire plus importante que prévue ouvre la voie à l'ascendance des centristes-réformistes, provoquant une remise en question des conservateurs et radicaux

Le président Hassan Rouhani, candidat à sa réélection, a créé la surprise lors de l'élection présidentielle iranienne en obtenant un peu plus de 23,5 millions de voix, soit 57 % du total. Bien qu’il ait été clairement le favori tout au long de la campagne, Rouhani a bénéficié d’une poussée favorable dans la phase finale de la campagne lorsqu’il a entrepris délibérément de créer une polarisation en établissant une nette distinction entre « modérés » et « partisans de la ligne dure ».

Avec une participation de près de 41 millions d’électeurs, soit un peu moins de 74 % de l’électorat, l’élection est interprétée comme un succès retentissant pour l’establishment politique iranien, exprimant la confiance du public dans la République islamique.

Les conservateurs pourraient ne pas reprendre le contrôle du pouvoir exécutif pendant une génération

Quelques jours à peine avant les élections, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, avait appelé à une forte participation en envoyant un message clair aux ennemis du pays, notamment aux États-Unis et à Israël.

Compte tenu des attaques incendiaires de Rouhani à l’encontre de son principal rival, Ebrahim Raïssi, et de la forte majorité dont il dispose, le président iranien devrait se rapprocher du camp des réformistes, ce qui accentuerait le fossé entre son gouvernement et ses détracteurs.

En ce qui concerne les conservateurs et les radicaux, leur perte est considérable et d’une grande portée, notamment en raison de leur mobilisation massive, en particulier dans les derniers stades de la campagne.

Sans examen de conscience approfondi et sans un recalibrage de leurs tactiques et messages, les conservateurs pourraient ne pas reprendre le contrôle du pouvoir exécutif pendant une génération.

Une victoire retentissante

Par rapport à l’élection présidentielle de 2013, Rohani a récolté sept points de pourcentage de plus. Ceci est important car, historiquement, le président sortant de la République islamique perd une partie de sa majorité en raison d’attentes déçues et de problèmes connexes.

Le taux de participation est également légèrement supérieur à celui de 2013, la coalition réformiste-centriste de Rohani a dynamisé les électeurs grâce à des tactiques alarmistes et à la polarisation.

En recréant l’atmosphère polarisée de l’élection présidentielle controversée de 2009, bien que dans des conditions plus contrôlées, l’équipe de campagne de Rohani a effectivement porté un coup mortel aux radicaux.

L’élan centriste-réformiste se reflète également dans les élections des conseils municipaux et des conseils de village, organisées en parallèle aux élections présidentielles ; les candidats réformistes de la « liste de l’espoir » dominent le conseil municipal de Téhéran.

Des Iraniennes tiennent leur pièce d’identité tandis qu’elles attendent pour voter au sanctuaire de Masoumeh dans la ville sainte de Qom, à 130 km au sud de Téhéran, le 19 mai (AFP)

Comme lors des précédentes élections, les radicaux ont commencé la campagne de manière lente et clivante, par exemple en ne posant pas un candidat fort dès le début. Parmi les deux principaux candidats radicaux, le maire de Tehran, Mohammad Bagher Ghalibaf, est rapidement devenu le candidat le plus crédible.

Radical avec un côté excentrique, le flamboyant Ghalibaf était le mieux placé pour toucher les franges non conservatrices de l’électorat.

Ce maire combatif a réalisé une très bonne performance lors des trois débats télévisés en direct, éclipsant efficacement le candidat de l’establishment clérical, Ebrahim Raïssi. En insistant pendant sa campagne sur la justice sociale et l’intégration, Ghalibaf a réussi à mettre en évidence la nature élitiste de l’administration de Rohani.

Le retrait de Ghalibaf fut sans doute la plus grande erreur tactique des radicaux, car une part significative des votes en sa faveur ont probablement été reportés sur Rohani. À l’inverse, si Raïssi avait abandonné, la plupart sinon toutes les intentions de vote auraient été absorbées par Ghalibaf et, dans une moindre mesure, par le petit candidat conservateur Mostafa Mirsalim.

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Bien que cela n’aurait pas été suffisant pour vaincre Rohani, cela aurait au moins réduit de manière significative sa majorité et aurait pu entraîner l’élection vers un second tour. Les répercussions pourraient bien avoir été profondes car un mandat plus modeste aurait considérablement réduit les ambitions de Rohani ainsi que sa liberté d’action au cours de son second mandat.

Raïssi s’est révélé être un candidat singulièrement peu inspirant qui était manifestement incapable de toucher l’électorat au-delà des bastions traditionnels et conservateurs des radicaux. Cela l’a obligé à faire des gestes inhabituels, comme la rencontre d’Amir Tataloo, une star de la musique célèbre pour mélanger les styles de rap, de pop et de R&B persans.

Tataloo est aussi éloigné du moule radical que possible et cette rencontre (ainsi que le soutien de Tataloo à Raïssi) a été largement interprétée comme une tentative désespérée d’atteindre les franges culturellement progressistes, sinon subversives, de l’électorat jeune.

À un niveau plus profond, le thème central de la campagne de Raïssi, à savoir la justice sociale, n’a pas réussi à prendre de l’ampleur en raison du fossé entre le candidat et son message. En tant que gardien de l’Astan Quds Razavi, Raïssi préside un vaste empire économique et caritatif (avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 15 milliards de dollars) qui est connu pour son manque de transparence et son évasion fiscale.

Où sont les radicaux ?

Il est difficile de surestimer l’ampleur de la défaite des radicaux. Rohani était un candidat vulnérable qui était pleinement exposé sur le front économique en raison de l’échec de son administration à transformer l’économie. De manière plus générale, le président a de sérieux défauts de personnalité et de leadership que les radicaux n’ont pas exploités.

Il y a deux façons d’expliquer cette défaite et ses répercussions. La première évaluation, plus optimiste, est que la politique iranienne s’est stabilisée autour des transferts cycliques de pouvoir entre les réformistes et les radicaux. Sur la base de cette évaluation, un président en exercice appartenant à l’une ou l’autre des tendances peut s’attendre à effectuer deux mandats complets (huit ans au total) avant que le courant concurrent ne retrouve le pouvoir.

Il convient de noter que cette évaluation stratégique de l’état de la politique iranienne n’est valable que si l’on considère les administrations Ahmadinejad (2005–2013) et Rafsandjani (1989–1997) comme radicale (dans le cas de la première) ou quasi-conservatrice (dans le cas de la seconde). En réalité, aucune administration n’était ni radicale ni conservatrice dans le sens le plus strict des termes.

La deuxième évaluation, plus réaliste, est que les radicaux sont partis pour une période prolongée d’opposition, du moins en ce qui concerne le pouvoir exécutif. L’ampleur de la victoire de Rohani indique clairement que les valeurs essentielles des radicaux ne font pas écho chez la majorité des Iraniens.

Pour être juste, les radicaux semblent accepter la défaite sans sourciller. Dans une analyse post-électorale lucide, le principal idéologue radical Abdollah Ganji attribue la victoire de Rohani à sa volonté impitoyable de pouvoir. En outre, Ganji semble conclure que Rohani s’est rapproché du camp réformiste en adoptant les principes de la démocratie libérale.

Le président iranien Hassan Rohani visite le bureau des élections à Téhéran le 19 mai 2017 (Reuters)

Cette conclusion est importante dans la mesure où elle laisse entendre une politique d’opposition agressive des radicaux. Ces derniers pourraient bien chercher à recréer la polarisation des années fastes réformistes du début des années 1990 et du début des années 2000 lorsque l’administration Mohammad Khatami était paralysée par des crises successives.

Cette stratégie est tout à fait crédible compte tenu de l’éthique radicale des centres de pouvoir non élus en Iran, principalement les piliers de l’establishment comme le pouvoir judiciaire, le Conseil des gardiens et l’Assemblée des experts, en plus du Corps des gardiens de la révolution islamique (GRI).

En s’harmonisant étroitement avec ces centres de pouvoir (comme ils l’ont fait dans les années réformistes), les factions radicales et conservatrices peuvent constituer un défi efficace visant à frustrer les politiques et les ambitions de Rohani.

Cependant, si les radicaux souhaitent sérieusement revenir au pouvoir, ils devraient se concentrer moins sur des politiques contradictoires et plus sur un examen de conscience en remaniant leurs principes et la manière dont ils interagissent avec l’électorat iranien.

Alors que les radicaux par définition ne peuvent pas abandonner leur discours idéologique (centré sur les principes fondamentaux de la révolution iranienne), ils peuvent se rapprocher davantage du centre, en adoucissant leur rhétorique et en adoptant les aspirations des classes moyennes urbaines.

La classe moyenne urbaine est le cœur de l’électorat de la coalition réformiste-centriste et pour progresser en termes électoraux, les radicaux doivent s’abstenir de s’aliéner continuellement ce groupe puissant.

Rouhani : tout puissant ?

Tandis que la campagne électorale était centrée sur les problèmes économiques, la première priorité de Rouhani pour son second mandat est de redresser l’économie du pays avec l’idée de combattre ses défauts structurels, et notamment le chômage de longue durée et l’évasion fiscale répandue.

Les opposants à Rouhani mettent déjà en doute ses capacités à tenir ses promesses, critiquant le plan de priorités économiques du gouvernement après les élections. Selon l’agence de presse Fars, liée aux GRI, ce plan, axé sur quatorze priorités, est similaire au plan publié il y a quatre ans, jamais correctement mis en œuvre.

Au-delà de l’économie, Rouhani a dangereusement élevé le niveau des attentes politiques avec sa polarisation calculée cherchant essentiellement à faire apparaître ses opposants comme des « extrémistes ». En signalant un tournant vers le camp des réformistes, Rouhani a embrassé leurs demandes politiques, qui se focalisent sur de plus grandes libertés individuelles et l’ouverture du système politique. Dans l’immédiat, les réformistes demandent la libération des leaders du Mouvement vert Mir Hossein Mousavi et Mehdi Karroubi, assignés à résidence.

Rouhani va presque inévitablement décevoir ses électeurs car il n’a pas le pouvoir de satisfaire les demandes des réformistes

Rouhani va presque inévitablement décevoir ses électeurs car il n’a pas le pouvoir de satisfaire les demandes des réformistes. Si, par exemple, Rouhani plaide pour la libération des leaders du Mouvement vert, il fera face à un mur d’opposition formé par l’establishment conservateur, ainsi que le leader, l’ayatollah Khamenei.

La relation entre Rouhani et le guide suprême sera l’une des caractéristiques déterminantes de son second mandat. Traditionnellement, du fait des tensions structurelles du système politique iranien, les présidents en second mandat entrent en conflit avec le guide suprême. Dans le cas de Rouhani, le conflit risque d’être intense (avec des conséquences inattendues), en particulier si le président se montre déterminé à faire valoir ses revendications.

Politique étrangère

Étant donné que l’accord historique sur le nucléaire (connu sous le nom de Plan global d'action conjoint ou JCPOA) de juillet 2015 a été la plus grande réussite de Rouhani pendant son premier mandat, le président cherchera à le sauvegarder à tout prix. Cela pourrait s'avérer délicat si l'administration Trump commençait à demander des révisions ou des modifications du texte.

De même, dans le cas où les États-Unis tenteraient d'élargir la portée du JCPOA, par exemple en ciblant le programme de missiles balistiques iranien, les détracteurs de Rouhani au sein des GRI feraient tout pour résister à leurs exigences. Les disputes politiques et diplomatiques qui en découleraient nuiraient inévitablement à Rouhani.

La politique étrangère n'a pas été un élément important de la campagne électorale et, en conséquence, aucune forte pression n’est exercée sur Rouhani afin qu’il fasse des avancées diplomatiques concernant les relations régionales et internationales de l'Iran.

Des personnes se promènent dans le grand bazar du centre de Téhéran, un jour après l'élection présidentielle (Reuters)

En ce qui concerne les guerres régionales par procuration, le gouvernement iranien n'a pas le dernier mot sur la façon dont ces politiques complexes sont formulées et mises en œuvre. Ce sont les GRI, et plus précisément le corps expéditionnaire al-Qods, qui a la primauté dans ce domaine. Il est peu probable que cela change au cours des quatre prochaines années.

À un niveau plus stratégique, les partisans de Rouhani au sein des milieux diplomatiques iraniens voient sa victoire comme une quête de normalisation et de rationalisation au niveau national et, par extension, dans la politique étrangère de l'Iran.

Mais, de manière cruciale, ils considèrent cela comme un processus progressif et faisant partie d’un changement plus large et à plus long terme de la politique iranienne, où la division radicaux/réformistes se développerait en un régime politique plus complexe étayé par des partis politiques pleinement fonctionnels.

Bref, ne vous attendez pas à ce que Rouhani fasse des miracles.
 

Photo : une partisane du président iranien Hassan Rouhani tient une affiche le représentant à Téhéran lors des célébrations de sa victoire aux élections présidentielles (Reuters).

Traduit de l'anglais (original).

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