« Des milliers de personnes pourraient mourir » : les États-Unis et l’Iran sur le chemin de la guerre ?
Lorsque dans la soirée du dimanche 5 mai, le conseiller américain à la Sécurité nationale John Bolton a annoncé que Washington déployait une force de frappe navale dans le Golfe pour envoyer un « message clair et sans équivoque au régime iranien », beaucoup ont comparé la situation à celle qui avait précédé la guerre en Irak.
Néanmoins, selon certains analystes, une confrontation militaire entre Washington et Téhéran ne ressemblerait en rien à l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003, lorsque les troupes américaines sont arrivées à Bagdad en moins d’un mois.
Au contraire, une guerre totale entre les États-Unis et l’Iran aurait selon eux des ramifications « affreuses » et pourrait déclencher des combats meurtriers à travers le Moyen-Orient.
« En un mot, ce serait catastrophique », a déclaré à MEE Imad Harb, directeur de la recherche et de l’analyse à l’Arab Center Washington DC.
« Les pays du Golfe – l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – devraient faire très attention à ce qu’ils souhaitent »
- Imad Harb, Arab Center Washington DC
La semaine dernière, le président américain Donald Trump a réimposé une série de sanctions strictes à l’encontre de Téhéran et n’a pas exclu un affrontement militaire direct entre les deux pays après que des responsables américains ont averti de la possibilité d’attaques iraniennes contre les forces américaines et les navires de commerce.
Pour sa part, l’Iran a annoncé son intention de se retirer d’une partie de l’accord sur le nucléaire de 2015 que Washington a abandonné l’année dernière et a appelé les dirigeants européens à le protéger des sanctions imposées par les États-Unis.
Cette dernière vague de tensions a amené les observateurs à se demander si certains responsables américains, en particulier les faucons interventionnistes de l’administration Trump, pourraient manœuvrer en vue d’une guerre totale contre l’Iran.
Si cela venait à se produire, Imad Harb a dépeint un scénario de fin du monde dans lequel l’Iran non seulement riposterait contre les troupes américaines dans la région, mais viserait également les pays arabes du Golfe accueillant ces forces américaines.
Téhéran et ses alliés au Yémen pourraient également bloquer ou au moins bouleverser le fonctionnement des détroits d’Hormuz et de Bab el-Mandeb, les voies de passage dans le Golfe et la mer Rouge, paralysant le commerce international.
« L’Iran ne va pas sombrer sans nuire aux autres », a déclaré l’analyste.
« Nous parlons d’un golfe d’une largeur comprise entre 35 et 70 miles, et sur la côte ouest… il y a des installations saoudiennes et émiraties. Et l’Iran ne les épargnera pas si les choses se détériorent vraiment. »
De fait, ces pays qui ont poussé les États-Unis à adopter une approche plus conflictuelle face à l’Iran – l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – pourraient en payer le prix si des violences éclataient.
« Les pays du Golfe – l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – devraient faire très attention à ce qu’ils souhaitent… car si l’Iran doit être vaincu, il va les frapper très fort », a déclaré Imad Harb à MEE.
« Les Iraniens vont réagir »
Au-delà de la région du Golfe, l’Iran a des intermédiaires et des alliés en Irak, en Syrie, au Liban et dans les territoires palestiniens.
Téhéran pourrait réagir à une attaque américaine en persuadant le Hezbollah, son allié au Liban, de tirer des roquettes sur Israël, indique Barbara Slavin, directrice du programme Future of Iran Initiative au sein de l’Atlantic Council.
Cela provoquerait une « confrontation massive » dans laquelle Trump viendrait au secours d’Israël.
« Des milliers de personnes pourraient mourir. Cela pourrait être simplement affreux », confie-t-elle à MEE. « Ce serait le pire des scénarios, qu’il s’étende et affecte toutes sortes de populations civiles dans un certain nombre de pays. »
En dépit des conséquences fatales et désastreuses d’une guerre potentielle, Barbara Slavin affirme que le conflit est susceptible de s’aggraver.
Le secrétaire américain à la Défense par intérim, Pat Shanahan, s’est récemment engagé à tenir Téhéran pour responsable de « toute attaque » contre les forces et les intérêts américains dans la région.
Dans ce contexte, une agression des troupes américaines par une milice alliée à l’Iran pourrait déclencher une spirale d’escalade, prévient Barbara Slavin.
« Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour envisager une guerre absolument horrible qui impliquerait les intermédiaires de l’Iran et les alliés des Américains, ainsi que les troupes américaines dans toute la région », ajoute-t-elle.
Avec des bases militaires américaines et des forces soutenues par l’Iran dispersées dans la région, souvent à proximité, toute confrontation locale pourrait dégénérer en conflit transnational.
Kassem Kassir, journaliste libanais et auteur du livre, Hezbollah between 1982 and 2016, écarte la possibilité d’une guerre, mais avertit que si des violences éclataient, elles ne se limiteraient pas à un seul champ de bataille.
Si les États-Unis frappent directement l’Iran, tous les paris sont ouverts, confie Kassir à MEE dans un courrier électronique.
« Les Iraniens réagiront. Tous les champs de confrontation seront ouverts », affirme-t-il.
Perspectives d’escalade
Ces nouvelles tensions surviennent un an après le retrait de Washington de l’accord multilatéral sur le nucléaire iranien, qui avait vu Téhéran réduire son programme nucléaire en échange d’une levée des sanctions internationales.
Trump a adopté une ligne dure vis-à-vis de l’Iran dès le début de sa carrière politique, mais il a également exprimé son opposition aux guerres étrangères, promettant de placer les intérêts de l’Amérique au premier plan.
« Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour envisager une guerre absolument horrible qui impliquerait les intermédiaires de l’Iran et les alliés des Américains »
- Barbara Slavin, Atlantic Council
Néanmoins, le président américain s’est également entouré de conseillers bellicistes – et ce n’est un secret pour personne que certains de ses principaux collaborateurs, y compris John Bolton et Rudy Giuliani (l’avocat personnel de Trump), veulent renverser le gouvernement iranien.
« Je ne sais pas quand nous allons les renverser. Cela pourrait être dans quelques jours, quelques mois, dans quelques années, mais cela va arriver », affirmait Giuliani lors d’un rassemblement de l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (MeK), un groupe d’opposition iranien qui, jusqu’en 2012, figurait encore sur la liste américaine des groupes terroristes.
« Ils vont être renversés, le peuple iranien en a manifestement assez », avait déclaré Giuliani.
Pour le moment, l’administration Trump explique que sa stratégie principale consiste à exercer une « pression maximale » sur l’Iran pour qu’il se comporte comme un « État normal ».
L’année dernière, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a publié une liste de douze exigences qui neutraliseraient efficacement l’influence iranienne au Moyen-Orient afin que les États-Unis puissent lever leurs sanctions.
Parmi les exigences, Téhéran devrait mettre fin à son programme nucléaire ; cesser de soutenir les organisations militantes dans la région, y compris le Hezbollah, le Hamas et les groupes paramilitaires irakiens ; et retirer ses forces de Syrie.
Suzanne Maloney, directrice adjointe du programme de politique étrangère de la Brookings Institution, déclare que l’objectif ultime de l’administration est de changer radicalement le comportement de Téhéran ou de modifier la « nature des dirigeants iraniens ».
« La plus grande menace est celle de l’escalade involontaire », selon elle.
« Je ne pense pas que l’une ou l’autre des parties veuille précipiter un conflit militaire bilatéral à grande échelle. Mais il est clair qu’il existe des outils à la disposition des deux pays qui peuvent être déployés de manière à déclencher une crise pire que la situation actuelle. »
Suzanne Maloney a toutefois précisé à MEE qu’elle était confiante quant au fait que les tensions resteront contenues, comme lors des crises précédentes, même au plus fort de la guerre entre l’Iran et l’Irak, lorsque Washington et Téhéran avaient eu des escarmouches navales dans le Golfe.
« Nous pouvons compter sur un certain degré de préférence mutuelle pour éviter une escalade », estime-t-elle.
Alex Vatanka, chercheur principal du Middle East Institute, a fait échos aux propos de Maloney selon lesquels aucune des deux parties ne veut la guerre.
« Voici ce que nous savons. L’Iran ne veut pas entrer en guerre. Les États-Unis – certainement Trump – ne veulent pas entrer en guerre. C’est à peu près ce sur quoi nous pouvons compter », a-t-il déclaré à MEE.
Pas de « planification minutieuse »
Jeudi dernier, Donald Trump a demandé à l’Iran de l’appeler et de négocier un « accord équitable ».
En dépit du ton plus conciliant du président américain, écarter un affrontement militaire entre les États-Unis et l’Iran serait « exagéré », nuance Alex Vatanka, soulignant que l’avertissement de Washington selon lequel l’Iran serait tenu pour responsable de toute attaque contre les troupes ou les intérêts américains dans la région est large.
« Quelqu’un en Irak peut faire quelque chose contre les forces américaines et les États-Unis peuvent décider que ce quelqu’un est lié à l’Iran et chercher à punir l’Iran. Voilà comment cela pourrait dégénérer », explique-t-il.
Et tandis que certains membres de l’administration Trump préconisent un changement de régime à Téhéran, Alex Vatanka pense que cela est peu probable : renverser le gouvernement iranien nécessiterait une planification stratégique, y compris une coopération avec des partenaires locaux prêts à se soulever ensemble.
« Je ne vois pas ce genre de planification minutieuse de la part de l’administration Trump. Ce à quoi vous pouvez vous attendre, ce sont des sanctions – des frappes aériennes contre des cibles clés en Iran – comme un moyen de montrer aux Iraniens que les États-Unis ne plaisantent pas. Mais c’est à peu près tout », estime Alex Vatanka.
« Je ne m’attends pas à des troupes sur le terrain ou à quoi que ce soit d’autre de similaire à ce qui a été fait en Irak en 2003. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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