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France-Algérie : polémique pour un hymne

Alors qu’en Algérie, un nouveau décret modifie les circonstances et les conditions dans lesquelles l’hymne national doit être interprété, résonne dans l’air un refrain bien connu : celui d’une impossible relation bilatérale apaisée entre Paris et Alger
Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune écoutent les hymnes nationaux de leurs pays, à l’aéroport d’Alger le 27 août 2022 (AFP/Ludovic Marin)
Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune écoutent les hymnes nationaux de leurs pays, à l’aéroport d’Alger le 27 août 2022 (AFP/Ludovic Marin)
Par Malek Bachir à ALGER, Algérie

S’il fallait une illustration de la façon dont les sujets incendiaires entre la France et l’Algérie s’entretiennent tout seuls, et sur lesquels médias et politiques (des deux côtés) savent souffler pour s’assurer qu’ils ne s’éteignent jamais, l’actualité en donne une très parlante.

Prenez un décret présidentiel, publié au Journal officiel du 24 mai, révisant les conditions dans lesquelles est interprété l’hymne national algérien, appelé Qasaman. Au milieu du jargon fleuri d’articles, alinéas, modifications et compléments, extirpez-en une intention qui vous arrange et jetez-la en pâture aux réseaux sociaux. Et vous obtiendrez une belle polémique sur laquelle personne – Algériens comme Français – ne peut être d’accord.

L’hymne algérien, dont les paroles ont été écrites par le poète nationaliste Moufdi Zakaria et la musique composée par l’Égyptien Mohamed Fawzi, comprend dans sa version intégrale cinq couplets.

Si la Constitution évoque son caractère « immuable » dans l’intégralité de ses couplets, les décrets successifs depuis celui du 11 mars 1986 évoquent deux cas de figure : celui où Qasaman est joué de manière « intégrale » et celui où il est joué de manière « partielle » ou « réduite », comprendre : seulement le premier couplet.

L’objet de la polémique se trouve au troisième couplet : la France en tant que puissance coloniale y est visée : « Ô France ! Le temps des palabres est révolu. Nous l’avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! Voici notre réponse. Le verdict, notre révolution le rendra. Car nous avons décidé que l’Algérie vivra. Soyez-en témoin ! ».

Comme le précise l’ex-ministre algérien de la Communication Abdelaziz Rahabi, dans une déclaration au site d’informations TSA, les hymnes nationaux sont « depuis le XVIIIe siècle un symbole chez les nations, et la représentation de l’histoire des pays à un moment donné, et à ce titre, beaucoup d’hymnes nationaux font référence à l’ennemi d’hier ».

Scénario catastrophe

Mais dans les médias français, la lecture des changements du décret est évidente : l’Algérie a rétabli un couplet hostile à la France.

« ‘’Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes’’. Ce passage de l’hymne national algérien tombé en désuétude pourrait bien désormais être chanté lors d’une visite officielle du président de la République française », prédit ainsi Valeurs Actuelles.

Et les politiques français de droite et d’extrême droite de renchérir sur l’autre sujet brûlant du moment : les appels dans la classe politique française à la révision de l’accord de 1968, qui, sur le papier, accorde des avantages aux Algériens qui souhaitent s’installer en France.

« Le décret récent […] prévoit donc que l’hymne complet sera joué désormais dans les ‘’cérémonies officielles en présence du président de la République, mais également lors des visites des chefs d’État’’, ce qui entraînerait par exemple son exécution intégrale au cours d’une visite du président Macron », explique par ailleurs l’ex-ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt dans Le Figaro.

« On aurait pu imaginer ainsi, lorsque le président de la République s’était rendu à Alger à la fin du mois d’août dernier, une Marseillaise suivie d’un Qasaman ciblant le pays dont Alger accueillait le représentant officiel ! »

Un scénario catastrophe séduisant mais impossible puisque, dans l’ancien décret comme dans le nouveau, les « visites officielles des chefs d’État et des personnalités de même rang, hôtes de l’Algérie », voient l’hymne algérien exécuté « dans sa partition réduite » (article 4).

Le seul changement concerne l’interprétation de Qasaman lors des commémorations officielles en présence du président de la République algérienne.

Alors que dans le décret de 1986, il était joué dans sa version réduite, comme pour les cérémonies, dans le nouveau décret, il est joué dans sa version longue, comprenant les cinq couplets dont celui sur la France.

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La différence entre les commémorations et les cérémonies : les premières sont plus solennelles (fêtes nationales comme le déclenchement de la guerre d’indépendance le 1er novembre 1954 ou l’anniversaire de l’indépendance chaque 5 juillet) et plus symboliques de la lutte de libération que les cérémonies (inauguration, remises de trophées, etc.).

Problème : alors que la France officielle ne s’était pas encore exprimée sur le sujet – comme d’ailleurs sur une possible renégociation de l’accord de 1968 –, la cheffe de la diplomatie Catherine Colonna, sur le plateau de LCI, a estimé que cette « décision d’étendre l’usage d’un hymne qui date d’une autre époque et ceci au moment même où le président [Macron] et le président Tebboune ont décidé à la fin de l’été de donner un nouvel élan à nos relations » pouvait « apparaître à contretemps ».

Dans le contexte très nationaliste algérien, mais aussi alors que la relation bilatérale entre Paris et Alger est au point mort et que la visite d’État d’Abdelmadjid Tebboune en France n’est plus d’actualité avant au moins l’automne, ces propos ont provoqué des réactions en chaîne de l’autre côté de la Méditerranée.

Des déclarations « provocatrices »

Abdelaziz Rahabi a jugé la sortie de la ministre française « aussi inopportune qu’inacceptable » car elle « nourrit le débat en France sur l’émigration algérienne et sur les positions diplomatiques algériennes sur l’Ukraine et les BRICS ».

« Il est tout à fait choquant d’entendre [Catherine Colonna] souhaiter avoir les meilleures relations avec l’Algérie et s’interroger en même temps sur la décision souveraine de l’Algérie ‘’d’étendre l’usage’’ de son hymne national dans les circonstances et les conditions choisies par le gouvernement algérien », a-t-il ajouté.

Abdel-Wahab Yacoubi, membre de la commission des Affaires étrangères du Parlement algérien et représentant de la communauté algérienne en France, a déclaré au quotidien Al-Araby al-jadeed que « l’hymne national est un symbole historique de la nation algérienne et une question de souveraineté pour l’Algérie. Et aucune partie n’a le droit de se prononcer sur les questions souveraines de l’Algérie ».

Le député a souligné que « la partie française [devait] respecter la décision algérienne, il y a un passé douloureux entre les deux pays et l’hymne en exprime une partie, et cette douleur persiste jusqu’à maintenant ». 

Dans un long communiqué, le mouvement islamiste Harkat al-Binaa al-Watani (Mouvement de la construction nationale) a qualifié les déclarations de la cheffe de la diplomatie française de « provocatrices ».

« Nous considérons [ces déclarations] comme un contournement de la volonté de dépasser les contentieux présents [entre Alger et Paris] », poursuit le communiqué, dénonçant « l’arrogance des parties françaises hostiles à l’Algérie indépendante » et citant « les campagnes hostiles de certaines élites extrémistes qui multiplient mensonges et attaques contre l’Algérie ».

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