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Guerre Israël-Palestine : quelles seront les conséquences de l’inondation à l’eau de mer des tunnels de Gaza ?

Le déversement d’eau de mer dans les réseaux de tunnels nuira à l’approvisionnement en eau et à l’agriculture, ce qui pourrait constituer une violation du droit international, déclarent des experts à MEE
Des soldats israéliens dans le nord de la bande de Gaza, le 22 novembre 2023 (AFP)
Par Rayhan Uddin à LONDRES

Bien avant les bombardements incessants d’Israël sur Gaza, l’accès à l’eau potable dans l’enclave sous blocus était déjà limité pour les Palestiniens. La situation risque de s’aggraver davantage.

L’armée israélienne a déclaré mercredi 31 janvier avoir commencé à inonder les tunnels de la bande de Gaza avec de l’eau de mer, confirmant ainsi ce qui était un secret de polichinelle depuis plusieurs semaines.

L’armée a indiqué dans un communiqué avoir « déployé de nouvelles capacités pour neutraliser l’infrastructure terroriste souterraine dans la bande de Gaza en déversant de grandes quantités d’eau dans les tunnels ».

Or selon des chercheurs spécialisés sur les questions de l’eau, de la diplomatie et des conflits interrogés par Middle East Eye, les inondations auront des effets écologiques néfastes, notamment la pollution de l’approvisionnement en eau de Gaza, déjà dévasté, et la destruction de ses cultures agricoles.

D’après l’un des experts, les dégâts causés pourraient en outre être assimilés à une violation du droit humanitaire international.

Israël n’a pas officiellement donné de précisions sur le plan d’inondation, considérant les informations comme confidentielles. La durée et l’intensité de cette mesure restent donc inconnues.

« Il ne s’agit pas seulement d’une eau à forte teneur en sel : l’eau de mer le long de la côte méditerranéenne est également polluée par des eaux usées non traitées »

– Juliane Schillinger, chercheuse

« Si l’étendue et l’ampleur globales des conséquences ne sont pas claires, nous pouvons raisonnablement nous attendre à ce qu’au moins une partie de l’eau de mer s’infiltre dans le sol au niveau des tunnels, en particulier dans les zones où les tunnels ont été endommagés précédemment », explique à MEE Juliane Schillinger, chercheuse à l’Université de Twente aux Pays-Bas.

La spécialiste de l’interaction entre les conflits et la gestion de l’eau estime que les infiltrations d’eau de mer entraîneront une pollution localisée du sol et des eaux souterraines.

« Il est important de garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas seulement d’une eau à forte teneur en sel : l’eau de mer le long de la côte méditerranéenne est également polluée par des eaux usées non traitées, qui sont continuellement déversées dans la Méditerranée par le système d’égouts défectueux de Gaza », précise-t-elle.

Dommages à l’agriculture

L’aquifère côtier de Gaza, seule source d’eau de l’enclave assiégée, est déjà pollué par le pompage excessif et le déversement des eaux usées.

L’eau est fournie de manière intermittente aux Palestiniens du territoire grâce à des pompes contrôlées par Israël. Au déclenchement du conflit en cours, début octobre, Israël a complètement arrêté les pompes pendant plusieurs jours.

Près de 96 % de l’eau à usage domestique à Gaza est contaminée et impropre à la consommation humaine. Dès lors, la plupart des Palestiniens de la bande de Gaza dépendent de camions-citernes privés non réglementés et d’usines de dessalement non agréées.

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Selon une étude réalisée en 2021, l’eau provenant de ces usines est encore souvent contaminée. La guerre d’Israël à Gaza a contraint au moins trois importantes usines de dessalement à cesser leurs activités.

« La très mauvaise qualité de l’eau à Gaza est le résultat d’une situation dans laquelle les Palestiniens ne disposent d’aucun espace significatif pour déterminer leur propre gestion de l’eau », explique à MEE Michael Mason, professeur de géographie de l’environnement à la London School of Economics.

Ce dernier attribue ce manque de gouvernance aux « effets persistants et handicapants du blocus israélien, du sous-développement économique et des conflits armés récurrents ».

Il estime que toute perspective de reconstruction des infrastructures hydrauliques après la guerre repose sur l’accès à l’aquifère, qui sera encore plus salinisé et pollué à la suite des plans d’inondation.

« La guerre a, déjà, aggravé la dégradation de l’aquifère, à la suite des dommages causés aux infrastructures d’assainissement des eaux usées et des fuites de métaux lourds dues à l’utilisation indiscriminée de munitions », précise Michael Mason.

Juliane Schillinger fait remarquer que si le Hamas stocke des matériaux toxiques dans les tunnels, la pollution pourrait être exacerbée par l’écoulement de ces substances dans le sol et les eaux souterraines.

« Les eaux souterraines, chargées de sel, limiteront considérablement les possibilités de culture »

- Michael Mason, professeur à la London School of Economics

L’inondation par l’eau de mer causera également des dommages à long terme à l’agriculture de Gaza, qui est déjà depuis longtemps affectée par les actions israéliennes.

« L’exploitation agricole des terres a été gravement affectée par les attaques militaires, l’occupation et le déplacement de la population », explique Michael Mason.

« En supposant que le secteur agricole puisse, d’une manière ou d’une autre, être relancé à l’avenir, les eaux souterraines chargées de sel limiteront considérablement les possibilités de culture. »

Au-delà de l’impact sur l’environnement, le plan d’inondation a également suscité des inquiétudes quant à la sécurité des otages israéliens, capturés lors des attaques du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre, et qui pourraient être détenus dans des tunnels.

Fin novembre, certains otages libérés par le Hamas ont témoigné avoir été détenus dans des tunnels souterrains ou dans des repaires.

Violation du droit international

Ce n’est pas la première fois que les tunnels sont inondés de manière à affaiblir le Hamas : en 2013, l’Égypte a inondé les réseaux de tunnels avec des eaux usées et, deux ans plus tard, avec de l’eau de mer.

Le Caire avait procédé à ces inondations dans le but d’empêcher la contrebande présumée d’armes, de ressources et de combattants entre le sud de la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï.

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Les inondations d’eau de mer d’il y a huit ans avaient entraîné l’inondation d’habitations civiles et de commerces à Gaza. L’approvisionnement en eau ainsi que les terres agricoles avaient également été affectés.

Israël soutiendra probablement que l’inondation des tunnels est une mesure « proportionnelle » en tant qu’objectif militaire en vertu du droit international, dans la mesure où les réseaux sont utilisés par les combattants palestiniens.

Le professeur de géographie de l’environnement souligne toutefois que les actions qui causent des dommages à long terme sur l’environnement sont illégales.

« L’inondation prolongée et étendue du réseau de tunnels violerait les normes du droit international humanitaire coutumier qui interdisent les moyens de guerre destinés à causer, ou dont on peut attendre qu’ils causent, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel », explique-t-il.

« Une telle violation du droit international humanitaire est d’autant plus probable que l’aquifère est essentiel pour les besoins en eau de la population civile et se trouve déjà au bord d’une détérioration à long terme. »

Middle East Eye a contacté l’armée israélienne au sujet des conséquences de l’inondation des tunnels, mais sans réponse au moment de la publication.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza et actualisé.

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