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La population de Gaza « lentement empoisonnée » par une eau impropre à la consommation humaine

Un quart des maladies qui se propagent à Gaza sont causées par la pollution de l’eau, selon des données récentes ; les habitants et les agriculteurs évitent l’eau du robinet ou des puits pour ne pas compromettre leur santé
Des enfants palestiniens boivent de l’eau d’un réservoir public dans le camp de réfugiés d’al-Nuseirat à Gaza, le 15 mars 2019 (MEE/Mohammed al-Hajjar)
Des enfants palestiniens boivent de l’eau d’un réservoir public dans le camp de réfugiés d’al-Nuseirat à Gaza, le 15 mars 2019 (MEE/Mohammed al-Hajjar)
Par Maha Hussaini à GAZA, Palestine occupée

Pendant des années, Iyad Shallouf, un agriculteur qui possède des terres près du bord de mer gazaoui, remplissait des réservoirs d’eau douce pour les habitants de son quartier. Aujourd’hui, il a à peine les moyens d’acheter sa propre eau pour irriguer ses cultures. 

Avec l’intensification du problème de l’eau à Gaza, les agriculteurs, en particulier dans les zones occidentales du territoire sous blocus, sont les plus touchés par la crise de la pollution de l’eau en raison de la proximité de leurs terres avec l’eau de mer contaminée.

Au lieu d’utiliser des puits pour les irriguer, ils doivent acheter de l’eau plusieurs fois par mois afin d’éviter d’endommager leurs cultures.

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« Ici, dans le secteur [côtier] d’al-Mawassi, nous endurons une souffrance que seul Dieu connaît. Nos cultures sont endommagées par l’eau salée contaminée, si bien que nous évitons désormais d’utiliser les méthodes d’irrigation habituelles et que nous achetons à la place de l’eau pour irriguer les cultures », explique à Middle East Eye Iyad Shallouf (45 ans), originaire de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

« J’ai déjà un puits qui m’aurait fait économiser beaucoup d’argent s’il avait pu servir pour l’irrigation, mais la concentration de chlore et les niveaux de salinité élevés l’ont rendu inutile. Nous ne pouvons même pas l’utiliser pour nous laver car l’eau endommagerait notre peau. »

Iyad Shallouf explique qu’il a déjà essayé de faire pousser plusieurs types de cultures, mais qu’il finissait toujours par subir d’énormes pertes en raison des dommages causés par la mauvaise qualité de l’eau.

Une détérioration de la qualité de l’eau  

Le blocus israélien prolongé a entraîné une « grave détérioration » de la qualité de l’eau à Gaza : selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, établi à Genève, 97 % de l’eau est contaminée.

La situation est aggravée par une crise aiguë de l’électricité qui entrave le fonctionnement des puits d’eau et des stations d’épuration, ce qui fait qu’environ 80 % des eaux usées non traitées de Gaza sont déversées dans la mer, tandis que 20 % s’infiltrent dans les nappes phréatiques, indique l’ONG.

Cette dernière précise que selon des données récentes, environ un quart des maladies qui se propagent à Gaza sont causées par la pollution de l’eau et 12 % des décès de jeunes enfants et de nourrissons sont liés à des maladies intestinales provoquées par une eau contaminée.

« Des civils enfermés dans un bidonville toxique de la naissance à la mort sont forcés d’assister à l’empoisonnement lent de leurs enfants et de leurs proches par l’eau qu’ils boivent et par le sol dans lequel ils cultivent, indéfiniment, sans aucun changement en vue », a déclaré Muhammed Shehada, responsable des programmes et des communications de l’ONG, lors de la 48e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) début octobre.

En raison de la pollution de l’eau, les agriculteurs et les propriétaires de terres dans la plupart des secteurs de l’enclave côtière doivent payer environ deux shekels israéliens (environ 0,50 euro) pour un réservoir de 1 000 litres afin d’irriguer leurs cultures.

« Nous utilisons d’énormes quantités d’eau pour les cultures, un réservoir de 1 000 litres ne représente rien. Si nous devons payer deux shekels par réservoir, le tout n’en vaut pas la peine », déplore Iyad Shallouf.

Iyad Shallouf paie environ 100 shekels (environ 30 euros) par jour pour remplir le bassin artificiel de 80 mètres cubes sur ses terres, utilisé pour l’irrigation (Mohammed al-Hajjar/MEE)
Iyad Shallouf paie environ 100 shekels (environ 30 euros) par jour pour remplir le bassin artificiel de 80 mètres cubes sur ses terres, utilisé pour l’irrigation (MEE/Mohammed al-Hajjar​​​​​​)

Iyad Shallouf dépense près d’un millier d’euros par mois pour acheter de l’eau et remplir des bassins artificiels sur ses terres afin d’irriguer ses cultures. De temps à autre, les coûts élevés de l’eau et des engrais, associés aux pénuries de carburant et d’électricité servant à pomper l’eau, entraînent de lourdes pertes pour les agriculteurs.

« Aujourd’hui, nos décisions en tant qu’agriculteurs quant aux types de cultures que nous plantons sont entièrement liées à l’accessibilité de l’eau. Par exemple, vous ne verrez probablement pas d’agriculteurs cultiver des concombres ou des fraises par ici, car ces cultures nécessitent de grandes quantités d’eau douce. Nous nous tournons donc plutôt vers des poivrons verts et d’autres cultures qui ne demandent pas beaucoup d’eau. »

Dans le secteur où se trouve l’exploitation d’Iyad Shallouf, de vastes étendues de terres agricoles ont été transformées en zones résidentielles en raison de la pénurie d’eau.

« De nombreux agriculteurs ont estimé que cela ne valait pas la peine de persévérer avec des cultures qui finiraient par être endommagées par une eau contaminée ou la pénurie d’eau douce ; ils ont donc tout simplement vendu leurs terres ou construit des maisons résidentielles et des appartements à la place. »

« Impropre à la consommation humaine »

La crise de l’eau n’a cessé de s’aggraver depuis le début du blocus israélien, avant de culminer en 2020.

Cette année-là, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a estimé que seulement 10 % des habitants de l’enclave sous blocus avaient un accès direct à une eau potable et sûre, tandis que plus d’un million d’habitants – environ la moitié de la population – avaient besoin d’interventions en matière d’eau et d’assainissement.

Le niveau de salinité élevé de l’eau dans plusieurs secteurs de la bande de Gaza oblige des centaines de milliers de ménages à acheter de l’eau pour boire et se laver.

Un Palestinien vérifie le robinet d’eau de sa maison dans le camp de réfugiés d’al-Nuseirat à Gaza, où l’eau est constamment coupée, le 5 mars 2019 (MEE/Mohammed al-Hajjar)
Un Palestinien vérifie le robinet d’eau de sa maison dans le camp de réfugiés d’al-Nuseirat à Gaza, où l’eau est constamment coupée, le 5 mars 2019 (MEE/Mohammed al-Hajjar)

Alors que l’eau de mer présente une salinité d’environ 30 000 parties par million (ppm), l’eau domestique atteint jusqu’à un tiers de ce chiffre dans certains secteurs de Gaza.

Cela équivaut à 10 grammes de sel par litre d’eau, un niveau considéré comme très élevé, selon Ahmed Safi, un expert palestinien en sciences de l’eau et de l’environnement.

« Une grande partie de l’eau à Gaza, y compris l’eau potable, est contaminée par des nitrates, en plus du sel et des niveaux élevés de chlore, ce qui provoque de multiples maladies chez les habitants. Dans certains secteurs, on ne peut même pas utiliser l’eau pour se laver », ajoute-t-il.

« La principale raison de la crise de l’eau à Gaza est la surutilisation des nappes phréatiques causée par l’augmentation de la population, celle-ci étant due à de nombreux facteurs, à commencer par l’afflux de centaines de milliers de réfugiés pendant la Nakba [l’exode de Palestiniens lors de la création d’Israël] en 1948. »

Plus de 2,1 millions de personnes vivent dans l’enclave côtière sous blocus, qui couvre une superficie totale de 360 kilomètres carrés, ce qui en fait l’une des zones les plus densément peuplées au monde.

Environ 70 % de la population se compose de réfugiés qui ont été contraints de quitter leurs villes et villages d’origine dans d’autres parties des territoires palestiniens occupés lors de la création d’Israël.

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« Le traitement des eaux usées est un autre problème compliqué. Pendant des années, les systèmes d’égouts dépendaient de fosses creusées dans le sol qui recueillaient les eaux usées, lesquelles finissaient par s’infiltrer dans les nappes phréatiques et les contaminaient avec des nitrates. Ce système est encore utilisé aujourd’hui dans certains secteurs », poursuit Ahmed Safi.

En conséquence, le nombre de patients souffrant d’insuffisance rénale augmente de 13 à 14 % chaque année dans la bande de Gaza, selon Abdullah al-Qishawi, chef du service de dialyse de l’hôpital al-Shifa de Gaza.

« Nous avons actuellement un millier de patients qui viennent au service de dialyse trois fois par semaine. Parmi ces cas, au moins 20 % sont dus à la contamination de l’eau », explique-t-il à MEE.

« Ici, dans le service de dialyse, on remarque que la plupart des patients viennent des secteurs frontaliers, où la crise de l’eau reste à son paroxysme. »

D’après Abdullah al-Qishawi, malgré l’absence d’études spécialisées à Gaza sur la relation entre le nombre croissant de cas d’insuffisance rénale et la contamination de l’eau dans la bande côtière, les médecins sont en mesure de supposer que l’eau contaminée est à l’origine de problèmes rénaux.

« L’insuffisance rénale est généralement causée par d’autres problèmes comme du diabète, une hypertension artérielle ou des calculs rénaux. Cependant, un grand nombre de Gazaouis chez qui une insuffisance rénale a été diagnostiquée ne souffrent d’aucune de ces maladies, ce qui indique qu’elle est causée par une eau impropre à la consommation humaine », explique-t-il.

Des coupures de courant

L’approvisionnement en électricité de Gaza reste fortement tributaire de la situation politique. Lors des tensions entre Israël et les groupes armés palestiniens, les autorités israéliennes suspendent généralement les livraisons de carburant et ferment le poste-frontière de Kerem Shalom, à la jonction entre Gaza et Israël, ce qui force l’arrêt de l’unique centrale électrique du territoire.

Dans le meilleur des cas, les habitants de la bande de Gaza reçoivent de l’électricité selon une rotation de huit heures – huit heures d’électricité, suivies de huit heures de coupure.

Pendant ces longues heures de coupure du courant, le fonctionnement des infrastructures du territoire est gravement affecté et les générateurs qui pompent l’eau potable des puits pour la distribuer dans les habitations cessent de fonctionner, ce qui prive une grande partie de la population locale d’un accès aux ressources en eau.

Un jeune Palestinien pousse un chariot contenant des bouteilles d’eau jusqu’au domicile familial dans le camp de réfugiés d’al-Nuseirat, le 15 mars 2019 (MEE/Mohammed al-Hajjar).
Un jeune Palestinien pousse un chariot contenant des bouteilles d’eau jusqu’au domicile familial dans le camp de réfugiés d’al-Nuseirat, le 15 mars 2019 (MEE/Mohammed al-Hajjar)

« Notre emploi du temps quotidien dépend de notre accès à l’électricité et à l’eau. Si nous avons de l’électricité, cela signifie que nous avons de l’eau pour nous laver, cuisiner, faire la vaisselle et le ménage, boire. S’il n’y a pas d’électricité pendant plusieurs heures, notre vie s’arrête tout simplement », confie à MEE Areej Muhammed, une mère de famille de 29 ans originaire de l’ouest de Gaza.

« Quand l’électricité et l’eau sont coupées, nous restons là à attendre qu’elles reviennent. Nous replanifions toutes nos tâches et notre routine quotidienne en fonction des heures d’accès à l’eau et à l’électricité », ajoute-t-elle.

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Selon un rapport d’évaluation sur le terrain des conditions sanitaires dans les territoires palestiniens occupés publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2016, plus d’un quart des maladies dans la bande de Gaza sont liées à la pollution de l’eau, qui constitue également une cause principale de morbidité infantile. 

En 2017, l’Union européenne et l’UNICEF ont financé une usine de dessalement d’eau de mer à Gaza pour un montant de 10 millions d’euros dans le but d’améliorer l’accès à l’eau potable pour des milliers d’habitants. Cependant, la poursuite de la crise de l’électricité empêche l’usine de fonctionner à plein régime.

En raison de la pénurie de carburant, les usines de traitement des eaux usées fonctionnent à une capacité réduite, ce qui oblige l’administration des eaux à déverser dans la mer des eaux usées contaminées et partiellement traitées.

Des infrastructures dévastées

Lors des attaques successives de l’armée israélienne contre la bande de Gaza depuis 2008, les forces israéliennes ont ciblé à de multiples reprises les infrastructures d’eau, d’assainissement et d’hygiène, notamment les zones abritant des puits et des canalisations d’eau, des installations d’assainissement ainsi que les bâtiments municipaux gérant les services d’assainissement et d’évacuation des eaux usées.

La dernière offensive israélienne en date contre la bande de Gaza a eu lieu durant onze jours en mai, ciblant directement des infrastructures civiles vitales, ce qui a causé des dommages à long terme.

D’après une évaluation rapide des dommages et des besoins menée par la Banque mondiale à la suite de l’offensive, la bande de Gaza a subi des dommages physiques d’un montant de 380 millions de dollars et des pertes économiques estimées à 190 millions de dollars, ce qui affecte directement le droit des habitants à accéder à une eau potable.

Un enfant passe à vélo devant une usine de dessalement gérée par l’autorité locale des eaux, dans le camp de réfugiés d’al-Nuseirat, le 15 mars 2019 (MEE/Mohammed al-Hajjar).
Un enfant passe à vélo devant une usine de dessalement gérée par l’autorité locale des eaux, dans le camp de réfugiés d’al-Nuseirat, le 15 mars 2019 (MEE/Mohammed al-Hajjar).

Avant l’offensive de mai, la consommation quotidienne moyenne d’eau par habitant à Gaza était d’environ 88 litres, un chiffre situé dans la fourchette de 50 à 100 litres par personne et par jour recommandée par l’OMS pour satisfaire les besoins les plus élémentaires et limiter le nombre de problèmes de santé.

Dans la foulée de l’offensive, Oxfam a rapporté que 400 000 personnes à Gaza étaient privées d’accès à l’eau en raison d’une destruction massive des infrastructures.

Aujourd’hui, des centaines de milliers de Gazaouis doivent acheter de l’eau à des usines de dessalement privées.

« Il y a environ deux ans, mon plus jeune fils a souffert d’une grave diarrhée et de douleurs abdominales, et il s’est avéré que la consommation d’eau du robinet domestique en était la cause. À partir de ce moment, j’ai commencé à acheter de l’eau à des camions », raconte à MEE Abu Sameh Omar (40 ans), qui vit dans le centre-ville de Gaza.

« Nous avons généralement les moyens [d’acheter] le minimum nécessaire d’eau potable chaque mois. Elle est plus chère que l’eau que nous recevons à la maison, mais celle-ci n’est pas potable. Et je ne peux pas laisser mes enfants boire cette eau et tomber malades. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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