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Iran : les défis sécuritaires de la nouvelle présidence

L’élection de l’ultra-conservateur Ebrahim Raïssi à la tête de la République islamique d’Iran a attiré l’attention sur la politique étrangère de la nouvelle administration. Mais des défis se posent aussi en matière de sécurité intérieure
Le président iranien Ebrahim Raïssi photographié lors de sa première conférence de presse à Téhéran, le 21 juin 2021 (AFP/Atta Kenare)
Le président iranien Ebrahim Raïssi photographié lors de sa première conférence de presse à Téhéran, le 21 juin 2021 (AFP/Atta Kenare)

Durant son mandat, le président sortant Hassan Rohani aura été confronté à des attaques meurtrières qui auront marqué la population iranienne. Il y a quatre ans : le 7 juin 2017, l’État islamique (EI) frappait Téhéran lors d’une double attaque contre le Parlement et le mausolée de l’ayatollah Khomeini, entraînant la mort de dix-sept personnes.

Le 21 juillet 2018, c’est à Marivan, dans le nord-ouest, qu’une attaque menée par le PJAK, la branche iranienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc, coûtait la vie à onze Pasdaran (Gardiens de la révolution islamique).

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Le 22 septembre 2018, 24 personnes étaient tuées dans une attaque réalisée lors d’un défilé militaire à Ahvaz et revendiquée conjointement par l’EI et un mouvement séparatiste arabe, le Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahwaz, avec toutefois des démentis de membres du groupe quant à la revendication.

 Le 6 décembre 2018, c’est dans la ville de Chabahar, à nouveau dans le Sistan-Baloutchistan, qu’un attentat à la voiture piégée faisait deux morts, toujours parmi les forces de sécurité, dans une attaque revendiquée par le groupe sunnite et séparatiste baloutche Ansar al-Forghan.

Enfin, le 13 février 2019, un autre attentat meurtrier touchait l’Iran, avec l’attaque d’un bus des Pasdaran à Zahedan, dans le Sistan-Baloutchistan, faisant 27 morts. Revendiquée par le groupe Jaich al-Ald (« armée de la justice »), l’attaque survenait au moment où l’Iran fêtait les 40 ans de la révolution de 1979.

Bien que leur intensité soit allée en diminuant, d’autres attentats ont continué à toucher le pays. Récemment, en mars 2021, deux attaques ont ains été commises. L’une à Chouch, contre une base des Pasdaran ; l’autre à Saravan, ciblant à nouveau les Gardiens de la révolution.

Ebrahim Raïssi arrive donc au pouvoir dans un pays qui a été confronté à des attaques d’envergure. Comment comprendre ce contexte de violences ? Plusieurs éléments peuvent être pointés.

Des attaques fragilisant la posture du pouvoir

L’Iran est donc régulièrement touché par des attaques sur son sol. Les raisons en sont multiples et les conséquences diverses. La première d’entre elles est de fragiliser le discours du régime iranien, qui assure que le pouvoir en place protège efficacement sa population. Longtemps, le pouvoir a misé sur une capacité antiterroriste puissante, via la place donnée aux services de renseignement et de sécurité.

[Le premier objectif des attaques] est de fragiliser le discours du régime iranien, qui assure que le pouvoir en place protège efficacement sa population

Les différentes cibles touchées (le Parlement à Téhéran, les lieux de pouvoir des Pasdaran, etc.) ainsi que le moment des attentats (le 40e anniversaire de la République islamique, la commémoration de la guerre avec l’Irak en septembre 2018) sont autant de symboles liés au système politique du régime.

Les réponses du pouvoir démontrent d’ailleurs la prise de conscience par les dirigeants de cette importance des symboles : rapidement après les attentats de Téhéran et d’Ahvaz, les Pasdaran ont procédé à des tirs de missiles contre des centres de commandements de l’EI en Syrie, alliant à l’action militaire des messages à l’égard de la population iranienne et des États voisins.

Téhéran cherche, en outre, à rejeter la responsabilité des attaques sur le dos de ses voisins, hostiles à la sortie de son isolement. Chaque attaque est ainsi suivie d’une accusation pointée par la République islamique à l’égard de l’un ou l’autre des acteurs étrangers qui l’entourent. L’attentat à Zahedan en 2019 voyait ainsi le commandant des Gardiens de la révolution, Mohammad Ali Jafari, pointer la responsabilité tant de l’Arabie saoudite que des Émirats arabes unis.

Le pouvoir iranien dispose d’ailleurs d’éléments servant à soutenir ce discours. En 2017, le prince héritier saoudien avait précisément averti : « Nous n’attendrons pas que la bataille se déroule en Arabie saoudite. Au lieu de cela, nous œuvrerons pour que la bataille soit pour eux, en Iran », propos servant in fine la rhétorique de nation agressée défendue par Téhéran.

Des groupes s’appuyant sur des minorités confessionnelles et ethniques

Ces éléments servent-ils à comprendre le climat sécuritaire tendu qui existe aujourd’hui en Iran ? D’autres doivent être ajoutés pour permettre une vision d’ensemble. La République islamique est déjà, depuis son origine, confrontée à des attaques sur son sol.

Si, dans les années 1980, les Moudjahidines du peuple (MeK) ont été le principal mouvement actif, d’autres groupes sont montés en puissance dans les années 1990 et 2000. Des mouvements s’appuyant sur des minorités confessionnelles et ethniques ont essaimé, principalement dans les provinces frontalières.

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Ces groupes séparatistes ou se revendiquant du « djihad » mondial ont aussi souvent ciblé les forces armées dans ces régions. Dans le Sistan-Baloutchistan, Jaish al-Adl, en partie successeur du mouvement sunnite armé Joundallah, s’est fait connaître pour ses kidnappings de gardes frontaliers à la frontière avec le Pakistan.

Ailleurs, des groupes comme le Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahwaz ont une longue histoire d’actions violentes. Ces différents groupes, tout comme ceux actifs dans la région à majorité kurde d’Iran, revendiquent plus d’autonomie voire l’indépendance des régions abritant de larges minorités linguistiques, confessionnelles ou communautaires.

La résurgence de ce type de violences ne trouve toutefois pas sa cause unique dans des objectifs séparatistes. L’instabilité sécuritaire en Iran s’explique aussi par des considérations parfois bien plus concrètes et liées aux aléas du quotidien.

Des causes socio-économiques et politiques

La situation sociale et économique dans les provinces frontalières touchées par ces attentats est loin d’être apaisée et ouverte sur un horizon positif. Le Kurdistan iranien, tout comme le Sistan-Baloutchistan et la région d’Ahvaz, hébergent les minorités kurdes, sunnites et arabes du pays. Longtemps méprisées, celles-ci se retrouvent confrontées à des difficultés économiques importantes.

Les minorités arabes, baloutches, kurdes, sunnites, etc. font face à de nombreuses discriminations qui amènent beaucoup de leurs membres à cacher leur « identité » […] Les communautés locales se sentent bousculées face à une culture perse dominante et niant leurs particularités

Le Sistan-Baloutchistan a un taux de chômage de plus de 50 %. Connaissant des flux migratoires importants, des sous-régions se retrouvent vidées de leurs populations.

Sans perspectives claires, ébranlée par l’extrême pauvreté, une partie de la jeunesse de la province trouverait aussi des motifs de s’engager dans les filières criminelles afin d’y trouver les revenus de subsistance nécessaires. Limitrophe de l’Afghanistan et du Pakistan, la région est d’ailleurs une plaque tournante du trafic de drogue.

Concernée par des attaques récentes, la région d’Ahvaz, au Khouzistan, bien que riche en hydrocarbures, fait également face à un sous-développement qui frappe durement sa population. De surcroît, les dégradations environnementales et le manque d’accès à l’eau s’ajoutent aux récriminations de la population envers les structures dirigeantes.

Enfin, les minorités arabes, baloutches, kurdes, sunnites, etc. font face à de nombreuses discriminations qui amènent beaucoup de leurs membres à cacher leur « identité », que ce soit dans l’accès à un emploi voire même dans l’accès aux soins de santé. Les communautés locales se sentent bousculées face à une culture perse dominante et niant leurs particularités.

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Cela dit, les populations de ces différentes provinces ne se définissent pas comme « hors-République ». Régulièrement, la participation aux différents processus électoraux suit voire dépasse les moyennes nationales.

Le Sistan-Baloutchistan a souvent été favorable dans les urnes à Hassan Rohani. Aux élections présidentielles de juin 2021, la province affichait également un taux de participation plus élevé (62 %) que la moyenne nationale (48 %). Mais le manque de confiance entre les différents acteurs attise les conflits d’identité.

Les tensions sécuritaires en Iran trouvent donc leurs origines dans des motifs multiples, nécessitant une approche et des réponses complexes. Loin d’être productive, l’instrumentalisation des ressentiments, tant à l’intérieur de l’Iran qu’à l’extérieur, devient une posture auquel chaque acteur a de plus en plus recours. Or, les tensions au sein des diverses provinces touchées par les attentats ne sont pas tant dues à des causes confessionnelles ou ethniques qu’à des questions politiques.

Reste à voir comment chaque acteur finira par s’y adapter. Dans le cas de l’Iran, la posture nationaliste pourrait amener à une unité nationale face à des actions présentées comme ciblant l’Iran, et non uniquement la République islamique. Mais cette posture reste celle du court terme en l’absence de résolution des causes de ressentiments des populations locales.

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