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Ebrahim Raïssi, le nouveau président iranien toujours aux ordres

Le chef de la justice s’est parfois montré critique envers l’establishment, mais a toujours fini par céder à ses diktats
Ebrahim Raïssi (à gauche) a cherché à se présenter comme un véritable partisan et disciple du guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei (à droite) (AFP)
Ebrahim Raïssi (à gauche) a cherché à se présenter comme un véritable partisan et disciple du guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei (à droite) (AFP)

Ebrahim Raïssi, religieux radical et chef du système judiciaire, a remporté le scrutin présidentiel iranien qui a connu la plus faible participation de l’histoire de la République islamique. 

Pour savoir qui est Raïssi, et comment il a accédé au pouvoir, il faut regarder son passé.

Quatre ans avant la révolution islamique de 1979, Raïssi alors âgé de 15 ans a quitté sa ville de Machhad pour la ville sainte de Qom, site abritant les plus importants séminaires du pays. 

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En 1981, Raïssi a abandonné ses études pour devenir cadre du système judiciaire de Karadj, une ville proche de la capitale Téhéran. 

En moins de dix ans, il a été promu à plusieurs postes de haut rang au sein de l’appareil judiciaire, devenant le plus jeune membre de ce que l’opposition a surnommé la « commission de la mort ».

En 1988, cette commission a ordonné l’exécution de 2 000 à 4 000 prisonniers politiques iraniens, notamment des membres de l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI), un groupe qualifié de « terroriste » par l’Iran et l’Irak, ainsi que par certains membres de groupes marxistes et de gauche. 

L’ampleur, la rapidité et l’absence de procédure concernant ces exécutions a même conduit le défunt ayatollah Hossein Ali Montazeri, alors dauphin désigné du chef de la République islamique l’ayatollah Rouhollah Khomeini, à soulever des objections. 

Les critiques de Montazeri concernant les exécutions, entre autres choses, l’ont amené à être déchu de ses fonctions en 1989. La même année, Raïssi a été désigné comme procureur de Téhéran, où il a été décrit par le défunt ayatollah Akbar Hachemi Rafsandjani comme une personne « modérée ». 

Raïssi s’est alors élevé pour devenir chef de l’inspection générale sous la supervision de la justice, en 1994.

« Péché impardonnable »

Si Raïssi a cherché à se présenter comme un fidèle partisan et disciple du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, il s’est parfois montré très critique envers certaines de ses remarques et son comportement.

En 1996, Raïssi a rendu visite à Rafsandjani et a critiqué à cette occasion les remarques de Khamenei faisant allusion à la corruption dans le pays sous la présidence de Rafsandjani.

Raïssi a qualifié les commentaires de Khamenei de « nuisibles », indiquant qu’aucune affaire ni document relatif à cette affaire n’avait été enregistré par son bureau. 

« L’équipe de Khamenei a cherché un nouveau visage ne présentant aucun risque de faire preuve de désobéissance. Une personne qui n’est pas connue de la plupart des gens, au visage avenant : Raïssi »

- Un ancien responsable à MEE

Cependant, une source qui souhaite rester anonyme a confié à Middle East Eye : « Raïssi était une personnalité modérée sur le plan personnel, et s’il a pu critiquer les politiques de l’establishment, il n’a jamais changé de cap et a toujours fidèlement exécuté les ordres. » 

L’establishment englobe Khamenei, ainsi que l’appareil de sécurité contrôlé par ce dernier.

En 2009, Raïssi, en tant que premier adjoint du chef de l’autorité judiciaire, a critiqué les deux candidats réformistes à la présidentielle Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, persuadés que des bulletins avaient été falsifiés en faveur du radical, le président Mahmoud Ahmadinejad

Raïssi avait alors menacé de les poursuivre en justice pour leur « péché impardonnable. »

Après avoir été le premier adjoint du chef de la justice pendant dix ans Raïssi a été démis de ses fonctions de procureur général du pays par le chef de l’époque, l’ayatollah Sadeq Amoli Larijani

Selon une source, ce limogeage serait intervenu alors que Raïssi en voulait à Larijani, qui figurait parmi les candidats pour remplacer Khamenei.

Le destin de Raïssi a miraculeusement changé quand il a été décidé que ce dernier serait préparé pour la présidentielle pour diriger le pays. 

Un ancien responsable radical, qui a choisi de témoigner de manière anonyme, explique à MEE : « Le guide a toujours cherché à avoir les présidents sous son contrôle. C’est pourquoi il s’est toujours opposé à ce qu’un réformiste occupe la fonction. Khamenei et l’establishment ont aidé Ahmadinejad à remporter l’élection présidentielle car ils étaient persuadés qu’il serait [leur] pion », ajoute-t-il. 

Mais dans la seconde partie de son mandat présidentiel, en 2009, Ahmadinejad « a commencé à se montrer désobéissant, laissant un souvenir amer au guide qui en a retenu la leçon » (AFP/Atta Kenare)
Mais dans la seconde partie de son mandat présidentiel, en 2009, Ahmadinejad « a commencé à se montrer désobéissant, laissant un souvenir amer au guide qui en a retenu la leçon » (AFP/Atta Kenare)

Mais dans la seconde partie de son mandat présidentiel, en 2009, Ahmadinejad « a commencé à se montrer désobéissant, laissant un souvenir amer au guide qui en a retenu la leçon ».

« Vu qu’avec le président soutenu par les réformistes, Hassan Rohani, ses politiques et ses actes qui ont brisé des tabous, l’establishment a été frustré », pousuit notre source. 

« L’équipe de Khamenei a cherché un nouveau visage ne présentant aucun risque de contrecarrer Khamenei ni de faire preuve de désobéissance. Une personne qui n’est pas connue de la plupart des gens, au visage avenant : Raïssi. »

Un rôle en or

En conséquence, Raïssi, déjà isolé par Larijani, fut soudainement nommé par Khamenei en 2015 à la tête de l’Astan Qods Razavi, une organisation qui gère le mausolée du huitième imam du chiisme. 

Astan Qods Razavi fait partie des organisations les plus riches et les plus influentes en Iran, plaçant son président parmi les cinq plus importants cadres de la République islamique. 

Dans le même temps, des rumeurs ont commencé à circuler à propos de Raïssi, que Khamenei envisageait comme un candidat sérieux pour le remplacer en tant que guide suprême après son décès.

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Dans la même veine, certains journaux radicaux ont commencé à faire référence à Raïssi comme à un ayatollah, afin d’élever sa position parmi les élites, tout en signalant dans le même temps qu’il connaissait parfaitement les études islamiques.  

L’homme qui occupe le poste de guide suprême doit avoir la validation de son ijtihad (capacité de déduire des règles de la charia à partir des sources de jurisprudence) obtenu auprès de quelques grands ayatollahs.

Le nouveau poste de Raïssi, les références à l’ayatollah et les rumeurs de Khamenei ont progressivement élevé son statut parmi l’opinion publique et sur la scène politique. 

Après un an à la tête d’Astan Qods Razavi, Raïssi s’est présenté à l’élection présidentielle de 2017 avec l’ensemble de l’establishment de la République islamique derrière lui pour tenter d’évincer Rohani.

Malgré cela, Raïssi n’était pas assez doué pour venir à bout de l’éloquent Rohani, qui n’a fait qu’une bouchée de lui lors des débats présidentiels, Raïssi étant incapable de contrer les puissantes attaques du président.

En 2017, Raïssi n’était pas assez doué pour venir à bout de l’éloquent Rohani, qui n’a fait qu’une bouchée de lui lors des débats présidentiels

Cependant, ce qui a le plus discrédité Raïssi, ce fut sa rencontre avec le rappeur Tataloo, très populaire au sein de la génération Z en Iran. 

Les chansons souvent vulgaires de Tataloo, dont le corps est recouvert de tatouages, sont considérées immorales aux yeux des Iraniens ordinaires et religieux. 

Lors de la campagne présidentielle, Raïssi a cherché à obtenir les voix des jeunes. Mais son initiative lui a coûté le soutien de la classe religieuse et des élites.

Malgré son échec à l’élection, Raïssi a été nommé par Khamenei en 2019 à la tête de la justice du pays.

Plusieurs candidats disqualifiés

Cette initiative a suscité la colère des partisans de Rohani et de la base réformiste, qui ont considéré cette nomination comme des représailles face à la défaite du candidat préféré par Khamenei à l’élection présidentielle.

Selon une source, malgré les sérieuses intentions de Raïssi de remplacer Gholamhussein Mohseni Ejei, son adjoint à la justice, et le procureur général Mohammad Jafar Montazeri, Khamenei voulait qu’ils restent en place et Raïssi a plié.

À la justice, Raïssi avait prévu de se positionner contre le blocage des réseaux sociaux et en faveur de la liberté de la presse. 

Pourtant, Signal et Clubhouse ont été interdites par la justice et un hebdomadaire réformiste titré Voice a été fermé.

Avant l’élection présidentielle de 2021, l’establishment semblait redouter une nouvelle contreperformance de Raïssi dans les débats et une possible victoire de ses opposants.

En conséquence, plusieurs réformistes et modérés populaires ont été disqualifiés par le Conseil des gardiens de la Constitution, lequel supervise les élections.

Même le modéré Ali Larijani, un conseiller de Khamenei, que le défunt commandant de la force al-Qods, le populaire Qasem Soleimani, pensait être la personnalité la plus apte à être président, n’a pas pu concourir. 

Ainsi, la voie était pavée pour l’accession à la présidence de Raïssi.

Si de prime abord, Raïssi semble d’un tempérament modéré, il apparaît manipulé en coulisses par des cadres de l’establishment auxquels il ne cesse d’obéir.

En matière de politique étrangère, il s’éloignera probablement de l’engagement pro-occidental de Rohani, rendant l’hypothèse d’une désescalade des tensions entre Téhéran et l’Occident plus difficile.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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