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Iran : que se passera-t-il lorsque les conservateurs prendront le contrôle total du pays ?

À moins qu’il ne fasse passer les intérêts nationaux de l’Iran avant des objectifs révolutionnaires irréalistes, l’État ne peut plus reprocher aux autres les problèmes auxquels le pays fait face
Mohammad Bagher Ghalibaf est entouré de députés après son élection en tant que président du Parlement, le 28 mai à Téhéran (AFP)
Mohammad Bagher Ghalibaf est entouré de députés après son élection en tant que président du Parlement, le 28 mai à Téhéran (AFP)

Le nouveau Parlement iranien, dominé par des éléments conservateurs, a récemment été inauguré. Mohammad Bagher Ghalibaf, ancien membre de haut rang du corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) et défait lors de trois campagnes présidentielles, a été élu fin mai à sa présidence. 

Signe avant-coureur des choses à venir, Ghalibaf s’en est pris au président Hassan Rohani dans son premier discours, fustigeant sa tendance à chercher des solutions à ses problèmes hors d’Iran et son manque de foi dans l’économie de la résistance comme meilleure alternative. Ghalibaf a également jugé les discussions avec les États-Unis nuisibles pour l’Iran.

Il est difficile de déterminer si ces déclarations reflètent les véritables intentions du nouveau Parlement ou si elles ne sont que la première salve en vue de l’élection présidentielle de l’an prochain.

Quoi qu’il en soit, les propos de Ghalibaf reflètent un revirement de la politique et du discours iraniens vers une position dure laissant entendre que le prochain président de l’Iran sera probablement un conservateur. Si cela devait arriver, les conservateurs contrôleraient les trois branches du gouvernement. 

Il est même possible que la fonction de président soit écartée au profit d’un Premier ministre occupant le rôle de chef de l’exécutif. N’étant pas élu par le vote populaire, un Premier ministre aurait moins de pouvoir et de légitimité populaire qu’un président et ne serait donc pas un rival pour le guide suprême.

Sans un président sur qui rejeter la faute, les véritables centres du pouvoir et de décision deviendraient responsables de leurs échecs

En raison de la nature biaisée de l’équilibre du pouvoir et de l’autorité en Iran face au président, un tel changement pourrait être positif. Sans un président sur qui rejeter la faute, les véritables centres du pouvoir et de décision deviendraient responsables de leurs échecs et les lignes de l’autorité et des responsabilités deviendraient plus claires. 

Pourtant, passer d’un système présidentiel à un système parlementaire et avoir des conservateurs aux commandes de toutes les branches du gouvernement ne résoudrait pas les problèmes et les défis auxquels l’Iran est confronté.

Leurs racines se trouvent ailleurs, notamment dans l’absence de perspective nationale parmi les dirigeants iraniens, dans la désorganisation de ses structures administratives et économiques et dans l’existence d’institutions parallèles ayant des objectifs et des intérêts concurrents.

Des intérêts divergents

Parmi ces institutions parallèles, le corps des GRI et ses branches économiques, aux priorités divergentes en matière de politique intérieure et étrangère, occupent une place prépondérante. La première priorité des GRI est de défendre le régime et la révolution.

Au deuxième rang de leurs priorités figure l’idée de conserver et d’étendre leur emprise sur l’économie du pays, de s’enrichir et d’enrichir leurs alliés cléricaux et laïcs. Ils sont en concurrence active avec les gouvernements au pouvoir. Au plus fort de la crise du coronavirus, les GRI ont tenté de montrer qu’ils étaient plus efficaces que le gouvernement pour aider la population, alors que le gouvernement se voyait reprocher toutes les lacunes. 

Le corps des Gardiens de la révolution islamique « met l’accent sur l’économie de la résistance » (AFP/photo d’archives)
Le corps des Gardiens de la révolution islamique « met l’accent sur l’économie de la résistance » (AFP/photo d’archives)

Signe inquiétant pour la stabilité future du pays, le commandant de la marine iranienne a récemment critiqué l’implication des GRI dans l’économie et la politique de l’État, regrettant que le rôle de l’armée régulière dans la guerre Iran-Irak n’ait pas été apprécié à sa juste valeur. 

Les GRI se sont opposés à l’accord sur le nucléaire de 2015, craignant qu’une ouverture économique et politique n’érode leur mainmise sur l’économie et la politique iraniennes. Ils rejettent l’idée de permettre à de nombreux expatriés fortunés d’investir en Iran ou à des dizaines de milliers d’Iraniens bien formés de servir leur pays.

Leur service de renseignement a contribué à l’arrestation de nombreux universitaires et experts iraniens, ce qui dissuade les Iraniens expatriés de revenir.

Un exode humain et une fuite de capitaux

Les GRI mettent l’accent sur l’économie de la résistance, alors que ce dont l’Iran a réellement besoin pour se développer, c’est de capitaux, de technologies et de la possibilité d’effectuer des transactions avec les marchés financiers mondiaux. Leur solution économique de fortune ignore ces faits.

Dans le même temps, les politiques culturelles restrictives des conservateurs, auxquelles s’ajoute une économie en déliquescence, ont entraîné un exode humain et une fuite de capitaux. Les Iraniens ont par exemple donné un coup de fouet au marché immobilier en Turquie.

Paradoxalement, le gouvernement iranien a récemment déclaré qu’il fallait encourager les investisseurs en leur offrant un permis de séjour de cinq ans, sans toutefois expliquer quel intérêt un investisseur aurait à s’installer dans le pays alors que les Iraniens partent en masse.

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Quelle que soit la méthode employée, l’objectif principal de la politique étrangère de la plupart des États est traditionnellement de rechercher la sécurité territoriale, humaine et économique. Les États s’emploient souvent à faire avancer des causes, mais lorsque ces projets mettent en danger leur intégrité territoriale et leur bien-être national, ils sont généralement abandonnés.

L’Iran poursuit cependant une politique étrangère universaliste et d’origine idéologique, pour des conséquences jugées très dommageables pour ses intérêts nationaux. La pièce maîtresse est la question de la libération de la Palestine, alors même que les Arabes et les autres musulmans n’en font plus une priorité.

La position de l’Iran sur cette question et celle de l’État d’Israël sont la source de ses problèmes avec les États-Unis, l’Europe et, dans une certaine mesure, la Russie et la Chine. Cette politique n’a pas non plus valu à l’Iran la sympathie et la bonne volonté des Palestiniens, des Arabes et des musulmans : en isolant l’Iran, ses voisins et même ses prétendus alliés comme la Russie ont pu manipuler le pays et lui arracher des concessions.

Une position intransigeante

Et pourtant, en optant totalement pour une politique dure, il est peu probable que l’Iran modifie sa position intransigeante. Par ailleurs, il pourrait être trop tard pour qu’un changement ait un impact positif sur la situation de l’Iran. Alors qu’Israël réchauffe ses relations avec certains gouvernements arabes que les principaux États arabes maintiennent leur hostilité envers l’Iran, personne ne se précipite dans les bras de Téhéran. 

Bien que cela soit improbable, il est possible qu’une fois qu’ils seront complètement aux commandes de l’Iran, les conservateurs se lancent dans des politiques plus réalistes et finissent par faire passer les intérêts nationaux de l’Iran avant des objectifs révolutionnaires irréalistes et irréalisables. Mais s’ils ne le font pas, ils ne pourront plus reprocher aux autres les problèmes auxquels l’Iran fait face. 

- Shireen T. Hunter est chercheuse affiliée au Centre pour la compréhension entre musulmans et chrétiens de l’Université de Georgetown. Le Moyen-Orient (en particulier la région du golfe Persique), la Méditerranée, la Russie, l’Asie centrale et le Caucase (du Nord et du Sud) font partie de ses domaines d’expertise. Shireen T. Hunter a étudié à l’université de Téhéran (licence et doctorat en droit international sans thèse), à la London School of Economics (maîtrise en relations internationales) et à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève. Elle a publié dix-neuf livres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Shireen T Hunter is an affiliate fellow at the Georgetown University Center for Muslim-Christian Understanding. Dr Hunter’s areas of expertise include the Middle East (especially the Gulf region), the Mediterranean, Russia, Central Asia, and the Caucasus (North and South). Dr Hunter was educated at Tehran University (BA and all-but-thesis for a doctorate in international law), the London School of Economics (MSc in international relations), and the Graduate Institute of International Affairs and Development Studies, in Geneva. She has published 19 books.
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