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L’élection présidentielle iranienne promet un changement générationnel

L’élection sera la plus importante à ce jour, alors que la République islamique se prépare à des changements structurels et culturels
Le magistrat iranien Ebrahim Raïssi présente sa candidature à l’élection présidentielle, le 15 mai 2021 à Téhéran (AFP)
Le magistrat iranien Ebrahim Raïssi présente sa candidature à l’élection présidentielle, le 15 mai 2021 à Téhéran (AFP)

Alors que l’Iran s’apprête à organiser sa treizième élection présidentielle depuis 1980, les analyses sur la signification et le déroulement de ce scrutin ne manquent pas. Le consensus général semble être qu’un « conservateur » ou un partisan de la ligne dure l’emportera, comme le souhaite le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei

Le résultat immédiat et les performances ultérieures du nouveau gouvernement refléteront la volonté de surmonter 24 années de volatilité politique en Iran, initiées par la victoire électorale de l’archi-réformiste Mohammad Khatami en 1997.

Cette hypothèse gagne du terrain depuis que le conseil des Gardiens de la Constitution – l’organe chargé d’étudier les candidatures aux élections – a disqualifié les principaux candidats, dont l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad.

Des Iraniens passent devant un poster d’Ebrahim Raïssi, à Téhéran, le 29 mai 2021 (AFP/Atta Kenare)
Des Iraniens passent devant un poster d’Ebrahim Raïssi, à Téhéran, le 29 mai 2021 (AFP/Atta Kenare)

Mais si un conservateur ou même un partisan de la ligne dure peut très bien l’emporter, cette hypothèse n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’élection présidentielle du mois prochain porte bien moins sur l’opposition entre réformistes et principalistes que sur une réorientation stratégique générale de l’establishment du pays.

Le prochain président iranien ne se contentera pas de rationaliser la bureaucratie gouvernementale en vue de la rendre plus efficace ; il adoptera aussi très probablement une politique intérieure socio-économique visant à créer un consensus national nouveau et durable autour de questions clés, telles que la justice sociale et les conditions de la participation politique.

En matière de politique étrangère, le nouveau président iranien pourrait réserver des surprises, principalement dans le domaine des relations entre l’Iran et les États-Unis, qui pourraient bien être posées sur des bases plus stables dans un avenir pas si lointain. 

Des promesses excessives

Depuis 1997, la scène politique iranienne est marquée par ce que l’on peut décrire comme une volatilité maîtrisable, dans laquelle les réformistes et les principalistes se disputent sans relâche le contrôle des pouvoirs exécutif et législatif. 

L’administration réformiste de Khatami s’est caractérisée par des promesses excessives insuffisamment tenues. Bien que cela ait donné lieu à un environnement culturel plus permissif, ces gains se sont finalement avérés insoutenables. 

La faction principaliste qui a pris les rênes du pouvoir à l’été 2005 – désignée à l’époque sous le nom de « néoconservateurs iraniens » – s’est efforcée de rétablir un discours révolutionnaire authentique après huit années de recul idéologique présumé.

Dirigée par le populiste Mahmoud Ahmadinejad, cette faction a fini par se mettre l’establishment à dos lors de son second mandat (2009-2013), à la suite d’une élection présidentielle contestée qui a déclenché des manifestations et des émeutes sans précédent

L’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad s’exprime à Ardabil en 2011 (AFP/présidence iranienne)
L’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad s’exprime à Ardabil en 2011 (AFP/présidence iranienne)

L’administration Rohani, qui a pris le pouvoir en 2013, était par essence une coalition entre les réformistes centrés sur l’État et les anciennes élites technocratiques initialement entretenues par l’ancien président Hachemi Rafsandjani

À l’instar des réformistes plus authentiques de la fin des années 1990 et du début des années 2000, l’administration Rohani a également formulé des promesses excessives insuffisamment tenues, notamment sur le plan économique.

Guidée par une philosophie économique néolibérale, l’administration du président Hassan Rohani a exacerbé une partie des défauts structurels et des inégalités de l’économie iranienne, apparus initialement sous la présidence de Rafsandjani (1989-1997). 

Finalement, en plus d’avoir isolé son électorat de base, l’administration Rohani a créé – chose bien plus inquiétante – un environnement économique dangereux qui affecte surtout les classes socio-économiques les plus faibles. 

Un nombre impressionnant de candidats potentiels

Ce vide dangereux a été mis en évidence lors du rationnement soudain de l’essence et des hausses de prix que l’on a pu observer en novembre 2019 et qui ont déclenché des émeutes généralisées aux quatre coins du pays. Les sanctions punitives conjuguées à la mauvaise gestion économique font craindre une apathie des électeurs à l’occasion du scrutin du mois prochain, ce qui serait une première dans la République islamique.

Traditionnellement, les élections présidentielles connaissent des taux de participation élevés en Iran.

Lors du dernier scrutin, en mai 2017, le taux de participation s’est élevé à 70 %, un chiffre qui soutient largement la comparaison avec les scrutins similaires dans les pays occidentaux. La participation à l’élection présidentielle américaine de novembre 2020, par exemple, n’a été que de 66,9 % – soit le taux de participation le plus élevé depuis 120 ans. 

Élection présidentielle en Iran : la tâche risque d’être ardue pour les réformistes
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Le taux de participation relativement faible aux élections législatives iraniennes de février 2020 a alimenté les spéculations selon lesquelles l’élection présidentielle recevrait un accueil tout aussi timide de la part du public.

Mais cela revient à ignorer la relation apparemment spéciale que le public iranien entretient avec le scrutin présidentiel, qui a donné lieu à des résultats imprévisibles à des moments clés.

Cette tendance s’est particulièrement manifestée lors de l’élection présidentielle de mai 1997, qui a porté les réformistes au pouvoir contre toute attente, puis lors de l’élection de juin 2005 qui a sacré la faction d’Ahmadinejad. 

L’un des traits distinctifs de la course à la présidence de cette année a été le nombre impressionnant de candidats potentiels qui se sont inscrits initialement.

Parmi eux figuraient des hommes disposant d’une solide expérience au sein du corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI), notamment Saïd Mohammad, ancien commandant du Quartier général de la construction de Khatam al-Anbiya (GHORB), la branche d’ingénierie des Gardiens de la révolution. Mohammad a été disqualifié par le conseil des Gardiens de la Constitution, ce qui a dissipé le mythe selon lequel le système aspirerait à placer un homme du corps des GRI au siège présidentiel de l’avenue Pasteur.    

Un autre ancien commandant de cet organisme, l’ancien ministre du Pétrole Rostam Qassemi, s’est également lancé dans la course à la présidence avant de retirer sa candidature en faveur d’Ebrahim Raïssi, le principal prétendant principaliste au pouvoir.

Spéculations de la littérature occidentale 

De l’autre côté de l’échiquier politique, le stratège réformateur vétéran Mostafa Tajzadeh, ainsi que le vice-président et fidèle de Rohani Eshaq Djahanguiri, ont également enregistré leur candidature mais ont tous deux été disqualifiés par le conseil des Gardiens de la Constitution. 

La disqualification de l’ancien président ultraconservateur du majlis Ali Larijani a alimenté encore davantage les spéculations selon lesquelles l’élection serait conçue pour être non compétitive et dégager ainsi le passage pour le candidat principal, le chef de la magistrature Ebrahim Raïssi.

Mais le terne Larijani n’a jamais eu la moindre chance auprès de l’électorat iranien en raison de sa personnalité froide et de son incapacité à mobiliser les masses. 

Les think tanks occidentaux, qui manquent de connaissances locales et ne comprennent pas réellement la politique iranienne, s’évertuent à établir un discours fondé sur une issue prédéterminée du scrutin.

Les think tanks occidentaux, qui manquent de connaissances locales et ne comprennent pas réellement la politique iranienne, s’évertuent à établir un discours fondé sur une issue prédéterminée du scrutin

Mais cette élection est moins une affaire de personnalités qu’une affaire de stratégie et de politique.

Le candidat victorieux devra convaincre les dirigeants du pays et l’opinion publique en général qu’il a les moyens de relever les défis auxquels le pays est confronté.

Pour sa part, l’ayatollah Khamenei a demandé à de nombreuses reprises qu’un gouvernement « jeune » et « hezbollahi » prenne les rênes du pays. 

Cela ne veut pas dire que le dirigeant préfère un président jeune – puisqu’aucun des sept candidats retenus ne l’est particulièrement –, mais que le prochain président devrait envisager de mettre des éléments jeunes et révolutionnaires sur le devant de la scène en leur confiant des portefeuilles clés de l’exécutif.

Comme évoqué plus haut, les spéculations de la littérature occidentale selon lesquelles le prochain gouvernement est voué à être dominé par des partisans de la ligne dure et des radicaux sont non seulement trompeuses sur le plan des faits, mais elles risquent surtout de cacher la forêt. 

Nucléaire : conclure un accord avant août

Comme le prévoient les directives du guide suprême, le prochain gouvernement devra s’atteler à la tâche difficile d’atténuer les problèmes structurels du pays, en vue d’opérer un changement générationnel dans la gestion du pays. 

La cohésion institutionnelle et le sens psychologique du devoir qu’exige cette tâche difficile sont de bon augure sur le terrain de la politique étrangère, théâtre d’intenses contestations au cours des huit dernières années entre le camp réformiste et centriste aligné avec Rohani et le camp principaliste. 

L’ampleur et la gravité de cette bataille interne ont été mises en évidence par la fuite d’un enregistrement audio dans lequel le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif se plaignait de la concurrence acharnée avec la force al-Qods des GRI en matière de politique étrangère. 

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Le principal défi du prochain gouvernement à cet égard est la relance de l’accord sur le nucléaire, alors que les pourparlers se poursuivent à Vienne, où les États-Unis et l’Iran négocient indirectement via la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne. 

L’administration sortante de Rohani semble soucieuse de conclure un accord avant de quitter officiellement l’arène en août, ne serait-ce que pour assurer son héritage en tant que gouvernement qui aura négocié initialement l’accord sur nucléaire et qui l’aura maintenu en vie contre vents et marées après le retrait unilatéral des États-Unis en mai 2018, avant de renégocier finalement sa relance.  

Néanmoins, le prochain gouvernement iranien verra très probablement d’un mauvais œil la relance de l’accord si celui-ci ne répond pas aux attentes de l’Iran, notamment en ce qui concerne la confirmation de la levée des principales sanctions visant les secteurs énergétique et financier du pays.

L’Iran pourrait même en arriver à penser qu’il peut vivre sans accord global sur le nucléaire et opter pour des arrangements avec l’Agence internationale de l’énergie atomique et les puissances mondiales. 

Au-delà de l’accord sur le nucléaire, l’un des défis pressants du prochain gouvernement sera de rétablir l’équation de dissuasion avec Israël, après deux opérations de sabotage israéliennes contre le site d’enrichissement d’uranium de Natanz en l’espace de neuf mois et l’assassinat du scientifique nucléaire de premier plan Mohsen Fakhrizadeh en novembre 2020. 

La riposte contre Israël pourrait commencer en Syrie, alors que l’Iran cherche à consolider ses acquis d’après-guerre dans le contexte d’efforts intenses mais jusqu’à présent infructueux déployés par Israël dans le but de réduire la présence croissante de la République islamique au Levant. 

Plus largement, l’Iran cherchera également à rétablir l’équation de dissuasion avec les États-Unis après l’assassinat du commandant de la force al-Qods du corps des GRI, Qasem Soleimani, en janvier 2020. 

Seul un gouvernement complètement en phase avec l’establishment du pays et le corps des Gardiens de la révolution islamique est capable de réaliser de tels exploits en matière de politique étrangère

Ce rééquilibrage pourrait contribuer à poser les relations entre l’Iran et les États-Unis sur des bases plus stables, à mesure que l’équilibre des forces évolue en Asie de l’Ouest.

Seul un gouvernement complètement en phase avec l’establishment du pays et le corps des Gardiens de la révolution islamique est capable de réaliser de tels exploits en matière de politique étrangère. Il en résulte que le monde extérieur sera confronté dans les années à venir à un establishment iranien plus uni et plus confiant qui bénéficiera d’un plus grand soutien de la part du public. 

Après 24 années d’instabilité politique maîtrisée, caractérisées par des luttes de factions contrôlées et dans certains cas artificielles, l’opinion publique iranienne est susceptible de réagir positivement à un gouvernement qui accorde la priorité à une véritable réforme économique à l’intérieur du pays et à la défense de son prestige à l’étranger. 

Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique moyen-orientale. Il est l’auteur de Iran Resurgent: The rise and rise of the Shia state. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @MahanAbedin.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mahan Abedin is an analyst of Middle Eastern politics. He is the author of Iran Resurgent: The rise and rise of the Shia state. He tweets @MahanAbedin.
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