Israël est-il en train de devenir un « État halakhique » ?
Israël se transforme-t-il en État religieux ? C’est la question qui se pose alors qu’une ministre a récemment annoncé qu’elle prévoyait d’établir des créneaux distincts pour les hommes et les femmes souhaitant nager dans les sources naturelles, ce qui a soulevé les craintes de la majorité laïque.
C’est l’une des nombreuses inquiétudes des mouvements féministes depuis que l’actuelle coalition au pouvoir, composée d’ultra-orthodoxes et de nationalistes, a pris ses fonctions à la fin de l’année dernière.
Ministre de la Protection de l’environnement en Israël issue du Likoud du Premier ministre Benyamin Netanyahou, Idit Silman a annoncé son projet d’heures de baignade distinctes début août.
Cela permettrait aux visiteurs de nager dans deux réserves naturelles près de Jérusalem en l’absence de membres du sexe opposé.
Les femmes religieuses en Israël, en particulier de la communauté ultra-orthodoxe (haredim), ne se baignent pas dans la mer ou dans les piscines en présence d’hommes.
Un grand nombre d’hommes haredim évitent également de se baigner en présence de femmes.
Ce projet de Silman (suspendu dans l’attente d’un examen juridique) ne vise pas à affecter les heures normales ouvertes à tous, mais à ajouter deux heures quotidiennes à répartir entre hommes et femmes.
Cependant, beaucoup dans la population israélienne libérale laïque observent les actes du gouvernement actuel d’un œil soupçonneux.
Pour certains, l’initiative de Silman est une première étape en vue d’un plus grand plan, bien plus menaçant : transformer Israël en État halakhique (de droit juif), ce qui signifie qu’il serait régi selon les lois les plus strictes du judaïsme orthodoxe, y compris la ségrégation sexuelle dans la sphère publique.
Dernièrement, un chauffeur de bus public israélien a ordonné à des adolescentes de s’asseoir au fond du véhicule et de se couvrir, au prétexte que le car était emprunté par des passagers ultra-orthodoxes.
Les incidents similaires de ségrégation sexuelle dans les transports publics se sont multipliés ces derniers temps en Israël, mettant sous le feu des projecteurs la relation entre religion et État.
Tension entre laïcs et religieux
Les racines des conflits entre les juifs ultra-orthodoxes et la population générale en Israël remontent au début des années 1950.
C’est à cette époque que David Ben-Gourion, le premier Premier ministre israélien, a accepté d’exempter 400 jeunes ultra-orthodoxes du service militaire pour qu’ils puissent étudier la Torah dans des écoles talmudiques (yeshivas).
En 1977, le gouvernement du Likoud sous Menachem Begin a supprimé la limite de 400 étudiants pouvant être exemptés, épargnant le service militaire à des dizaines de milliers de jeunes haredim.
Sur la base de l’arrangement gouvernemental baptisé Torato Umanuto (expression issue du Talmud, signifiant « l’étude de la Torah est son métier »), les élèves de yeshivas sont libérés de toute obligation et bénéficient d’une allocation de la part de l’État pour se consacrer exclusivement à l’étude de la Torah.
Mais cet arrangement a été établi dans les premières années de la création de l’État d’Israël et dans un contexte d’éradication des yeshivas lors de l’Holocauste.
Aujourd’hui, beaucoup voient les yeshivas comme un fardeau pour le public et ne soutiennent pas leurs financements puisque leurs étudiants ne servent pas dans l’armée.
Cela a créé un climat de défiance, et même de haine, envers la communauté ultra-orthodoxe en Israël.
Les divers courants ultra-orthodoxes
La société haredim mène un style de vie distinct du reste de la population israélienne et puisque la plupart des hommes passent leur temps à étudier la Torah plutôt qu’à travailler, beaucoup de foyers ultra-orthodoxes sont pauvres.
Sur les 9,45 millions d’habitants que compte Israël, il y a environ 1,28 million de juifs ultra-orthodoxes, soit quelque 13 %.
Selon les prévisions du Bureau central des statistiques, ils composeront un tiers de la population israélienne dans 50 ans.
La population ultra-orthodoxe est composée de trois grands groupes : les lituaniens, les hassidim et les haredim séfarades qui sont représentés par le parti Shas depuis 1984.
Les lituaniens se consacrent exclusivement à l’étude de la Torah, s’y vouent toute la journée et ne travaillent pas.
Les hassidim sanctifient la valeur de la prière, de la sainteté et du mysticisme. Ils se retirent généralement du monde extérieur et portent des tenues vestimentaires conservatrices mais, contrairement aux lituaniens, la plupart d’entre eux travaillent pour vivre.
Betzalel Stauber, qui dirige les programmes gouvernementaux de formation à destination du public haredim, rejette la suggestion selon laquelle les juifs ultra-orthodoxes veulent faire d’Israël un État halakhique.
« Ils demandent à ne pas être empêchés de vivre leur vie selon la Torah », affirme Stauber, lui-même orthodoxe lituanien.
L’inquiétude vient plutôt d’un autre courant ultra-orthodoxe : les sionistes religieux, connus sous le nom de hardalim, qui sont des haredim animés par une vision nationaliste.
Les sionistes religieux
Parmi les hardalim figurent ceux qui vivent dans les colonies illégales en Cisjordanie occupée.
Beaucoup d’entre eux sont des adolescents impliqués dans les Jeunes des collines, un groupe de colons religieux et nationalistes extrémistes menant activement des attaques contre les Palestiniens et créant des colonies sur des terres palestiniennes.
Ils sont soutenus par des partis sionistes religieux, parmi lesquels la formation d’extrême droite Otzma Yehudit (Force juive), dirigée par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, et le parti Noam.
Si Force juive se concentre sur la lutte contre les Palestiniens sous contrôle israélien, le parti Noam se focalise sur la lutte contre le féminisme, le libéralisme, les LGBTQ+ et la mixité hommes-femmes.
Historiquement, les dirigeants ultra-orthodoxes se sont opposés aux expressions de nationalisme, y compris le déménagement dans les colonies. Mais depuis l’émergence du mouvement sioniste religieux, cela évolue rapidement.
Aujourd’hui, il y a un fort soutien pour les colonies parmi la population ultra-orthodoxe, principalement en raison des efforts menés par les groupes sionistes religieux.
Parmi les artisans de ce changement figure le rabbin américain Yitzchak Ginsburgh, personnalité influente connue pour avoir encensé l’auteur du massacre de la mosquée d’Ibrahim à Hébron en 1994, attaque qui a tué 29 fidèles palestiniens, et pour avoir approuvé un livre définissant les « contextes légaux » dans lesquels les juifs peuvent tuer des non-juifs.
Ginsburgh considère l’État juif comme un outil pour la réalisation de la mission centrale du peuple juif : s’établir en terre d’Israël et établir le règne de la Halakha.
C’est ce courant de la population ultra-orthodoxe qui inquiète beaucoup dans la majorité laïque, en particulier maintenant que les partis sionistes religieux jouent un rôle central dans les politiques du gouvernement actuel.
Bezalel Smotrich, dirigeant du plus grand parti sioniste religieux et ministre des Finances, avait publiquement déclaré son désir de déménager dans un État religieux par le passé.
« Les lois de la Torah sont bien supérieures à l’“État halakhique” fondé ici par Aharon Barak », a-t-il déclaré en 2019, faisant référence à l’ancien dirigeant contesté de la Cour suprême qui est souvent la cible de l’ire de l’extrême droite.
« Bien sûr au bout du compte, je veux que l’État d’Israël se conforme aux lois de la Torah. Cela arrivera quand la nation le voudra et j’ai confiance en elle pour le vouloir quand elle verra comment la loi de la Torah est juste et humaine. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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