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Israël-Palestine : « ni guerre, ni paix », l’apartheid est le meilleur scénario de Bennett

Le Premier ministre israélien est le premier depuis Golda Meir à proposer le statu quo raciste comme programme politique
Naftali Bennett, alors ministre israélien de l’Économie, lors d’un rassemblement de campagne électorale dans le kibboutz Kfar Etzion de la colonie de Gush Etzion (Cisjordanie occupée), en mars 2015 (AFP)

« Il n’y a pas de processus diplomatique avec les Palestiniens, et il n’y en aura pas non plus », déclarait la semaine dernière une source proche du Premier ministre israélien Naftali Bennett après une rencontre entre son ministre de la Défense, Benny Gantz, et le président palestinien Mahmoud Abbas.

 Ainsi se révèle le monde spirituel de Bennett : un monde dans lequel Israël, et seul Israël, existe, et où les Palestiniens ne pourront jamais, en aucune circonstance, même s’ils font évoluer leur position, parvenir à l’égalité avec les Israéliens et négocier avec eux sur un pied d’égalité. Il y a un mot pour cela : racisme.

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Il y a près d’une décennie, Bennett a fait son entrée dans la politique nationale après avoir été directeur général du conseil de Yesha, la principale institution de colons, bien qu’il n’ait jamais été un colon et qu’il ne vive pas au-delà de la ligne verte. Dans une interview désormais célèbre, il affirmait : « Le problème palestinien est comme un éclat d’obus dans les fesses. » 

Aujourd’hui, son approche n’a pas changé, même si sa fonction de Premier ministre ne lui permet plus de s’exprimer sans ambages, comme il l’a admis juste avant de prendre ses fonctions début juin.

Bennett a expliqué cette approche dans une interview accordée au New York Times avant son récent voyage à Washington. « Ce gouvernement ne procédera pas à l’annexion et ne créera pas d’État palestinien, tout le monde le sait », assurait-il. « Israël poursuivra la politique standard de croissance naturelle [des colonies de Cisjordanie]. » 

En disant cela, Bennett est devenu le premier chef de gouvernement israélien, à l’exception peut-être de Golda Meir dans les années précédant la guerre du Kippour en 1973, à proposer ce qui équivaut à l’apartheid comme programme politique.

Statu quo permanent

Il est vrai que la politique de « gestion de l’occupation » est presque aussi ancienne que l’occupation israélienne elle-même. En février 1973, par exemple, le ministre de la Défense de l’époque Moshe Dayan déclarait : « Nous devons planifier à l’avance nos actions dans les territoires [conquis par Israël en juin 1967] pour qu’une situation “ni guerre, ni paix” ne soit pas insupportable pour nous […] Le gouvernement israélien a toute autorité pour décider de ce qui se passe de Suez au [Mt] Hermon. Nous ne délimiterons pas nos colonies nonchalamment, ni ne serons menacés par des braises fumantes. »

Mais la philosophie que Dayan articulait alors existe toujours et tous les Premiers ministres depuis, sauf peut-être Yitzhak Rabin – impossible de savoir s’il allait sortir des sentiers battus du fait de son assassinat –, l’ont adoptée, avec quelques variantes : « ni guerre, ni paix » ou, en d’autres termes, une continuation du statu quo. Sept mois plus tard, ces « braises fumantes » dénigrées par Dayan étaient devenues le déluge de feu de la guerre d’octobre 1973, avec des milliers de morts des deux côtés, forçant Israël à rendre par la suite la péninsule du Sinaï à l’Égypte

Bennett dit fondamentalement que ce statu quo « ni guerre, ni paix » n’est pas une situation intérimaire, mais au contraire permanente

Mais Bennett est allé encore plus loin. Même Dayan a qualifié les territoires occupés par Israël de « garanties » à restituer en échange d’un accord de paix répondant aux besoins d’Israël.

Depuis les années 1990, les Premiers ministres israéliens discutent, au moins officiellement, du soutien à la solution à deux États, y compris Ariel Sharon et même Benyamin Netanyahou, qui a adopté l’idée de l’État palestinien dans son discours de Bar-Ilanen en 2009. En 2020, il a également accepté « l’accord du siècle » de l’ancien président américain Donald Trump, qui comprenait la création d’un État palestinien, même amputé et fragmenté. 

Dans son interview au New York Times, cependant, Bennett dit fondamentalement que ce statu quo « ni guerre, ni paix » n’est pas une situation intérimaire, mais au contraire la situation permanente à laquelle il aspire.

Dans cette situation, Israël, d’une part, continuera d’exercer son régime militaire sur les Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et continuera d’accorder aux citoyens juifs de Cisjordanie des droits préférentiels par rapport aux Palestiniens.

D’autre part, Israël n’accordera pas aux Palestiniens des droits civils égaux à ceux de leurs voisins juifs comme le nécessiterait une annexion partielle ou totale de la Cisjordanie. Cette approche a aussi un nom – l’apartheid – et Bennett pense que c’est la seule possible.

« Réduire le conflit »

Nous ne savons pas exactement ce qui a été dit lors des discussions de Bennett avec le président Joe Biden et le secrétaire d’État Antony Blinken, mais publiquement du moins, aucune réserve américaine ne s’est fait entendre sur les positions de Bennett. Les partis juifs de centre-gauche en Israël comme le Parti travailliste et le Meretz, qui font partie de la coalition de Bennett, n’ont pas protesté non plus. C’est un dangereux précédent.

Mais il serait trop simpliste de dire que le gouvernement Bennett sera plus à droite ou plus violent envers les Palestiniens. Ce pourrait être le contraire.

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Tout d’abord, Bennett est arrivé au pouvoir en position de faiblesse politique. Il dirige un petit parti disposant de 6 sièges à la Knesset sur 120, et la plupart des membres de sa coalition sont plus à gauche que lui – du moins pour Israël, dont les positions du Parti travailliste envers les Palestiniens seraient considérées comme de droite en Europe.

Et ce n’est pas tout. Bennett lui-même, tout comme son partenaire de coalition Guideon Saar (ancien haut responsable du Likoud et candidat de premier plan pour remplacer Netanyahou), a considérablement changé d’attitude à l’égard de la question palestinienne.

Lors de la formation du gouvernement actuel ou immédiatement après, Bennett et Saar semblaient avoir abandonné l’idée du Grand Israël et/ou de l’annexion, partiellement ou totalement, embrassant plutôt le nouveau concept politique consistant à « réduire le conflit ». L’expression vient de Micah Goodman, un Israélien d’origine américaine vivant dans une colonie de Cisjordanie, dont les livres sur le conflit sont devenus des best-sellers.

Goodman soutient que la gauche en Israël n’a pas réussi à mettre fin à l’occupation ou à établir un État palestinien indépendant, tandis que la droite a échoué avec son idée du Grand Israël. Par conséquent, au lieu de parler de mettre fin au conflit ou de continuer avec le statu quo, il faudrait chercher des moyens de « réduire le conflit » : permettre aux Palestiniens de gérer leurs propres affaires de la manière la plus indépendante possible, tout en laissant la « sécurité » à Israël. Une fois que le conflit aura été « réduit », selon Goodman, il sera possible de discuter d’une solution permanente.

Pendant une décennie, Bennett a encouragé l’annexion, mais lorsque les Émirats arabes unis et Bahreïn ont signé les accords d’Abraham en 2020, il s’est rendu compte que c’était impossible

Goodman était un conseiller de Saar et est considéré comme proche de Bennett. Son influence était perceptible dans une interview que Bennett a donnée avant de prendre ses fonctions. « Mon approche consiste à réduire le conflit », annonçait-il. « Là où il est possible d’avoir plus de passages, une meilleure qualité de vie, plus d’affaires, plus d’industrie, nous le ferons. »

Pour Bennett, il s’agit d’un changement considérable. Lorsqu’il s’est lancé en politique en 2013, il a présenté un plan détaillé pour l’annexion de la zone C, qui représente 60 % de la Cisjordanie. Au fil des ans, il a critiqué le manque de virulence de Netanyahou et de l’armée israélienne envers les Palestiniens et leur peu de « détermination » face au Hamas. 

Pendant une décennie, Bennett a encouragé l’annexion, mais lorsque les Émirats arabes unis et Bahreïn ont signé les accords d’Abraham en 2020, il s’est rendu compte que c’était impossible. Il a également compris qu’une « résolution finale » du conflit consistant à obtenir une victoire sur les Palestiniens si écrasante qu’ils renonceraient à leurs aspirations nationales était également impossible. Ce sont cet échec et cette faiblesse qui l’ont poussé à se rallier à l’idée de « réduire le conflit », même s’il refuse de l’admettre.

La droite israélienne en crise

Naftali Bennett reflète donc la situation de la droite israélienne. D’une part, il sanctifie le statu quo et n’a aucun désir ou intention de renoncer à l’occupation ou de mettre fin à l’apartheid. D’autre part, la droite perd progressivement confiance en son propre pouvoir de façonner la réalité israélo-palestinienne comme elle l’entend. 

La chute de Netanyahou doit être envisagée dans ce contexte. Sous Netanyahou, la droite en Israël était unie dans un bloc cohérent et homogène. Les contradictions internes à droite, que représente Bennett, ont conduit à la fragmentation de ce bloc et à la mise en place d’un gouvernement mixte qui contient des éléments de droite et de gauche, y compris la Liste arabe unie, un parti islamiste palestinien dirigé par Mansour Abbas.

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Extérieurement, tous ces changements n’ont pas affecté la situation sur le terrain. L’occupation et les colonies perdurent. Le discours politique en Israël est aujourd’hui enrayé, dans le meilleur des cas, ou soutient la thèse du « ni guerre, ni paix » de Bennett. Israël est si fort – militairement et économiquement – qu’il faudrait que quelque chose d’important se produise pour menacer son contrôle des Palestiniens et son pouvoir au Moyen-Orient dans son ensemble.

Mais en même temps, on ne peut pas ignorer les fissures. La droite idéologique en Israël est en difficulté et la question est de savoir comment et si la gauche radicale en Israël, ou plus encore les Palestiniens, peuvent en tirer parti.

« Là où il y a une fêlure, nous devons en faire une faille, et là où il y a une faille, nous devons en faire un gouffre », m’a dit un militant anti-occupation de gauche. Peut-être que cette approche accomplira vraiment quelque chose.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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